Qui sont ces "sugar daddies" prêts à payer pour rencontrer des jeunes filles "ambitieuses" ?
Alors que le site Suggardaddy.fr est accusé de proxénétisme, francetv info a cherché à connaître le profil de ces "papas gâteaux" qui se considèrent comme des mécènes ou qui assument rechercher des relations sexuelles.
"Sugar daddy cherche une jeune et jolie fille dispo un week-end sur deux." "Cherche jeune fille pour une aventure enrichissante (surtout pour elle)." Créé en 2010, le site Sugardaddy.fr (littéralement "papa gâteau") propose de mettre en relation des hommes "à l'aise dans la vie" avec des "jeunes femmes attirantes et ambitieuses". Un objectif controversé.
Une enquête préliminaire pour des faits éventuels de proxénétisme en bande organisée – confiée à l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) de la police judiciaire – a été ouverte, jeudi 10 avril, contre le site. Vendredi 4 avril, l'Equipe d'action contre le proxénétisme (EACP) déposait plainte pour "incitation à la prostitution".
Alors, prostitution dissimulée ou simple site de rencontre ? Qui sont ces hommes qui cherchent à "gâter" des jeunes filles qui ont la moitié de leur âge ? Francetv info est entré en contact par e-mail, chat ou téléphone, avec une dizaine d'entre eux. Voici ce qu'ils nous ont raconté.
Des mécènes généreux
Le principe du site, déjà bien connu aux Etats-Unis, est simple. Officiellement, les relations sexuelles ne font pas partie du contrat. Les deux partenaires s'engagent à partager une relation mutuellement bénéfique. Un "sugar daddy" sponsorise une "sugar baby", souvent une étudiante sans le sou, qui mise sur un homme fortuné pour financer son loyer ou ses études, en échange de sorties au restaurant ou au théâtre. Un accord qui s'apparenterait au mécénat.
Jean*, 67 ans, se présente au téléphone comme un professeur de droit à la retraite. Un homme cultivé et très à l'aise financièrement. Ce qu'il recherche, c'est "une jeune fille charmante, intelligente, avec de la conversation, que vous emmenez au restaurant, et non une prostituée". Il a déjà été le "mécène" d'une jeune femme rencontrée dans sa région. "Je l'ai aidée à financer son disque", précise-t-il. Il se dit avant tout philanthrope, "un bienfaiteur qui aide des jeunes filles dans le besoin".
Les photos de son profil se veulent avantageuses. Maxime*, 52 ans, pose fièrement devant sa voiture de luxe garée en face d'un hôtel quatre étoiles ou dans sa grande maison, proche du Luxembourg. Sur son profil, il promet "de combler sa jeune rencontre et de ne pas regarder à la dépense". Divorcé depuis plusieurs années, il dit être inscrit depuis 10 ans sur un site de rencontres traditionnel, et un an sur Suggardaddy.fr. Il a déjà eu plusieurs histoires. Des filles de l'âge de son fils. Et ne cache pas qu'il préfère "la compagnie d'une jeune femme plutôt que d'une vieille". Entendez : de plus de 35 ans. "J'ai les moyens alors pourquoi s'en priver", dit-il.
Sur le site, il propose aux jeunes filles, une relation durable, avec sorties au restaurant, week-ends, voyages, aide au loyer et cadeaux. "Plusieurs jeunes filles viennent me voir en me disant qu'elles en ont marre de leur petit ami de leur âge, de ne pas vivre, de ne pas voyager, de ne pas aller au restaurant, ou encore de rouler dans une voiture pourrie. Moi, je leur propose la grande vie."
Des curieux solitaires
La médiatisation récente du site, après la plainte déposée pour proxénétisme, a eu pour effet d'attirer des hommes pas toujours habitués aux sites de rencontres. Parmi ceux qui nous ont répondu, ils étaient nombreux à s'être inscrits par "simple curiosité". Pour entrer en contact avec d'autres internautes, ils se sont néanmoins acquittés d'un abonnement allant de 1,95 euro pour deux jours à 45 euros par mois, en fonction des options.
A 53 ans, Arthur*, qui vit en Haute-Savoie, explique avec timidité au téléphone avoir souffert de frustration et de manque d'affection durant les trente ans qu'a duré son mariage. Maintenant, il voudrait seulement "rattraper le temps perdu". Il s'est inscrit sur ce site un peu par hasard. Parce qu'il le trouve facile d'utilisation. Il se dit étonné d'avoir eu des propositions de relations tarifées de la part de très jeunes filles et assure avoir rencontré une majorité de femmes sincères et "pas trop vénales".
Jacques*, 65 ans, s'est lui aussi inscrit suite à la médiatisation du site. "Je ne vais jamais sur le net, ni sur Facebook, ni sur aucun site de rencontres. J'ai juste été curieux", confie-t-il par e-mail. Mais, il n'est pas dupe. Pour lui, la devanture du site cache parfois, en arrière-boutique, des propositions très professionnelles. Certaines femmes, dit-il, "sont des aguerries du système et arrondissent sans vergogne leurs fins de mois."
"Le concept est malgré tout attrayant car ce site déculpabilise les hommes", analyse par chat, Pierre*, 55 ans, qui le découvre pour la première fois. "Certaines étudiantes peuvent ainsi toucher de l'argent pour leurs études et ça rend la chose plus acceptable pour tout le monde", pense-t-il.
Des hommes cherchant une relation sexuelle
Jamais il n'est explicitement question de transaction financière sur le site Sugardaddy, qui emploie des formules ambiguës et joue sur de subtiles nuances. Mais de nombreuses jeunes femmes proposent des prestations sexuelles tarifées, affirment nos interlocuteurs.
David*, un Parisien de 44 ans, a répondu à nos questions par e-mail. Il assume complètement de fréquenter des jeunes filles alors qu'il est en couple. Il raconte avoir récemment rencontré une jeune fille de 21 ans sur le site et l'avoir payée 200 euros pour avoir des relations sexuelles. Lorsqu'on lui demande pourquoi il s'est inscrit sur ce site et surtout pourquoi payer, il répond simplement que "sur les autres sites, les femmes ne savent pas ce qu'elles veulent" et "que les rendez-vous ne se font jamais". Il "pourrait aller voir une escort pro" mais il préfère "une relation avec une étudiante".
"Je suis marié et je sais que ce n'est pas bien, mais je ne peux pas m'en empêcher", s'excuse au téléphone, Thomas*, 36 ans, habitué des sites de rencontres. Il vit à Neuilly, se présente comme un trader et dit ne pas chercher quelque chose de régulier, juste une relation, tarifée ou non, mais sans lendemain. Il a d'abord testé plusieurs sites de rencontres, dont un spécialisé dans l'adultère, "puis l'escorting, car plus discret". Il s'est inscrit sur Sugardaddy.fr, "il y a deux jours, à cause de sa réputation sulfureuse". Il raconte avoir discuté avec beaucoup de jeunes femmes sur le site, dont certaines tout juste majeures. Il se dit surpris par l'aplomb de "gamines de 18 ans prêtes à se vendre à un inconnu pour un sac de luxe et une suite dans un bel hôtel". "C'est vrai que le site est borderline, mais pas plus que d'autres qui poussent à tromper son conjoint. Et la définition de prostitution est très large... Est-ce que toutes les femmes qui se sont mariées pour l'argent sont des prostituées ?", se défend-il maladroitement.
Pour David, les femmes inscrites ne sont pas des professionnelles, même si la plupart sont habituées à ce genre d'arrangement financier. Il a bientôt un autre rendez-vous avec une jeune étudiante de 22 ans. "Tout est prévu en avance, la rémunération, la relation sexuelle, l'heure et le lieu de la rencontre."
Face aux accusations de proxénétisme, Vincent Veyrat-Masson, le cofondateur et gérant de Phoenix Corp – groupe qui édite une trentaine de sites de rencontres spécialisés dont Sugardaddy.fr –, a réfuté auprès de l'AFP toute illégalité dans sa démarche. "Notre ligne éditoriale se borne naïvement à prendre le contrepied d'un de nos autres sites appelé Cougar Rencontre qui cible des rencontres avec des femmes mûres – en proposant cette fois de trouver des hommes mûrs", soutient le jeune entrepreneur. Contacté par francetv info, il n'a pas donné suite à nos sollicitations.
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