Paul Aussaresses, du héros de la seconde guerre mondiale au tortionnaire d'Algérie
Le militaire, ancien combattant des Forces françaises libres et ancien espion, avait fait scandale en assumant l'utilisation de la torture lors de la guerre d'Algérie.
C'est une figure de la période trouble de la guerre d'Algérie qui disparaît. Le général Paul Aussaresses est mort à l'âge de 95 ans, a annoncé mercredi 4 décembre l'association d'anciens parachutistes Qui ose gagne. Ancien combattant des Forces françaises libres durant la seconde mondiale, ancien espion, l'officier parachutiste est surtout connu pour avoir assumé et défendu l'utilisation de la torture lors de la guerre d'Algérie, entre 1954 et 1962. Il l'avait confessé "sans regrets ni remords" au début des années 2000 dans un entretien publié dans le quotidien Le Monde (article payant).
Selon l'association d'anciens combattants qui annonce la mort de l'ancien chef des services de renseignements à Alger, ses obsèques auront lieu le mardi 10 décembre à La Vancelle, dans le Bas-Rhin, où il avait décidé de terminer ses jours. C'est d'ailleurs dans le quotidien L'Alsace qui l'avait donné l'une de ces dernières interviews en septembre 2012. Il y assumait encore son rôle durant la guerre d'Algérie : "On a fait ce qu'on devait", affirmait-il. Retour sur un personnage qui a vécu le XXe siècle à travers ses conflits.
A partir de 1941 : services secrets et Résistance
Né le 7 novembre 1918 à Saint-Paul-Cap-de-Joux (Tarn), Paul Aussaresses a 21 ans quand la France entre en guerre contre l'Allemagne et ses alliées de l'Axe. En 1941, il est élève officier à l'école militaire de Saint-Cyr, transférée en zone libre, à Aix-en-Provence. Il se porte alors volontaire pour les services secrets de la France libre de De Gaulle et intègre, plus tard, les équipes de l'opération Jedburgh. Les agents Américains, Britanniques et Français qui y participent sont parachutés en France en 1944 et "se comportent en officiers de liaison", entre armée et Résistance, écrit Anne-Aurore Inquimbert dans un ouvrage consacré au rôle des services secrets dans le contrôle de la Résistance intérieure française.
Pour ces faits de guerre, Paul Aussaresses obtient de prestigieuses décorations : commandeur de la Légion d'honneur, Croix de guerre 1939-1945 avec palmes et Médaille de la Résistance.
Enfin, il participe à la création du 11e Choc, bras armé du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE, future DGSE), avant de servir durant la guerre d'Indochine (1945-1954), en tant que chef de bataillon parachutiste.
A partir de 1955 : Algérie et tortures
En 1955, il devient responsable des services de renseignements à Alger alors que débute la guerre d'Algérie. Deux ans plus tard, il est à la tête de ce qu'il appelle lui-même "un escadron de la mort", chargé de procéder à des arrestations nocturnes, suivies de tortures, avec élimination de certaines personnes arrêtées.
Dans son livre Service spéciaux, Algérie 1955-1957 (Perrin), il confirme avoir pratiqué la torture, "tolérée, sinon recommandée" selon lui par les politiques. Une pratique dont il martèle qu'elle "devient légitime quand l'urgence s'impose". La torture, il la légitimise et surtout, il l'enseigne. A la fin de la guerre d'Algérie, il part aux Etats-Unis, où il enseigne aux Américains "les techniques de la bataille d'Alger" aux Bérets Verts de Fort Braggs, en Caroline du Nord. Il revient en France et, en 1966, prend le commandement du prestigieux 1er Régiment de chasseurs parachutistes (RCP). Pendant les années qui suivent, il utilise son expérience algérienne dans "des cours de contre-insurrection", qu'il délivre notamment en Amérique du Sud.
A partir de 1973 : Amérique latine et vente d'armes
En 1973, il est nommé attaché militaire au Brésil, alors sous le pouvoir de l'armée. Alors que les dictatures militaires s'installent en Amérique latine, il retrouve des anciens élèves qu'il a formés à l'époque de Fort Braggs, confirme-t-il dans un entretien au magazine Vice. Il officie notamment au Chili. "Considère que t’es chez toi ici", lui disent les hommes de la police politique de Pinochet, alors au pouvoir dans ce pays. Une police au sinistre bilan : "près de 38 000 personnes ont été torturées sous la dictature d’Augusto Pinochet. Plus de 3 200 ont été tuées ou portées disparues" au Chili, selon une Commission des droits de l’homme, cité par RFI en 2011.
Puis, en 1975, il quitte l'Amérique latine "pour 'pantoufler' chez les vendeurs d'armes" de Thomson, écrit Le Point en 2001.
A partir de 2001 : confessions et procès
"Est-ce que la torture m'a posé des problèmes ? Je dois dire que non. Je m'étais habitué à tout cela." Au début des années 2000, Paul Aussaresses fait la lumière sur son sombre passé. Ces confessions, accompagnées d'interviews dans la presse, suscitent une tempête politique. En mai 2001, France 2 avait consacré un sujet sur les révélations du général dans son livre sur la guerre d'Algérie. Il y raconte complaisamment les exécutions sommaires et les tortures auxquelles il a participé, entre 1955 et 1957.
En 2004, le général Aussaresses est finalement condamné pour apologie de la torture et doit payer une amende de 7 500 euros. Il est alors exclu de l'ordre de la Légion d'honneur.
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