Livre blanc : quand les effectifs militaires baissent, "il faut un meilleur renseignement"
Jean-Vincent Brisset, général de brigade aérienne et directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques, décrypte la stratégie de la France en matière de renseignement.
Avec quatre mois de retard et autant de spéculations sur une réduction drastique des effectifs de l'armée, le président François Hollande a reçu son Livre blanc sur la défense, lundi 29 avril. Dans un contexte de crise budgétaire, on y lit que quelque 24 000 postes supplémentaires sont appelés à disparaître d'ici à 2019, soit près de 10% des effectifs. Comme l'a expliqué dans la foulée le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, cité sur Twitter par ses services, il s'agit de se serrer la ceinture.
#LBDSN ". l’adoption d’un modèle de rigueur touche les capacités opérationnelles. Nous devons y consentir pour pérenniser notre outil.."
— Defense.gouv (@Defense_gouv) 29 avril 2013
Mais, alors que tous les secteurs militaires sont appelés à faire avec moins, le renseignement échappe à ce diktat. Dans leur conclusion, les auteurs (46 experts et représentants de l'Etat) promettent même que "l'effort sera accru" dans ce domaine. Pourquoi ce traitement de faveur ? Jean-Vincent Brisset, général de brigade aérienne, directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et auteur d'un Manuel de l'outil militaire (éd. Armand Colin), livre des éléments de réponse.
Francetv info : Cinq ans après le précédent Livre blanc, les grandes orientations demeurent : participation pleine et entière à l'Otan, dissuasion nucléaire et adaptation à de nouveaux périls (terrorisme, attaques informatiques, pandémies). Pourquoi tant de similitudes ?
Jean-Vincent Brisset : Le Livre blanc de 2008 était assez complet. Celui-ci maintient les principales options. Autant le premier était de la politique au grand sens du terme, autant celui-ci semble plutôt le résultat de marchandage d’intérêts entre Bercy et la Défense. On est dans un résultat de lutte de lobbys, beaucoup plus que dans une vision stratégique. Par conséquent, il reproduit la vision stratégique de 2008.
Comme en 2008, une attention particulière est apportée au renseignement. Pourquoi ?
J'ai souvenir d’une époque assez lointaine où les Israéliens avaient été priés de faire des économies. On leur avait demandé de supprimer deux divisions. Ils en avaient en fait supprimé trois. Et, avec ce qu'ils avaient économisé sur la troisième, ils avaient renforcé leur service de renseignement.
S’il y a des choses qu'il faut préserver à tout prix, c’est un outil de recherche et un outil de renseignement. Car, sans cela, ce n'est pas la peine d’avoir des forces. Cela permet d'intervenir le plus tôt possible. C'est le problème du pompier qui commence à éteindre le début d’un incendie avec un verre d’eau. Le renseignement permet de savoir où est le début d'incendie et de l'éteindre tout de suite. La meilleure manière de sauvegarder le peu de capacité qui va rester, c’est d'avoir un meilleur renseignement.
Cette volonté de renforcer la capacité de la France dans le renseignement signifie-t-elle aussi que nous avons des lacunes ?
Nous avons des lacunes sur le plan du renseignement technique (interception de télécommunications, imagerie satellite...). En particulier, nous manquons de drones. Nous sommes entrés les premiers au Mali, certes. Mais nous avons reçu par la suite le soutien des drones américains, chargés de faire de la reconnaissance. Sans eux, nous n'aurions pas pu faire beaucoup plus. La France n’a pas les moyens d’aller au-delà d’une frappe brutale, coup de poing. Ces lacunes ne nous permettent pas de réussir seuls une intervention à moyen terme.
Par ailleurs, le Livre blanc affirme que "les capacités spatiales de renseignement électromagnétique et de renseignement image seront développées". Est-on aussi en retard dans le domaine des satellites ?
La France n’a pas grand-chose. Il y a des outils, mais ils coûtent extrêmement cher. Est-ce que la France a les moyens de les developper ? Nous ne pourrons pas tout faire et il y a des bagarres de lobbys pour le spatial, le nucléaire. Aujourd'hui, on ne peut pas réduire plus le nucléaire si on veut le conserver. Par conséquent, si la France veut développer davantage de satellites de reconnaissance, il va falloir davantage réduire le reste, par exemple dans des secteurs qui sont moins portés par des lobbys civilo-militaires.
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