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"La Grande-Motte n'est pas un parking à ciel ouvert"

HERAULT - Des millions de Français continuent d'apprécier la bonne vieille station balnéaire. Reportage à La Grande-Motte, dans l'Hérault, lieu emblématique des "vacances pour le plus grand nombre".

Article rédigé par Ariane Nicolas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Sur une des plages de La Grande-Motte (Hérault), le 13 juillet 2012. (ARIANE NICOLAS / FTVI)

"Regarde, la meeeeeer !" Bouée rose autour de la taille, à peine sortie de la voiture, la petite fille s'émerveille. Avec son grand frère et ses parents, elle est venue à La Grande-Motte (Hérault) profiter du sable, du soleil et des activités à proximité. Ils logeront dans un des multiples appartements en front de mer, comme cette station balnéaire emblématique des années 1970 en compte tant.

Construite dans le cadre de la "mission Racine" (1963-1983), La Grande-Motte se voulait une station balnéaire moderne, familiale et accessible. Son architecte en chef, Jean Balladur, avait conçu ses bâtiments sur un modèle "inca" : des immeubles pyramidaux, dont les balcons étaient creusés dans la pierre façon habitation troglodytique. A l'intérieur, des studios-cabines dépassant rarement les deux pièces. Un projet avant-gardiste à l'époque, pour un phénomène en pleine expansion : le tourisme de masse.

Station en rénovation

Quarante ans plus tard, rien ne semble avoir bougé. Mais les attentes des touristes ont évolué. Selon l'office de tourisme de la ville, quatre Français sur dix ont une mauvaise image de la station. Bétonnée, surchargée, symbole d'une France désuète. En 2002, un article de Libération la présentait même comme une station "à rénover", aux logements trop petits, devenus inadaptés.

Sortis de terre ces dix dernières années, un nouveau casino, un centre d'entraînement nautique, quelques résidences plus vastes tentent de donner un coup de jeune. Divers chantiers ont été lancés pour réaménager les voies et moderniser le théâtre. La municipalité met désormais l'accent sur ses infrastructures sportives et sa verdure, omniprésente parmi le béton. La Grande-Motte a même obtenu le label "Patrimoine du XXe siècle" en 2010, de quoi lui donner une visibilité auprès des étrangers, nouvelle cible touristique.

Et la station ne désemplit pas l'été. Mais à l'heure de l'écotourisme, des voyages sur-mesure et des destinations exotiques bon marché, que vont chercher les Français à La Grande-Motte ? Reportage et témoignages, à l'occasion des premières transhumances estivales.

A sept dans deux studios-cabines

Tissem a fait le trajet depuis Toulouse avec son petit ami, une partie de sa famille et de sa belle-famille. Sept personnes, réparties dans deux studios-cabines, dont un loué via la Caisse d'allocations familiales. "J'aime bien ici, c'est vivant. Avant, on allait près de Narbonne, mais il y avait moins de choses à faire", raconte cette jeune femme au léger accent du Sud. 

Tissem et sa petite sœur Imane, originaires de Toulouse. (ARIANE NICOLAS / FTVI)

Les immeubles, les parvis en béton ? "C'est sûr, c'est pas pour l'architecture qu'on vient, concède Tissem. Mais ça permet de se reposer quand même, et de sortir si on veut." Entre la mer à 23°C et leurs studios, à peine cent mètres. Une journée au ralenti, qui peut se prolonger tard le soir. "Il y a des bars, des discothèques. Comme on a notre indépendance, on peut faire ce qu'on veut, chacun de son côté. Pour des vacances en famille, c'est juste comme il faut." 

Un prêt pratique pour jeunes parents

Tout droit débarqués des Hauts-de-Seine, Nathalie et Pierre emmènent leurs deux filles à la plage avant qu'il ne fasse trop chaud. "Nous sommes ici pour une semaine, dans un appartement qui appartient à l'un de nos parents. Ils ont acheté ce deux-pièces il y a trente ans, alors on en profite, on ne va pas faire les difficiles !" Un deux-pièces, pour des vacanciers de La Grande-Motte, c'est déjà presque du luxe. Selon Capital.fr, au 1er avril 2012, le prix du mètre carré à l'achat dépassait les 4 000 euros. A peine 600 euros de moins qu'à Cannes.

Petite balade sur le front de mer pour Nathalie, Pierre et leurs deux filles, avant d'aller se baigner. (ARIANE NICOLAS / FTVI)

Nathalie et Pierre feraient peut-être un autre choix sans enfants. "Mais ce rythme de vie convient bien à nos filles. Le matin, on va à la plage, l'après-midi, c'est sieste, et ensuite le temps passe très vite."

Quelques jours à la plage en réservation de dernière minute

Comme les trois quarts de la clientèle estivale de la station, Karine et Hervé sont français. Eux s'apprêtent à repartir dans le Cantal, après quatre jours passés en famille dans un studio-cabine d'une trentaine de mètres carrés, loué 400 euros pour trois nuits et quatre jours. Le balcon donne sur un parking ombragé. Leur porte d'entrée, sur un immense couloir où convergent quinze autres appartements identiques. Une kitchenette fait face à la salle de bain, quatre tabourets font la sieste sur la table du salon.

Karine, Hervé et leurs filles Eudrey et Maëlys, ont loué ce studio-cabine pour quatre jours. (ARIANE NICOLAS / FTVI)

"On vient de faire construire, chez nous, on ne pouvait pas partir trop longtemps en vacances, expliquent-ils. Ce n'est pas grave si c'est tout petit, ce studio est juste un pied-à-terre, on passe le reste du temps à la plage. Comme on a réservé à la dernière minute, on est plutôt contents." Karine était venue, petite, à La Grande-Motte. Pour elle, rien n'a vraiment changé. Ils envisagent de revenir l'an prochain, mais "pas trop longtemps. A la longue, ça fait cher quand même."

Un aller-retour dans la journée, sans dépenser

"Je n'aurais pas envie de vivre ici, mais pour passer la journée, c'est bien." Myriam couvre son petit frère de crème solaire, près du port de plaisance. Chargée de clientèle, la jeune femme a récemment déménagé à Lyon pour son travail. Elle revient ici profiter de la plage avec une partie de sa famille, qui compte six enfants. "On vient de Nîmes, c'est juste à côté." Un aller-retour dans la journée, sans passer par la case baignade. Sa mère, voilée, ne se met d'ailleurs jamais en maillot. "J'ai passé un peu de temps dans les Cévennes à la campagne, reprend-elle. C'était trèèèèèès calme. On s'ennuie vite. Ici au moins, on a de quoi s'occuper." 

Myriam, son petit frère Djibril et leur mère Hassiba, venus de Nîmes (Gard). (ARIANE NICOLAS / FTVI)

La petite troupe fera très peu de dépenses sur place, juste de quoi déjeuner. La ville tire l'essentiel de ses revenus des recettes du casino, une manne financière qui ne cesse de baisser ces dernières années, comme le relève La Marseillaise. Les touristes, eux, dépensent très peu, à peine cent euros par jour, logement compris. De quoi tendre les relations entre résidents et vacanciers ? "On sent bien qu'il y a un fossé entre nous, remarque Myriam. On dirait qu'ils ne nous aiment pas beaucoup. Mais on s'en fiche, c'est pas pour eux qu'on est venus !" 

Une retraite pour y vivre à l'année

Du haut de la Grande Pyramide, bâtiment le plus élevé de la ville (15 étages), Georges raconte pourquoi lui et sa femme, Annick, ont finalement décidé de s'installer ici. "On a loué cet appartement pendant des années, et puis en approchant de la retraite, on s'est dit que c'était pas mal pour y vivre à plein temps." De fait, ces retraités peuvent se le permettre : habitués aux déménagements ("Après 25, j'ai cessé de compter", dit Annick), ils possèdent également une villa à La Grande-Motte, "plus au calme", et font régulièrement des allers-retours à la montagne.

De gauche à droite : Florence, Georges, Annick, Gisèle et Patrice, résidents permanents à La Grande-Motte et fervents défenseurs de la ville. (ARIANE NICOLAS / FTVI)

Tous deux militent au sein d'une association de défense du patrimoine de la ville. "Il y a encore des efforts à faire, mais les gens ont une image fausse de La Grande-Motte. Ceux qui croient que cet endroit est un parking à ciel ouvert se trompent." Seul bémol, selon Georges, le bruit. "Cette ville est bien plus agréable quand il n'y a pas de touristes, au printemps par exemple. Parfois, des gens roulent avec la sono à fond en pleine ville. Ça nous dérange."

Cinq mois au camping, la face cachée de La Grande-Motte

C'est ce qu'on appelle une personne fidèle. Depuis qu'elle a loué ce mobile home il y a quarante ans avec son mari, cette ancienne restauratrice n'a jamais changé d'agenda l'été. La face cachée de La Grande-Motte, c'est eux. Depuis la retraite, ce couple de Lillois passe entre quatre et cinq mois dans la pinède artificielle du camping, dès le printemps. Toujours au même emplacement, qu'ils louent à l'année. "J'adore cet endroit. C'est très boisé en fait", s'enthousiasme Jeanine, en train d'essorer sa lessive à la main.

Jeanine connaît ce camping 2 étoiles comme sa poche : cela fait quarante ans qu'elle y vient. (ARIANE NICOLAS / FTVI)

Plus que la ville elle-même ("le béton, c'est moche"), c'est ce petit lopin de terre qu'elle chérit. Un petit panneau "place des amis" est accroché près de l'entrée, sur un pin. Jeanine n'a jamais eu ni l'argent, ni l'envie de s'installer dans du dur. "Depuis le temps qu'on vient ici, on s'est fait des amis. On boit l'apéro, mon mari joue aux boules avec eux, ou va à la piscine." A cause de sa santé, elle ne va plus à la plage depuis des années. Tout juste la voit-elle sur le chemin depuis la gare de Montpellier. 

Une journée, ça suffit

Michel et Carol, eux, ne se sont pas déplacés pour bronzer, mais pour déambuler. Ce comptable à la retraite, qui fait découvrir la ville à son amie britannique, admet que l'architecture a quelque peu vieilli, mais n'y voit pas un réel inconvénient. "L'important, c'est qu'il y ait ce qu'il faut pour tout le monde, explique Michel. Des restaurants, un port, des activités." Lui-même n'y prend pas part. "On vient surtout pour les glaces", sourit son amie, pour qui "une journée de temps en temps à La Grande-Motte, c'est suffisant. Mais je comprends qu'on ait envie de venir en famille. Ce que les gens veulent, c'est le beau temps, la mer. Même bétonnée, la plage, ça fait toujours rêver."

Michel et son amie Carol ont l'habitude de passer la journée à La Grande-Motte. (ARIANE NICOLAS / FTVI)

Et pour que la mer permette toutes les évasions, la municipalité met les bouchées doubles. Un schéma directeur prévoit de nouveaux travaux. Le front de mer doit être remodelé, le "mobilier urbain désuet" remisé, afin d'"accompagner les flâneurs depuis les quais jusqu'à la grande bleue", promet la mairie. Arrivé devant la mer, finalement, n'importe quel touriste oublie le travail, la ville, le béton. Sinon, à cinq minutes à pied, il lui reste le casino.

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