François Hollande parle-t-il trop ?
En tenant une conférence de presse jeudi, le président prend le risque de s'"hyperprésidentialiser" façon Sarkozy.
A peine a-t-il fini de s'exprimer mercredi sur l'Europe, qu'il est déjà en train de préparer une autre intervention : une conférence de presse de deux heures jeudi 16 mai. Durant la campagne présidentielle, François Hollande avait promis une gouvernance "normale", en rupture avec l’"hyperprésidence" agitée de son prédécesseur, Nicolas Sarkozy. Un an plus tard, force est de constater que le président se montre bien plus présent dans les médias qu’il ne l’avait laissé envisager. Au risque de provoquer un sentiment de saturation chez les Français?
De nombreuses apparitions
François Hollande parle beaucoup et fait beaucoup parler de lui ces derniers mois. Rien que sur l’affaire Cahuzac, il s’est exprimé trois fois : au lendemain des aveux de l’ex-ministre du Budget, le 3 avril ; le jour suivant, alors qu'il était en déplacement au Maroc ; et le 10 avril sur les marches de l’Elysée. Avant cela, le 28 mars, il a été interviewé durant une heure et quart sur France 2. On l'a aussi vu en direct de l'Elysée appeler à l'"apaisement" après l'adoption du mariage pour tous ou plus récemment prononcer un discours sur l'entrepreunariat.
Le président aurait-il cédé à la pression du temps médiatique et son tempo frénétique ? "Il est revenu progressivement sur sa stratégie de 'parole présidentielle rare'", observe Thomas Guénolé, politologue et maître de conférences à Sciences Po, joint par francetv info. Cette stratégie, théorisée par Jacques Pilhan, ancien conseiller en communication des présidents François Mitterrand et Jacques Chirac, consistait à réserver les interventions présidentielles aux grandes annonces. François Hollande souhaitait "réhabiliter le temps long mais il s’est fracassé sur le mur de la réalité", avance Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’Ifop.
Des annonces de réformes en série
L'ambition initiale de François Hollande consistait à se démarquer du style tonitruant de Nicolas Sarkozy et de ses annonces à répétition. Mais, peu à peu, il s'est placé de plus en plus souvent sur le devant de la scène. Il s'est mis, lui aussi, à communiquer sur les réformes de l'éxecutif. Au risque de ressembler plus qu'il ne le voudrait à son prédécesseur ?
"Il n'a pas le même tempérament que Nicolas Sarkozy", remarque Thomas Guénolé. Mais tout de même, le président semble de plus en plus présent sur tous les fronts : haut débit, le 20 février à Clermont-Ferrand ; plan logement le 21 mars ; intervention sur France 2 le 28 mars pour dévoiler sa "boîte à outils" pour l'emploi et une série d'autres mesures... On note d'ailleurs que ce soir-là, François Hollande éclipse Jean-Marc Ayrault, dont il ne cite pas une fois le nom. "Moi président de la République, je ne traiterai pas mon Premier ministre de collaborateur", avait-il pourtant promis lors de sa désormais célèbre tirade de l’entre-deux tours.
En fait-il trop ? "A l’époque de l’information en continu, il est forcé d'intervenir souvent pour éviter que sa parole ne soit aspirée par le flux médiatique", explique Thomas Guénolé. "Mais rien ne l'oblige, comme son prédécesseur, à parler de tout et tout le temps, ce qui serait pour lui la meilleure façon de démonétiser sa parole", prévient le journaliste du Monde Thomas Wieder.
Une ligne politique qui reste floue
Paradoxalement, le président parle beaucoup, et souvent, mais on lui reproche de ne pas en dire assez. "L’important n’est pas le nombre d’interventions, mais leur qualité", rappelle le politologue Stéphane Rozès, contacté par francetv info. "Ses dernières interventions ont été trop techniques et trop éclatées. On attend d’un président qu’il construise de la cohérence. Il faut qu’il mette sa politique en perspective." En clair, qu'il soit moins avare de mots sur sa ligne politique. "Ce que j’attends du président de la République, jeudi, c’est qu’il fixe un cap", a ainsi affirmé lundi le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger.
"Le problème, ce n’est pas qu'il n’y a pas de cap. La ligne politique de François Hollande est assez nette : c’est l’austérité et la compétitivité, avance Thomas Guénolé. Ce qui bloque, c’est qu’elle n’est pas assumée." A force de ne pas nommer les choses, le président entretient une certaine confusion sur sa politique. Voire même de la suspicion. "Avec ses mots ou ses silences, le chef de l'État brouille les pistes volontairement, en caméléon politique", estime pour sa part le journaliste politique Nicolas Barotte dans Le Figaro (réservé aux abonnés).
Pour endiguer la méfiance, François Hollande pourrait ainsi continuer à parler beaucoup, pourvu que ce soit pour préciser sa vision. La conférence de jeudi pourrait être (enfin) l’occasion de le faire. "S’il apporte quelque chose de qualitativement nouveau, ce ne sera pas vain", estime Stéphane Rozès. Dans ce cas alors, le président pourrait briser la lassitude de ses auditeurs.
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