Quatre choses à savoir sur AWS, le lucratif business d'Amazon dont vous n'avez sans doute jamais entendu parler
Andy Jassy, qui dirige cette division d'Amazon depuis 2006, doit prendre à l'été 2021 la succession de Jeff Bezos à la tête de l'entreprise.
Entrepôts gigantesques, cartons flanqués d'une flèche en forme de sourire livrés en 24 heures, polémiques liées à l'optimisation fiscale ou à une forme de concurrence déloyale à l'encontre des petits commerces... Quand le nom d'Amazon est lâché dans le débat public, de nombreuses images viennent à l'esprit. Mais rarement celle de centaines d'ordinateurs regroupés dans des centres de données situés un peu partout sur la planète.
En moins de quinze ans, Amazon Web Services (souvent surnommée AWS) est pourtant devenu le principal acteur mondial du cloud computing, c'est-à-dire du stockage et du traitement des données en ligne. Ses serveurs et technologies sont aujourd'hui utilisés par des milliers d'entreprises et d'administrations, et rapportent chaque année des milliards de dollars à Amazon.
Signe de l'importance prise par cette activité : Andy Jassy, PDG d'AWS, a été choisi pour succéder à Jeff Bezos à la tête d'Amazon au troisième trimestre de l'année 2021. Franceinfo vous présente quatre choses à savoir sur cette division d'Amazon, que vous utilisez tous les jours sans même le savoir.
1C'est une solution couteau-suisse pour les développeurs du monde entier
L'histoire d'AWS se confond avec celle du développement d'Amazon. En grandissant au fil des années, l'entreprise de vente en ligne a dû mettre en place une infrastructure informatique capable de répondre à des besoins importants et de plus en plus spécifiques : des serveurs capables de résister aux charges de connexions durant les fêtes de fin d'année, mais aussi en mesure de faire fonctionner des algorithmes de recommandations d'achat ou encore de stocker et de diffuser des vidéos en haute définition pour son service à la demande Prime Video.
"La grande idée d'Amazon a été de comprendre dès 2006 qu'elle pouvait tirer profit de ces investissements en proposant à d'autres entreprises de louer ses capacités de calcul et d'hébergement", détaille à franceinfo Benoît Berthelot, journaliste pour le magazine Capital et auteur du livre Le Monde selon Amazon (J'ai Lu).
Pour séduire ses clients, l'entreprise propose un service clefs en mains et surtout taillé sur mesure. Envie d'ajouter une base de données à votre application ? C'est possible. Des fonctionnalités de réalité virtuelle ? Du matériel spécifique est disponible. Un dispositif d'envoi de courriels à vos clients ? L'option existe. "En quelques clics, tu peux mettre en route un serveur sur lequel faire tourner ton application ou ton site. Ils sont très transparents : tu ne paies que ce que tu consommes, et si ton nombre d'utilisateurs explose du jour au lendemain, AWS te garantit de 'scale' [s'adapter] sans souci", ajoute le responsable technique d'un site internet français très fréquenté.
Un succès qui pose des questions de dépendance vis-à-vis du géant américain. "C'est très facile de sauter le pas et d'aller chez eux, mais une fois que tu es marié à AWS, ce n'est vraiment pas évident de basculer sur une autre solution ou de rapatrier ton cloud chez toi", reconnaît ce même responsable.
Cet avis est partagé par Jean Senellart, PDG de Systran, entreprise historique dans le domaine des technologies de traduction : "Amazon utilise sa propre infrastructure propriétaire. Elle permet de mettre en place un système très complexe en un temps record, mais le jour où vous voulez en changer, cela implique de devoir tout redévelopper pour d'autres plateformes", explique-t-il à franceinfo. Ses équipes ont ainsi mis plusieurs mois pour quitter définitivement AWS pour le Français OVHcloud.
2Vous utilisez ses services tous les jours sans même le savoir
Arrivé très tôt sur ce marché destiné aux professionnels, Amazon a réussi à s'y tailler la part du lion. Selon le cabinet Synergy Research (article en anglais), l'entreprise de Jeff Bezos détenait, au troisième trimestre 2020, 33% du marché mondial du cloud computing, très loin devant Microsoft (18%) et les autres géants Google, Alibaba et Tencent (17% à eux trois).
Contacté, Amazon s'enorgueuillit ainsi de travailler avec "des dizaines de milliers de clients en France (...), dont 80% [des entreprises] du CAC 40". En France, la SNCF, Renault, TF1, Canal+, la Société Générale, Le Bon Coin, Radio France, Decathlon ou le groupe Bouygues font notamment appel aux services d'AWS.
"Nous sommes présents dans 22 pays et connaissons régulièrement des pics et des creux d'activité saisonniers. Nous avions donc besoin d'une infrastructure réseau performante et mondialisée et une capacité à la faire varier en fonction de l'usage de nos utilisateurs pour minimiser les temps de latence", justifie auprès de franceinfo Nicolas Salvy, responsable de la production informatique de BlaBlaCar. La plateforme de covoiturage, qui fait appel à plusieurs services de cloud computing pour assurer le fonctionnement de ses services, a ainsi choisi Amazon pour une partie du stockage de ses données.
Il est ainsi probable qu'Amazon prenne en main une bonne partie de vos activités en ligne sans que vous n'en ayez conscience. Vous utilisez Twitter ? AWS participe à l'affichage du fil d'actualité. Vous faites des visioconférences sur Zoom ? AWS s'en charge. Vous jouez en ligne à Fortnite ou à League of Legends ? Les serveurs sont hébergés par Amazon. L'entreprise est en fait si incontournable dans ce secteur d'activité que même ses concurrents font appel à elle : Netflix, pourtant principal rival du service de vidéo à la demande Amazon Prime, utilise les serveurs d'AWS pour assurer une diffusion sans accroc à ses abonnés.
3C'est la véritable poule aux œufs d'or d'Amazon
Au fil des années, AWS a pris une place croissante au sein des activités d'Amazon. "Le commerce en ligne, qui est historiquement au cœur de l'activité de l'entreprise, rapporte finalement assez peu d'argent à Amazon : les investissements en matière d'entrepôts ou de livraison sont importants, la concurrence est rude et les marges sont faibles", observe Benoît Berthelot. Qui s'empresse d'ajouter : "Ce n'est pas du tout le cas du cloud computing", où les besoins en main-d'œuvre, notamment, sont beaucoup moins importants.
"Aujourd'hui, Amazon est d'abord une entreprise qui fait du 'cloud computing'. Le commerce en ligne passe après."
Benoît Berthelot, auteur du livre "Le Monde selon Amazon"à franceinfo
En 2020, AWS a ainsi rapporté 13,531 milliards de dollars (11,24 milliards d'euros) de bénéfices à Amazon, soit 63% des bénéfices réalisés cette année-là par l'entreprise. L'entreprise développe d'ailleurs des trésors d'ingéniosité pour minimiser la part d'impôts sur ces revenus reversée au fisc. "AWS n'a pas de siège en France. Ses salariés travaillent pour la 'région France', mais la domiciliation européenne de l'entreprise se situe au Luxembourg", où le taux de prélèvement est très faible, comme le rappelle L'Obs (article réservé aux abonnés).
Une forte croissance qui n'est pas près de s'arrêter. Dans une tribune publiée en novembre dans Le Monde, deux professeurs spécialistes du sujet relevaient que "la multiplication de réseaux de partenaires et de programmes pour étudiants ont mis sur le marché bien plus d'ingénieurs familiers de la technologie AWS que de ses concurrentes (...). Plusieurs entreprises ont ainsi benoîtement avoué [au Congrès américain] avoir choisi AWS parce qu'on trouvait facilement des ingénieurs qui maîtrisent AWS".
4Son patron a été considéré comme "l'ombre" de Jeff Bezos
Signe de l'importance prise par les activités de cloud computing d'Amazon, c'est le patron et fondateur d'AWS, Andy Jassy, qui a été choisi par Jeff Bezos pour lui succéder à la tête de l'ensemble des activités du groupe au troisième trimestre 2021. "Andy est bien connu au sein de l'entreprise et il est chez Amazon depuis presque aussi longtemps que moi. Il sera un leader exceptionnel et il a toute ma confiance", a écrit le milliardaire dans un courriel adressé aux salariés de l'entreprise.
De quatre ans le cadet de Jeff Bezos, Andy Jassy a rejoint Amazon en 1997, lorsque l'entreprise se concentrait sur la vente et l'achat de livres. Après avoir été responsable du marketing puis de la musique, il est officiellement devenu au début de l'année 2002 "l'ombre" de son patron durant 18 mois.
"J'étais un peu comme son directeur de cabinet", expliquait l'intéressé en juin 2019 sur la scène du campus parisien de start-up Station F. "On passait tout notre temps ensemble, et on échangeait à la fin de la semaine sur les pistes qu'il fallait approfondir ou non. Pour lui, c'était un moyen d'élargir ses perspectives : j'étais dans la boîte depuis cinq ans et je connaissais bien les personnes avec qui il avait à travailler. Pour moi, c'était un moyen de découvrir des divisions de l'entreprise que je ne connaissais pas."
"Il était présent dès 2003 lors des réunions qui ont mené à la création d'AWS, avant d'en prendre la tête", ajoute Benoît Berthelot, qui décrit Andy Jassy comme une personne "en tout point semblable à son modèle, compatible à 100% avec la vision de l'entreprise de Jeff Bezos, même si son profil est peut-être un peu plus rond et plus diplomate" que celui de son prédécesseur.
Sa fortune, sans être comparable à celle de son actuel patron, reste en tout cas confortable : en novembre 2020, elle était estimée à 383 millions de dollars (318 millions d'euros), notamment grâce aux nombreuses actions Amazon qu'Andy Jassy détient.
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