Jeux paralympiques de Paris 2024 : voyager dans la capitale, une épreuve pour les spectateurs en situation de handicap ?
En bordure de Paris, entre Saint-Ouen et Saint-Denis, pousse en ce moment un quartier atypique. 100% des logements y seront accessibles aux personnes en situation de handicap, bien au-delà des 20% prévus par la loi. Le village olympique et paralympique, qui deviendra une zone d'habitation après les Jeux de Paris 2024, se veut un modèle d'adaptation aux besoins des milliers d'athlètes qui participeront aux Jeux paralympiques dans un an, du 28 août au 8 septembre.
"On a le sentiment de réfléchir à la ville de 2030", se réjouit la Solideo, l'organisme public chargé des travaux, dans Le Parisien. Mais qu'en sera-t-il pour les spectateurs ? Les organisateurs attendent 350 000 personnes en situation de handicap sur la durée des deux compétitions. Et leurs conditions d'hébergement, de déplacement et d'accueil en tribunes suscitent davantage d'inquiétudes. En janvier, la présidente d'APF France Handicap s'inquiétait d'un "scénario catastrophe" dans Le Journal du dimanche.
Des bénévoles formés pour l'occasion ?
Les associations n'expriment pas d'inquiétude particulière sur les infrastructures sportives, où de nombreux travaux d'adaptabilité sont prévus. "On se pose beaucoup de questions sur la formation des bénévoles", explique en revanche Annette Masson, présidente de l'association Tourisme et handicaps. Aider les personnes en situation de handicap à circuler sur les lieux des épreuves suppose des connaissances spécifiques.
"Par exemple, un fauteuil roulant ne se manipule pas en marche avant, pour ne pas risquer de faire tomber la personne."
Annette Masson, présidente de l'association Tourisme et handicapsà franceinfo
"Pour guider une personne aveugle et qu'elle se sente en sécurité, poursuit-elle, on ne lui prend pas le bras, c'est elle qui prend celui de son guide." Annette Masson alerte également sur le besoin de connaître le vocabulaire du handicap en anglais, les visiteurs venant du monde entier. Des formations ont déjà eu lieu pour les bénévoles qui assisteront les athlètes paralympiques. Mais l'essentiel du travail reste à faire, car la sélection des volontaires n'est pas achevée.
Une offre de logement peu lisible
Mais avant de prendre place dans les gradins, les spectateurs concernés devront trouver un logement. Une quête qui comporte davantage d'obstacles quand celui-ci doit être adapté. "La France a un grand retard", déplorait Patrice Tripoteau, directeur général adjoint d'APF France Handicap, dans Le Monde. Ce dernier estime à seulement 3 500 le nombre de chambres adaptées en région parisienne. La Délégation interministérielle aux Jeux olympiques et paralympiques (Dijop) évoque de son côté 4 500 chambres à Paris, sans compter le reste de l'Ile-de-France. Un décompte difficile à établir : en avril, le gouvernement lançait d'une consultation pour dresser "un état des lieux" des hôtels et restaurants accessibles.
Une plateforme officielle en ligne, Accèslibre.beta.gouv, est censée servir d'annuaire. Du moins pour un public francophone, puisqu'elle n'est consultable dans aucune autre langue. Sur la carte en ligne, le choix n'est pas large et ne reflète pas la réalité de l'offre, pourtant déjà insuffisante. Aucun hôtel ni restaurant n'est répertorié à Saint-Denis, la ville du Stade de France. Et ce, alors que plusieurs établissements proches de l'enceinte assurent, sur leurs propres sites, être équipés pour accueillir les personnes à mobilité réduite. Des "ambassadeurs de l'accessibilité" doivent être déployés pour convaincre les hôteliers de se recenser sur la plateforme ou d'engager des travaux pour adapter leurs chambres.
Responsable de l'attribution d'un label certifiant qu'un établissement est adapté aux besoins de toutes les personnes en situation de handicap, Annette Masson constate au quotidien des écueils chez des hôteliers qui se pensent équipés.
"Des professionnels disent qu'ils ont des chambres adaptées, mais quand on leur demande ce que ça veut dire, ils ne parlent que du handicap moteur."
Annette Masson, présidente de l'association Tourisme et handicapsà franceinfo
Chaque forme de handicap suppose pourtant des aménagements différents. Les personnes malentendantes ont par exemple besoin d'un signal d'alarme visuel en cas d'alerte de sécurité. Pour le gouvernement, il est encore temps d'engager des travaux dans l'hôtellerie et la restauration : 100 millions d'euros du plan handicap y seront consacrés, explique l'entourage de la ministre déléguée au Tourisme, Olivia Grégoire, dans Le Parisien. Dans ce cadre, les hôteliers pourront solliciter des aides à partir d'octobre. Mais beaucoup de visiteurs ont déjà pris leurs billets et cherchent dès maintenant un logement adapté.
Le métro, un obstacle insurmontable
Autre difficulté majeure, une fois sur place : l'accès aux transports, le seul point noir relevé par les observateurs à l'issue des derniers Mondiaux de para-athlétisme, en juillet, qui faisaient figure de test. "Ça nous a permis de voir qu'il restait pas mal de choses à régler", explique le directeur des opérations de la compétition, Adrien Balduzzi, dans Le Monde. Notamment dans les aéroports, qui ont dû "s'adapter pour faire face à un volume de matériel parasportif qui ne correspondait pas toujours à celui estimé".
En juillet, Nicolas Savant-Aira, champion de tennis de table handisport, racontait sur LinkedIn les défaillances de l'accueil à Roissy-Charles-de-Gaulle ayant conduit selon lui à la casse d'un fauteuil d'un des membres de l'équipe de France :
"Je souhaite le plus grand courage à l'ensemble des délégations qui vont venir l'année prochaine."
Nicolas Savant-Aira, parapongistesur LinkedIn
Si les athlètes se passeront des transports en commun, les spectateurs n'y échapperont pas. Ils se heurteront aux limites du métro parisien, que les associations dénoncent depuis longtemps. Elles prenaient acte dès 2017, année de la désignation de Paris comme ville hôte, de l'absence de projet pour y remédier : "Compte tenu de l'ancienneté du réseau, les travaux sont en effet jugés trop complexes, trop chers et non-prioritaires", écrivaient alors le président de l'APF, Alain Rochon, et la présidente du comité paralympique, Emmanuelle Assmann, dans une lettre au Premier ministre, Edouard Philippe. "Il ne s'agit pas d'une question d'argent, mais d'infaisabilité technique pour respecter les critères de sécurité", expliquait Ile-de-France Mobilités à franceinfo.
Equiper les stations d'ascenseurs et d'abris incendie de la bonne taille n'est pas forcément impossible, concluait en 2021 une étude du gestionnaire du réseau concernant la ligne 6. Mais la facture est évaluée à 700 millions d'euros et les travaux prendraient au moins six ans, selon Valérie Pécresse, la présidente d'Ile-de-France Mobilités, citée par Le Parisien. Trop tard, donc, pour les Jeux olympiques et paralympiques, pendant laquelle la carte du métro accessible se résumera aux stations les plus récentes et à la ligne 14, si les ascenseurs et escalators ne sont pas en panne. Annette Masson plaide pour la création d'une application pour informer en temps réel du fonctionnement de ces infrastructures essentielles et éviter aux usagers de mauvaises surprises.
Des navettes pour compenser les lacunes
De vrais progrès ont été faits sur d'autres lignes, notamment les RER et Transiliens. Ile-de-France Mobilités promet 268 gares adaptées à l'accueil des personnes en fauteuil d'ici à 2025 (sans s'engager pour un nombre d'ici aux Jeux) et revendique d'avoir déjà rendu les RER A et B 100% accessibles, même si le système demande de prévenir en avance les agents en station. Le réseau de bus a aussi fait l'objet d'aménagements, notamment pour surélever les trottoirs au niveau des rampes d'accès des véhicules. En pratique, malgré ces efforts, le trop-plein de voyageurs sur les lignes qui desserviront les sites olympiques risque d'en compliquer l'accès.
"L'idée n'est pas de miser sur les transports [en commun] pour les personnes en fauteuil", reconnaissait le directeur général d'Ile-de-France Mobilités dans 20 Minutes. Pour elles, les organisateurs comptent mettre en place un système de navettes, que les spectateurs concernés devront réserver, et qui relieront les sites sportifs et les six grandes gares parisiennes. Mais sa mise en place pose encore des questions : par quel moyen les personnes rejoindront-elles les points de départ des navettes ? Celles-ci circuleront-elles aux horaires les plus tardifs des épreuves ? Et surtout, où trouver suffisamment de véhicules adaptés, alors que l'offre existante doit déjà répondre aux autres besoins ?
L'organisation devra se montrer incitative, comme le gouvernement l'a été avec les taxis, par exemple. Une aide a été votée par l'Assemblée nationale pour financer jusqu'à 40% l'acquisition par les chauffeurs ou leurs compagnies de véhicules adaptés aux fauteuils roulants. Avec l'objectif, ambitieux, de passer de 200 à 1 000 véhicules d'ici aux Jeux. "Cela reste un pansement sur une jambe de bois", regrette Juliette Pinon, chargée de mission sur les Jeux au sein de l'Uriopss Ile-de-France, qui regroupe des associations du secteur social et sanitaire. "Ces taxis resteront après 2024, mais ils auront un coût pour la personne", qui pourrait être bien supérieur à celui des transports en commun. Reste que cette évolution de l'offre pourrait "constituer un héritage" de l'événement, espérait la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, en 2022. Et rendre Paris durablement plus accueillant pour les visiteurs en situation de handicap.
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