Cinq questions sur la reconnaissance historique de "la responsabilité de l'Etat dans la disparition" de Maurice Audin à Alger en 1957
Emmanuel Macron a remis jeudi une déclaration à la veuve du mathématicien communiste militant de l'indépendance de l'Algérie.
Pour l'historien spécialiste de l'Algérie Benjamin Stora, c'est une décision "historique". Emmanuel Macron a reconnu, jeudi 13 septembre, "la responsabilité de l'Etat dans la disparation" du mathématicien communiste militant de l'indépendance de l'Algérie Maurice Audin, torturé par l'armée française et disparu sans laisser de traces en 1957. Le président a remis à sa veuve, Josette Audin, une déclaration reconnaissant le rôle de l'Etat.
Franceinfo revient sur cette décision en cinq questions.
1Qui était Maurice Audin ?
Au moment de sa disparition, Maurice Audin est un brillant mathématicien, employé comme assistant à la faculté d'Alger et membre du Parti communiste algérien. Ce père de trois enfants, âgé de 25 ans, est alors suspecté d'aider le FLN, qui milite pour l'indépendance de l'Algérie. Depuis sa disparition, il est devenu l’un des symboles des exactions de l’armée française en Algérie.
2Dans quelles circonstances a-t-il disparu ?
La disparition de Maurice Audin est l'une des plus mystérieuses de la guerre d'Algérie. Le 11 juin 1957, il est arrêté, probablement par des parachutistes du général Jacques Massu, pendant la bataille d'Alger. Sa trace est perdue dix jours plus tard.
Aucune explication officielle ne sera donnée sur sa disparition, si ce n'est "son évasion au cours d'un transfert". Dans La vérité sur la mort de Maurice Audin, paru en janvier 2014 (Editions des Equateurs), le journaliste Jean-Charles Deniau concluait que Maurice Audin avait été tué par un sous-officier français sur ordre du général Jacques Massu, patron de la 10e division parachutiste (DP). Un ordre répercuté par Paul Aussaresses, un autre général, qui a revendiqué plus tard l'usage de la torture en Algérie.
3Pourquoi la France n'a-t-elle jamais reconnu sa responsabilité ?
Comme l'explique The Conversation, l’amnistie de 1962 sur la guerre d'Algérie a stoppé l’instruction de la plainte déposée par sa femme, Josette Audin, pour enlèvement et séquestration. Une indemnisation financière lui a été accordée, ainsi qu'à ses enfants, des années plus tard, mais cette réparation officieuse a été "décidée dans le huis clos d'un cabinet ministériel", précise le site. Depuis, les dirigeants français marchent sur des œufs s'agissant de cette délicate affaire et, plus largement, de la pratique de la torture en Algérie et de la colonisation, la notion de "repentance" étant vivement rejetée par certaines associations d'anciens combattants et une partie de la classe politique.
Les défenseurs d'Audin ont dû attendre 2013 pour obtenir une première victoire avec l'ouverture des archives concernant l'affaire, décidée par François Hollande. Comme l'indique Le Monde (article abonnés), le président socialiste avait reconnu, en 2014, que Maurice Audin ne s’était pas évadé, contrairement à la version officielle, et était mort en détention, sans aller plus loin.
Pour ce qui est de Nicolas Sarkozy, il n’avait pas répondu à la lettre que Josette Audin lui avait adressée à l’Elysée, rappelle le quotidien. Emmanuel Macron "a (…) décidé qu’il était temps que la Nation accomplisse un travail de vérité sur ce sujet", annonce l'Elysée dans le texte dévoilé jeudi.
4Quelles vont être les conséquences de cette décision ?
En plus de reconnaître la responsabilité de l'Etat dans la disparition de Maurice Audin, le président reconnaît officiellement que l'Etat a failli en permettant le recours à la torture lors de la guerre d’Algérie. "Si la mort [de Maurice Audin] est, en dernier ressort, le fait de quelques-uns, elle a néanmoins été rendue possible par un système légalement institué : le système "arrestation-détention", mis en place à la faveur des pouvoirs spéciaux qui avaient été confiés par voie légale aux forces armées à cette période", explique l’Elysée dans ce texte.
Pour aller plus loin, le chef de l'État va annoncer sa décision d'ouvrir toutes les archives liées aux disparus de la guerre d'Algérie. Il va également appeler toutes les personnes qui ont pu connaître les circonstances de la mort de Maurice Audin à s'exprimer librement, au nom du devoir de vérité.
Certaines associations d'anciens combattants ne vont guère apprécier cette démarche, mais "on assume", glisse l'entourage d'Emmanuel Macron. Pour se prémunir des critiques, le chef de l’Etat prend soin de ne pas généraliser la pratique de la torture à l’ensemble de l’armée française. "Le président de la République estime que les actes de certains individus ne sauraient peser sur la conscience de tous ceux qui n’en ont pas commis et n’y ont pas souscrit", indique l’Elysée.
5Quelles sont les réactions ?
La famille de Maurice Audin attendait cette décision depuis 61 ans. Contactée par l'AFP, la veuve de l'universitaire, aujourd’hui âgée de 87 ans, n'a pas souhaité réagir dans l'immédiat. Le chef de l'Etat s'est rendu à la mi-journée à son domicile, à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), pour lui remettre cette déclaration, a précisé le député LREM Cédric Villani, sur France Inter.
Le député a fait un parallèle avec le discours du Vélodrome d'hiver de Jacques Chirac, en 1995, lorsque l'ancien président avait reconnu la responsabilité de l'Etat français dans la rafle du Vel' d'Hiv en 1942.
Cette reconnaissance est également saluée dans les rangs des communistes. C'est "une victoire historique de la vérité et de la justice", a déclaré dans un tweet le secrétaire national du PCF, Pierre Laurent, se réjouissant qu'un "mensonge d'Etat qui durait depuis 61 ans tombe".
C'est une grande émotion pour Josette Audin et sa famille, pour le PCF qui a tant donné dans la lutte anticoloniale, pour les communistes et tous les militants anticolonialistes.
Pierre Laurent, secrétaire national du PCFsur Twitter
A l'extrême droite, en revanche, cette décision ne passe pas. "Maurice Audin a caché des terroristes du FLN qui ont commis des attentats. Macron commet un acte de division, en pensant flatter les communistes", a déclaré au Talk du Figaro la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen.
A droite, la réaction est mitigée. Pour le président du groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau, s'"il ne faut jamais craindre la vérité, (...) il ne faut pas instrumentaliser l'histoire, ce qui est souvent un sport national français, pour se battre la coulpe à perpétuité".
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