Surproduction, gaspillage, gaz à effet de serre… Pourquoi le Black Friday est la bête noire des écologistes
Cette opération commerciale est lourde de conséquences pour la planète.
Des promotions "énormes", des opérations dites "exceptionnelles", des bagarres dans les rayons : pas de doute, nous sommes le vendredi 29 novembre, jour du Black Friday. Cette journée dédiée à la consommation et aux prétendues bonnes affaires, importée des Etats-Unis, s'est implantée en quelques années dans toute l'Europe.
Quelques voix s'élèvent toutefois pour dénoncer cette journée, qui pousse à la surconsommation. Des associations de défense de l'environnement appellent au boycott, et une poignée de marques font désormais de leur refus du Black Friday un argument marketing. En France, la secrétaire d'Etat à la Transition écologique Brune Poirson appelle les Français à "sortir d'une économie mortifère et un peu absurde", tandis que la ministre de l'Ecologie, Elisabeth Borne, veut les "convaincre de consommer autrement". Les députés ont donné leur feu vert à un débat, à partir du 9 décembre, sur l'interdiction de cette pratique commerciale.
Pourquoi les critiques se font-elles de plus en plus vives contre cet événement ?
Parce qu'il entraîne surconsommation et surproduction
Informatique, électronique, électroménager et habillement comptent parmi les secteurs les plus prisés, pendant ce "vendredi noir". Parfois déjà bien équipés, les consommateurs sont tentés d'accumuler, depuis l'essor, au début des années 2000, de la "fast fashion" (la "mode rapide", portée par les chaînes de vêtements à bas prix, comme Zara ou H&M).
La production de vêtements a doublé dans le monde entre 2000 et 2014, et pendant ce temps, les deux tiers des Français déclarent avoir acheté au moins un vêtement jamais porté, selon un rapport de 2016 de Greenpeace (lien en anglais). Plus précisément, "60% d'entre eux possèdent jusqu'à dix vêtements qu'ils n'ont jamais sortis de leur placard", estime un rapport Toluna/WincorNixdorf, daté de 2014.
Citée par le magazine américain Teen Vogue, Bronwyn Seier, de l'organisation britannique Fashion Revolution, déplore cet engrenage. "Il n'y a rien de mal à économiser pour s'offrir quelque chose dont vous avez besoin pendant les soldes. Mais en ce qui concerne les chaussures et les vêtements (...), cela vaut le coup de se demander si on en a réellement besoin."
Quand nous cédons à ces promotions et rabais, nous signifions aux entreprises qu'elles peuvent impunément produire à l'excès, au détriment des employés et des ressources naturelles.
Bronwyn Seier, de Fashion Revolutionà Teen Vogue
Le fondateur de l'organisation Global Fashion Exchange, Patrick Duffy, pointe quant à lui "notre dépendance à la consommation." Or, "les entreprises ne changeront pas, à moins que les consommateurs ne les forcent", explique-t-il à Teen Vogue.
Parce qu'il engendre du gaspillage
Les détracteurs du Black Friday invitent à boycotter l'initiative, mais aussi à profiter de cette journée pour appliquer les principes d'une consommation plus vertueuse, comme les achats de seconde main. Selon Greenpeace, la durée de vie des biens a raccourci de moitié, entre 1992 et 2002. Or, entretenir, réparer et remettre dans les circuits de la consommation des biens déjà utilisés, permettrait d'éviter le gaspillage induit par la surproduction.
Le documentaire "Soldes, tout doit disparaître", diffusé sur France 5 en 2015, montrait que les marques avaient plus intérêt à détruire les invendus, à cause des frais de stockage, qu'à les vendre moins chers. En ce qui concerne l'électronique, un rapport de l'ONU a estimé que seuls 20% des appareils jetés étaient réellement recyclés, comme le relevait National Geographic en 2018. Verdict : en plus d'utiliser des ressources (eaux, métaux rares, cotons, etc.) à la fabrication, ces biens deviennent une nouvelle pollution.
A contre-courant de la philosophie du Black Friday, le gouvernement français a ainsi lancé, mardi, une campagne pour promouvoir l'économie circulaire, baptisée "nos objets ont plein d'avenirs", en partenariat avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe).
Parce qu'il génère des gaz à effet de serre
Entretenir les biens, au lieu d'en changer régulièrement, permet de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre, principales cause du réchauffement climatique. Prenons un exemple : si la durée de vie moyenne des télévisions en France passait de huit ans à neuf ans, le gain environnemental s'élèverait à 1,7 million de tonnes de CO2. "On éviterait les émissions d'une ville de la taille de Lyon", résume Pierre Galio, chef du service consommation et prévention de l'Ademe. Par ailleurs, selon le programme environnemental de l'ONU, l'industrie de la mode génère à elle seule 10% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde.
Enfin, la ruée vers les sites de commerce en ligne à l'occasion du Black Friday induit un bilan carbone très lourd, dénoncent les ONG. A elle seule, l'activité de stockage d'Amazon a généré "55,8 millions de tonnes de gaz à effet de serre en 2018, soit l'équivalent des émissions du Portugal". Des accusations que l'entreprise, dont le patron Jeff Bezos a promis qu'elle atteindrait la neutralité carbone en 2040, réfute. Parmi les pratiques montrées du doigt par Attac, les Amis de la Terre et le syndicat Solidaires, figure aussi la livraison rapide. Citée par le site américain Bustle, Diana Verde Nieto, cofondatrice de Positive Luxury, pointe un "pic de pollution pendant le Black Friday et le Cyber Monday (une autre opération promotionnelle) en raison des livraisons".
Avec ces constats en tête, Jean-Louis Missika, adjoint à la Mairie de Paris, Ariel Weil, maire du 4e arrondissement, et Diana Filippova, cofondatrice de l’agence de communication Stroïka, ont signé, lundi 25 novembre, une tribune dans Le Monde demandant l'adoption d'une loi qui autorise les collectivités à créer une "écoredevance" sur la livraison à domicile. En période de Black Friday, écrivent-ils, "2,5 millions de livraisons sont attendues par jour, soit dix fois plus que le nombre de colis livrés quotidiennement le reste de l'année à Paris." Une pollution qui vient s'ajouter à celles causées par les emballages.
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