Paralympiques 2024 : "Un repère, le mât de l'équipe"… Au cécifoot, les gardiens, seuls joueurs voyants, manient l'art de la communication
"Ça vient", "un mètre : barrière", "gauche", "recule"… Du dimanche 1er au samedi 7 septembre, ces mots vont retentir dans toutes les langues au pied de la tour Eiffel, où se déroulera le tournoi paralympique de cécifoot. Au football pour personnes aveugles, joué à cinq contre cinq sur un terrain entouré de barrières, la communication est la clé pour progresser vers le but adverse.
"Au plus haut niveau, toutes les demi-secondes gagnées sont importantes, assure le défenseur international Gaël Rivière, en retirant son bandeau des yeux à l'issue d'un entraînement des Bleus dans un complexe de foot à 5 de Meudon (Hauts-de-Seine), durant lequel il a multiplié les tacles bien sentis. C'est capital de savoir quand ton équipe a gagné ou perdu le ballon. Mais quand nous, les joueurs de champ, on est pris par l'intensité du jeu, on n'a parfois pas le temps de dire 'j'ai' ou 'perdu'." Raison pour laquelle le gardien, seul joueur voyant de l'équipe, a un rôle bien particulier.
Le "manager de la défense"
Au cécifoot, l'aire de jeu est séparée en trois parties. Une première sur le front offensif, où un guide placé derrière le but adverse avertit les attaquants quand le ballon s'y trouve. Au milieu de terrain, il n'y a que l'entraîneur qui a le droit de communiquer. Même chose dans la zone de défense avec le gardien, qui ne peut pas s'aventurer à plus de deux mètres de sa cage.
En plus de protéger son but avec des réflexes qui se rapprochent davantage du handball, la mission du portier est donc de "manager la défense", explique le sélectionneur tricolore, Toussaint Akpweh. Pour cela, il va solliciter l'ouïe, et parfois le toucher de ses partenaires. Contrairement à la plupart de ses collègues de la corporation, débarqués dans le cécifoot presque par hasard après une banale discussion avec un adepte de la discipline, Benoît Chevreau était déjà sensibilisé à la question du handicap par sa grand-mère, bénévole dans une association pour personnes atteintes de cécité. L'un des deux gardiens de l'équipe de France paralympique (avec Alessandro Bartolomucci) a ainsi vite compris sa tâche à ses débuts en 2015.
"Ce n'est pas du guidage : je suis comme une source d'information et de compréhension du jeu supplémentaire pour le joueur de champ. Mais lui reste le maître de ses décisions."
Benoît Chevreau, gardien de l'équipe de France de cécifootà franceinfo: sport
"La prise et l'analyse d'informations est très importante pour nous, on en reçoit beaucoup en même temps et il faut avoir la capacité de trier celles dont on a besoin à l'instant T… Cela va tout le temps à mille à l'heure", décrit le défenseur Hakim Arezki, médaillé d'argent à Londres en 2012, à l'approche de ses troisièmes Jeux. Quand le gardien énonce quelque chose, les joueurs doivent l'entendre dans le brouhaha ambiant, mais également garder leur attention sur le bruit du ballon à grelots pour le situer, sur la présence des adversaires, ou encore sur la zone où trouver un partenaire.
D'où la nécessité pour les derniers remparts d'optimiser leur communication, avec une question comme boussole : comment mon coéquipier va-t-il recevoir l'information que je lui transmets ? "Ils peuvent changer l'intonation et le son de la voix, et aussi les formulations en variant sur le nombre de mots. Quand un athlète est en train d'agir sur un projet défensif, une phrase est un handicap. C'est contre-productif, presque dangereux. Il faut donc aller au plus concis, que les mots claquent", souligne Toussaint Akpweh, à la tête de la sélection depuis 1998.
Mais si le vocabulaire employé s'approche de celui du foot à 11, les portiers tentent le plus souvent de s'adapter aux sensibilités de chacun des joueurs déficients visuels. "Par exemple, si je dis 'à gauche', je sais que certains défenseurs vont avoir tendance à faire un pas chassé, quand d'autres feront une rotation vers la gauche. Ce n'est pas exactement la même chose", détaille Lucas Grosset, gardien du RC Lens Cécifoot, régulièrement appelé en équipe de France depuis deux ans.
"Je me force à m'adapter aux préférences des joueurs, à ne pas forcément utiliser un discours universel. Il faut parler, mais parler intelligemment, pour les mettre dans un meilleur confort."
Lucas Grosset, gardien international de cécifootà franceinfo: sport
L'autre particularité concerne les relances. "Lors de ma première sélection en équipe de France, j'ai fait le voyage avec le sélectionneur de l'époque et, dans le train, il m'a dit de profiter du début du stage pour savoir quel joueur voulait avoir son ballon dans quelles dispositions", poursuit Benoît Chevreau, qui évolue à Schiltigheim, dans la banlieue de Strasbourg.
Autrement dit, "le facteur temps joue sur la complicité sur et en dehors du terrain", confirme Hakim Arezki, qui a perdu la vue lors d'une manifestation étudiante en Algérie en 2001. "Bien indiquer quand il y a un escalier, un trottoir... Ces petits détails, ça fait partie de la confiance et ça se ressent aussi dans le jeu", juge Lucas Grosset. Une présence dans la vie commune que recherche le coach Toussaint Akpweh, selon qui le gardien "doit être un repère, comme le mât de l'équipe".
Influencer les choix des attaquants
Reste qu'avec seulement la partie défensive du terrain pour s'exprimer – dans les douze derniers mètres "voire un peu plus si on gratte avec un peu de vice", dixit Lucas Grosset – les gardiens doivent s'accorder en amont avec le sélectionneur et le guide offensif sur la stratégie à mener. Histoire de ne pas créer trop d'interférences au moment de se passer le relais dans la communication.
Mais, alors que tous les acteurs sur le terrain tentent de trier la multitude d'informations émises, le patron de la défense peut également tenter d'influencer les décisions prises par les adversaires. Dans ce cas-là, chacun y va de son petit conseil. Si Benoît Chevreau a tendance à "saturer le son de sa voix pour empêcher l'attaquant de récupérer le ballon dans la zone", Lucas Grosset essaie de forcer la frappe.
"Le fait qu'il m'entende, je sais que ça peut accentuer son envie de tirer et moi, à ce moment-là, je suis prêt. D'ailleurs, mes défenseurs sont au courant. Ils savent qu'ils doivent se mettre absolument entre le ballon et le but pour maximiser les chances de contre quand je hausse le ton", révèle le Lensois, qui, en dehors de cette phase, s'exprime "toujours avec calme, y compris en situation d'urgence" pour ne pas perturber la sérénité de ses coéquipiers.
Au contact de ces derniers, de véritables "forces de la nature", les gardiens ont de leur propre aveu tous appris sur le plan humain grâce à la pratique du cécifoot. "Je suis quelqu'un de très timide et introverti à la base et cette discipline m'a permis de m'ouvrir", précise Benoît Chevreau. Une alchimie collective qu'il s'agira pour les Bleus de faire fructifier cet été, dès la phase de poules contre la Chine (dimanche 1er septembre), le Brésil (2 septembre), champion paralympique en titre, et la Turquie (3 septembre), pour faire oublier la 8e place de Tokyo et s'offrir une médaille à domicile. Passage obligatoire pour encore faire grandir ce sport et démocratiser son accès. Un enjeu sociétal pour l'après-Paris 2024.
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