Reportage "On est déterminés à aller jusqu'au bout" : en Nouvelle-Calédonie, le face-à-face se poursuit sur les barrages

Le bilan est monté à sept morts en Nouvelle-Calédonie. Les barrages d'indépendantistes d'un côté et loyalistes de l'autre se poursuivent.
Article rédigé par Sandrine Etoa-Andegue, Eric Audra
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
De jeunes militants kanaks dans le quartier Apogoti de Dumbéa (Nouvelle-Calédonie), mai 2024 (ERIC AUDRA / RADIO FRANCE)

Une septième victime lors des graves violences qui secouent la Nouvelle-Calédonie depuis douze jours, en marge du vote à l'assemblée sur le dégel du corps électoral : vendredi 24 mai, un homme de 48 ans a été tué par un policier qui avait été "pris à partie physiquement" par des manifestants selon le parquet de Nouméa. Les faits se sont produits à Dumbéa, au nord de Nouméa. Alors qu'il y a près de 3000 forces de l'ordre dans l'archipel, d'un barrage à l'autre le climat tendu et incertain continue de régner sur l'archipel entre deux camps qui semblent irréconciliables.

"Des râteaux, des cailloux et des bouts de bois"

Depuis onze jours, Raphaël veille le soir, tandis que le matin à l'entrée de son quartier sur les hauteurs de Dumbéa il régule la circulation devant le barrage filtrant. C'est une structure de barres de fer avec "des palettes qu'on avait dans le domicile, des parpaings, des feuilles de branchage", décrit Raphaël. Son "groupe de défense" comme il l'appelle n'a pas d'armes assure-t-il, mais seulement des pelles et "des râteaux, des cailloux et des bouts de bois, voilà ce que l'on a pour nous protéger des personnes cagoulées qui crient 'la terre aux Kanaks, ici c'est la Kanaky", témoigne-t-il. Des messages de cet ordre s'affichent à l'entrée d'un autre barrage à cent mètres de lui. "Une haine qui est en train d'arriver", s'inquiète Raphaël. Soudain, un pick-up déboule. Au volant, un homme métis qui l'interpelle : "Il y a des blancs sur le bord de route qui m'ont agressé, ils m'ont dit 'on n'a pas le droit de passer', j'ai sorti la batte je leur ai pété la gueule", lance le conducteur. 

L'entrée du quartier Château-d'eau à Dumbéa : barrage filtrant tenu par les habitants pour "protéger les familles des intrusions et agressions potentielles". Mai 2024 (ERIC AUDRA / RADIO FRANCE)

Silence gêné de Raphaël en guise de réponse. Julie, une voisine orthophoniste le rejoint avec la mine défaite. "Je suis sous le coup de l'émotion parce que moi je ne suis pas sortie depuis le lundi 13 mai. J'attendais avec impatience de pouvoir aller jusqu'à mon cabinet qui est à trois minutes en voiture. J'ai pu y aller ce matin avec l'aide de voisins, on y est allé à quatre pour pouvoir passer les barrages et découvrir que mon cabinet a été saccagé, confie-t-elle Les portes sont défoncées, je n'ai plus d'ordinateur, clairement je n'ai plus d'outil de travail", témoigne Julie.

"Jamais je n'aurais pu imaginer que ça tourne au cauchemar comme ça. Je n'ai jamais ressenti d'insécurité, la population est mixte, moi je reçois toutes les ethnies, je n'ai jamais été agressée ou prise à partie. J'étais sereine jusqu'à il y a dix jours."

Julie, orthophoniste en Nouvelle-Calédonie

à franceinfo

"Chacun fait ce qu'il peut devant son quartier"

À 500 mètres plus bas, il faut se faufiler entre les multiples barrages fumants de carcasses de voitures calcinées, chariots, barrières. À un rond-point, un jeune homme agite des cocktails molotov devant un pont au-dessus duquel flottent plusieurs drapeaux du FLNKS. Ryan, lunettes noires sur sa cagoule, a un message pour les forces de l'ordre : "On va leur laisser faire leur travail et on va repasser derrière, on va encore remettre les barrages. On va les emmerder jusqu'à ce qu'ils nous lâchent. On bloque tout. On maintient la pression, mais calmement, pacifiquement. Ils savent très bien que nous ne sommes pas armés mais ils tirent quand même. Il y a toutes nos mamans, tous nos papas, tous les vieux, tous les enfants. On gère aussi la sécurité, il y a la milice qui tourne", explique-t-il.

"Il y a une part de la milice qui protège son quartier et d'autres qui sont là pour tuer. Pour tuer les Kanaks."

Ryan, sur un barrage

à franceinfo

"Chacun fait un peu ce qu'il veut devant son quartier, devant sa maison", admet Rodolphe Tognia casquette sur ses cheveux blancs, assis à l'ombre de la station-service familiale gardée par une vingtaine d'hommes. "Tout n'a pas été coordonné, tout n'a pas été préparé, les gens se sont levés pour dire non au dégel du corps électoral et chacun met la pression là où il est", juge-t-il. A quelques kilomètres, sur un autre barrage, Christopher, un Kanak père de deux enfants, ne se fixe aucune limite.
"On a brûlé, on a caillassé, affronté la police. Moi je suis un militant de la rue, je ne suis pas un militant sur le nom d'un parti politique. On est déterminés à aller jusqu'au bout", assure Christopher. "On est en désaccord total avec la façon d'agir. On tiendra le coup jusqu'à tomber", confie-t-il. Démonter les barrages, lever le pied ou poursuivre la mobilisation, les consignes des dirigeants indépendantistes aux militants divergent désormais.

Un slogan à Magenta Plage (Nouvelle-Calédonie), mai 2024 (ERIC AUDRA / RADIO FRANCE)

Le reportage de Sandrine Etoa-Andegue et Eric Audra en Nouvelle-Calédonie

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