Paris 2024 : "Dans l’inconscient collectif, le parasport ce sont les personnes en fauteuil", les athlètes atteints de handicaps invisibles encore mal compris
"Une personne valide m’a déjà dit que je jouais la morte-vivante en face de la table parce que j’avais battu sa copine valide. Mais je ne joue pas la morte-vivante, je bouge simplement moins que les autres et je souffre. Ce n’est en aucun cas du cinéma", raconte Thu Kamkasomphou, double championne paralympique de tennis de table. La para pongiste française née au Laos souffre d’une périartérite noueuse, une maladie qui rend les vaisseaux sanguins trop fins, ce qui provoque des plaies ainsi qu’une mauvaise irrigation et oxygénation des jambes. Un handicap invisible qui, comme tant d’autres, reste mal compris par le grand public à un an des Jeux paralympiques de Paris.
"Dans l’inconscient collectif, le parasport, ce sont les personnes amputées ou en fauteuil", résume Dimitri Jozwicki, quatrième du 100 mètres dans sa catégorie de handicap (T38, coordination limitée), lors des derniers Jeux. Le sprinteur souffre d’une tétraparésie, une paralysie partielle des quatre membres, qui limite sa motricité et son amplitude de mouvements en raison d'une contraction involontaire de ses muscles vers la flexion. "Mais c’est de l’éducation, et je n’en veux pas à la population de ne pas connaître les handicaps invisibles. Si tu vas sur un parking, le logo de la place pour handicapés, c’est une personne en fauteuil. Si tu vas aux toilettes, c’est pareil. Alors forcément, dans la représentation sociétale, c’est ce qui ressort", poursuit Dimitri Jozwicki.
Cette représentation du handicap, c’est celle qu’avait Mathieu Thomas, joueur de para badminton, avant qu’une tumeur cancéreuse lui soit détectée dans le bas-ventre à 17 ans. Durant l’opération visant à l’éliminer, le nerf passant dans cette tumeur lui est retiré, le laissant avec une paralysie de la cuisse droite, qui l’empêche désormais de fléchir la jambe : "Je n’ai pas accepté et j’ai caché ce handicap pendant 13 ans, j’ai réappris à marcher, parce que je n’avais pas envie d’appartenir à la vision qu’on a du handicap, de quelqu’un qui n’est plus capable, sur lequel les gens portent un regard de pitié. Je pensais être le seul à être mal compris, parce que comme c’est un handicap invisible, on n’en parlait pas".
9 millions de personnes souffrent d'un handicap invisible
Seul, Mathieu Thomas ne l’est pas vraiment, puisque 80% des personnes en situation de handicap sont atteintes d'un handicap invisible, soit 9 millions de personnes, selon l’association APF France handicap. Pour autant, la plupart des athlètes qui souffrent de ce genre de pathologies ont déjà fait face à des remarques parfois blessantes. "Beaucoup pensent que c’est dans la tête, parce que c’est invisible, et qu’il y a des jours où ça va, d’autres où ça ne va pas. Même encore certains médecins, quand on ne trouve pas la cause des douleurs, te disent de faire un effort", témoigne le numéro 6 mondial dans sa catégorie (SL3) de para badminton. "Quand j’ai demandé la carte de stationnement handicapé auprès de la MDPH [Maison départementale des personnes handicapées], on m’a répondu : ‘Monsieur, vous savez courir le 100 mètres, vous pouvez bien marcher 500 mètres’. Mais ça n’a aucun rapport, on peut être fatigué de marcher 500 mètres", raconte Dimitri Jozwicki.
Cette situation de handicap invisible peut aussi s’avérer être un désavantage dans la recherche de sponsors. "Ça va mieux désormais grâce à mon palmarès, mais ça a été plus difficile, affirme Thu Kamkasomphou, para pongiste. Les gens ne me croient pas, il faut limite enlever mon pantalon et montrer mes plaies pour que les gens se disent que je suis touchée par un handicap, alors que si j’étais en fauteuil ou amputée, je ferais partie des handicapés".
Des opérations de sensibilisation nécessaires
Au-delà de remarques qui peuvent être blessantes, les athlètes dont le handicap est invisible sont souvent questionnés sur les raisons de leur invalidité. "Quand j’ai fait ma première compétition IPC [organisée par le Comité International Paraympique], j’ai débarqué dans une cantine et beaucoup m'ont demandé ce que je faisais là. Une personne en fauteuil roulant m’a demandé quel était mon handicap parce que je n’avais rien en apparence. Je lui ai expliqué, et ça ne me dérange pas quand la question est posée gentiment", confie Gloria Agblemagnon, lanceuse de poids atteinte d’une déficience intellectuelle. "La plupart du temps, on nous demande une comparaison avec les valides, alors j'explique que les meilleurs de ma catégorie font à peu près les mêmes chronos que les meilleures femmes valides sur 100 mètres, entre 10 et 11 secondes", ajoute Dimitri Jozwicki.
Pour une meilleure compréhension et une meilleure connaissance des handicaps invisibles, les athlètes atteints participent régulièrement à des opérations de sensibilisation. "Quand je fais des interventions en école ou en entreprise, je ne me contente pas de raconter ma vie, je mets les personnes en situation. Les gens ne vont pas comprendre les termes médicaux utilisés pour expliquer notre handicap, alors dans un atelier, je leur mets des poids aux chevilles et aux poignets. Même si mes chevilles et mes poignets ne pèsent pas plus lourd que ceux de quelqu’un d’autre, ça montre au moins que le corps est contraint dans ses mouvements. Après un petit parcours d’obstacles, ça parle davantage aux gens", explique Dimitri Jozwicki, selon qui la sensibilisation permet aussi de "mieux apprécier et mesurer les performances d’un sportif handisport". Mathieu Thomas, lui, utilise le même procédé, en équipant ses interlocuteurs d'atèles pour maintenir la jambe raide.
La sensibilisation commence aussi dès le plus jeune âge, dans les établissements scolaires. "J’interviens le plus souvent auprès des écoles primaires, et ce qui est génial avec les enfants de cet âge-là, c’est qu’en général, on ne leur a jamais parlé du handicap, et en leur expliquant, ils ne vont en aucun cas se moquer. Ces interventions sont des victoires pour moi", témoigne Thu Kamkasomphou. Gloria Agblemagnon, qui a connu la discrimination au collège, s’adresse elle aussi à un jeune public : "On entend pas mal de cas de harcèlement dans les établissements scolaires, parfois en raison du handicap d’un élève, qui n’est pas toujours connu. Moi ça m’est arrivé, dans les classes spécialisées pour l’inclusion scolaire, dont les élèves recevaient des insultes comme ‘gogole’. Je veux leur faire comprendre que ce n’est pas parce qu’on a un handicap qu’on est des monstres".
Il reste néanmoins des progrès à faire pour rendre le handicap invisible plus visible aux yeux du grand public. "Nous ne sommes pas du tout représentés sur les affiches et les outils de communication des Jeux paralympiques. Déjà, ils montrent désormais des personnes debout aux côtés de personnes en fauteuil, et c’est une avancée, mais comme le handicap est invisible, c’est difficile de le mettre sur une affiche, on pourrait croire que c’est un athlète valide à côté d’un athlète handisport. C’est peut-être ça la campagne à faire désormais, de montrer la multitude d’athlètes pour mieux ancrer le handicap invisible parmi les autres formes d’invalidités", suggère Mathieu Thomas.
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