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Pourquoi la taxe Gafa, qui vise les géants du numérique en France, est critiquée

Le texte est en débat à l'Assemblée nationale à partir de lundi après-midi et jusqu'à mercredi. Cette taxe française s'inspire d'un projet européen qui n'a pas abouti en mars, en raison des réticences de plusieurs pays.

Article rédigé par franceinfo
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Les logos des quatre entreprises qui composent l'acronyme Gafa : Google, Amazon, Facebook et Apple.  (RICCARDO MILANI / HANS LUCAS / AFP)

Le ministre de l'Economie y voit "une étape" vers une "fiscalité du XXIe siècle, plus juste et plus efficace". Bruno Le Maire a donné, lundi 8 avril, le coup d'envoi des débats à l'Assemblée nationale sur le projet de loi visant les Gafa, l'acronyme qui désigne Google, Amazon, Facebook et Apple. L'idée est d'imposer les géants du numérique à hauteur de 3% de leur chiffre d'affaires réalisé en France, notamment sur les publicités en ligne. La taxe doit concerner les entreprises qui font un chiffre d'affaires sur leurs activités numériques d'au moins 750 millions d'euros dans le monde et de plus de 25 millions d'euros en France.

Un impôt que la France s'apprête à lancer seule, faute de consensus entre les membres de l'Union européenne sur le sujet. Bien que l'Autriche ait un projet similaire, l'Irlande, la Suède, le Danemark et la Finlande y sont hostiles. Mais ils ne sont pas les seuls à critiquer le mécanisme de cette taxe Gafa à la française.

Une mesure "discriminatoire", pour les Etats-Unis

Washington juge cette taxe "extrêmement discriminatoire à l'égard des multinationales basées aux Etats-Unis". Le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, a encore exhorté, jeudi 4 avril, Paris à y renoncer. Car la France vise des groupes uniquement américains, même si elle a ensuite parlé de taxe plus générale sur les géants du numérique.

Bruno Le Maire a opposé une fin de non-recevoir à Mike Pence et répliqué que la France était "décidée" et "souveraine" en matière fiscale. Pour lui, les tensions avec Washington le renvoient au temps où il était conseiller du ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, lorsque la France s'était opposée à la guerre en Irak face à l'administration de George W. Bush, dont certains membres font aujourd'hui partie de la garde rapprochée de Donald Trump.

"Ce n'est pas tout à fait comparable à la guerre en Irak, car nous sommes aujourd'hui sur des tensions qui portent beaucoup plus sur des dossiers économiques, explique à l'AFP Sylvie Matelly, économiste et directrice adjointe de l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Mais il est vrai que les Etats-Unis (…) se permettent, sans aucun état d'âme, des atteintes à la souveraineté d'autres pays quand leurs intérêts sont en jeu", constate-t-elle. 

En ne visant que des entreprises américaines, dans le contexte actuel de guerre commerciale, vous fâchez forcément l'équipe autour de Donald Trump. Ce n'est pas très adroit et cela peut être contre-productif.

Sylvie Matelly, économiste et directrice adjointe de l'Iris

à l'AFP

Mais Bruno Le Maire espère que sa taxe Gafa servira de "levier" dans les négociations internationales. Il souligne que d'autres Etats européens comme l'Autriche ont des projets similaires. Il mise même sur un accord d'ici à 2020 au sein de l'OCDE et a laissé entendre dans un tweet que la France retirerait "naturellement sa taxe nationale" si tel était le cas.

Car l'échec européen sur la taxe a remis dans la course l'OCDE, où les discussions sur un accord mondial étaient bloquées depuis plusieurs années par Washington. 

"Une taxe qui porte mal son nom", selon Attac

Au contraire, pour l'organisation altermondialiste Attac, comme pour l'ONG Oxfam, le dispositif proposé dans le projet de loi est insuffisant. Près des deux tiers du chiffre d'affaires cumulé des cinq géants Facebook, Google, et surtout Apple, Amazon et Microsoft, aux activités majoritairement "hors numérique", ne seront pas couverts par la taxe, déplore Attac. "La taxe Gafa porte mal son nom, car elle ne concerne que le chiffre d'affaires numérique de ces sociétés", écrit l'association dans un rapport mis en ligne sur son site.

D'après les calculs d'Attac, 64% du chiffre d'affaires cumulé des Gafam (l'association y ajoute Microsoft) échapperont ainsi à la taxe. Dans son rapport, l'ONG estime en effet à 9,4 milliards d'euros le chiffre d'affaires réalisé grâce à des ventes en France qui ne sont pas déclarées dans l'Hexagone. En moyenne, ces entreprises dissimulent 74% de leur chiffre d'affaires, avec des écarts allant de 58% pour Amazon à 85% pour Google, selon Attac. Au vu de ces chiffres, "la France aurait dû profiter de plus de 600 millions d'euros d'impôt sur les sociétés en 2017 si la totalité de leur activité sur le territoire avait été déclarée", avance Attac. Avec la taxe Gafa du gouvernement, en 2017, les Gafam n'auraient payé que 162 millions d'euros.

Mais surtout, Attac craint que l'initiative de la France de faire cavalier seul ne soit contre-productive. L'ONG pense que les géants du numérique en feront un argument pour refuser tout nouvel impôt venu de l’Union européenne ou de l’OCDE. "La stratégie des Gafam serait alors de ne pas protester contre le projet français de taxation, pour mieux dénoncer les futurs impôts mis en place à l’échelle internationale, sur le thème de 'nous sommes déjà passés à la caisse en France, pas question d’instaurer de nouveaux impôts'", résume Libération.

"Une soucoupe" pour le PCF, "l'arbre qui cache la forêt" pour LR

Les Insoumis jugent la taxe "trop peu ambitieuse". Les communistes, eux, critiquent aussi son assiette "pas très large" assimilable à une "soucoupe" voire "un sous-bock en carton".

A l'inverse, le patron de LR, Laurent Wauquiez, a déploré dimanche dans Le JDD qu'"on taxe tout le secteur numérique… y compris nos entreprises". Il juge qu'"au final, ceux que cela pénalisera vraiment, ce sont nos propres champions". La droite fustige surtout comme un "revirement" l'article 2, qui prévoit que les grandes entreprises continueront à être taxées à 33,33% sur leurs bénéfices en 2019 via l'impôt sur les sociétés (1,7 milliard d'euros attendu), qui devait initialement baisser. Pour LR, la taxe Gafa est ainsi "l'arbre qui cache la forêt", cet article 2 pesant "quatre fois plus, en valeur". Cette idée est récusée par Bruno Le Maire. Le ministre a réaffirmé que le taux de l'impôt sur les sociétés serait ramené à 25% en 2022.

Par ailleurs, certains élus, notamment LR, se sont inquiétés d'une répercussion de cette taxe sur les consommateurs. Bruno Le Maire y voit un "mauvais argument", estimant notamment que les publicités consultées "bon gré mal gré" sur les smartphones ne requièrent aucun paiement. En dehors de la majorité, le PS est le seul parti à soutenir un projet de loi qui selon lui "va dans la bonne direction".

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