: Reportage Paris 2024 : l'élite européenne de l'escrime fauteuil fourbit ses armes à Paris à moins de six mois des Jeux paralympiques
À peine les portes de l'enceinte franchies que, déjà, le bruit des lames qui s'entrechoquent résonne avec fracas. Au milieu des passes d'armes clinquantes, des râles de satisfaction s'échappent de la bouche des athlètes lors de chaque touche, comme pour mieux intimider son adversaire et imposer son rythme.
Le visage concentré mais détendu, Marc-André Cratère fait le nécessaire pour s'imposer lors de l'un de ses premiers matchs de la phase de poules, mardi 5 mars. Le sabreur français évoluant en catégorie B (handicap ne permettant pas la mobilité volontaire du tronc) peut compter sur le soutien de plusieurs amis venus le soutenir dans ces championnats d'Europe d'escrime fauteuil.
Un peu plus de quatre mois après la Coupe internationale de rugby fauteuil, la Halle Georges-Carpentier est le berceau d'une autre compétition majeure de parasport. Pour l'occasion, la salle située dans le 13e arrondissement de Paris a perdu l’une de ses quatre tribunes au profit de plusieurs pistes de couleur bleue, jaune, rouge ou verte, où les tireurs du monde entier s’affrontent jusqu'au 10 mars.
Des stars et une organisation rodée avant les Jeux
"La Halle Carpentier est un haut lieu d'escrime en France, c'est par là que passent tous les jeunes sur les compétitions nationales, précise la tireuse tricolore Brianna Vidé. Je n'ai jamais eu la chance de concourir ici donc c'est un grand honneur d'être de la partie cette semaine. En plus, on a une organisation digne d'un grand événement. On se met en condition comme si c'était les Jeux."
Tous le répètent à l'envi : ces championnats d'Europe - qui comptent dans le parcours de sélection paralympique - sont une répétition générale avant ce qui les attend dans la capitale l'été prochain. Il suffit de voir passer dans les couloirs la star italienne du fleuret Bebe Vio, double championne paralympique en 2016 et 2021, pour comprendre en un coup d'œil l'importance de l'événement.
"C'est une icône, aujourd'hui c'est très difficile de la battre et l'Italie est notre rival depuis plusieurs années, confesse Jean-Loup Boulanger, entraîneur national de l'équipe de France, en charge notamment du fleuret. Mais si on prend un peu de recul, sur les trois armes (sabre, épée, fleuret), aussi bien en individuel qu'en équipes, on a des moyens et des possibilités pour faire de belles choses."
La voix déjà sérieusement enrouée après seulement une matinée de compétition, Jean-Loup Boulanger prend le temps de revenir sur les particularités de cette discipline, née au lendemain de la Seconde Guerre mondiale dans un hôpital militaire du nord de Londres, à Stoke Mandeville. D'abord activité de rééducation pour faire travailler leur équilibre aux vétérans blessés à la moelle épinière, l'escrime fauteuil s'est fait sa place au point de figurer au programme des Jeux paralympiques depuis sa première édition, en 1960.
"On retrouve des athlètes qui ont eu un accident de vie et ne peuvent plus se mouvoir correctement sur une piste avec leurs deux jambes. À part le fauteuil et la plateforme handifix au sol pour maintenir sa stabilité, c'est la même pratique : pour le sabre, on touche tout le haut du corps, l'épée c'est tout le corps en général sauf la jupe qui protège les jambes, et le fleuret, c'est le tronc et une petite partie du masque."
Jean-Loup Boulanger, entraîneur national de l'équipe de France d'escrime fauteuilà franceinfo: sport
À l'abri des regards, derrière la tribune centrale, un atelier mené par deux animateurs permet aux spectateurs de venir tester la discipline. Si les armes sont factices, l'immersion est réelle à en croire Aminata, élève de 6e au collège Jean Perrin dans le 20e arrondissement. "C'était trop cool, j'avais déjà testé le fauteuil mais à un moment mon adversaire a tapé sur mon doigt, ça m'a fait un peu mal !", raconte-t-elle en souriant.
Au centre de l'arène, les duels se poursuivent et la première finale dans le tableau masculin, en sabre, est annoncée. Sans trembler, l'Anglais Piers Gilliver remporte le titre en catégorie A (handicap affectant au moins un membre inférieur) après avoir éteint la concurrence. Champion paralympique à l'épée à Tokyo, il est également l'une des têtes d'affiche du tournoi, ce que reconnaît le tireur français Ludovic Lemoine, éliminé sèchement (15-2) face à lui en quarts de finale. "Il est toujours en train de rigoler, c'est le flegme anglais ! On l'a déjà vu prendre des tempêtes, mais mentalement il ne bouge pas et remonte toujours, touche par touche. C'est chirurgical, compliqué de le faire dérailler... Il a cette explosivité, une amplitude de bras phénoménale, il arrive à masquer son intention et à ne pas bouger l'épaule, son jeu est très dur à lire", analyse-t-il.
Les voyages de Gilliver
Légende de l'escrime fauteuil tricolore avec pas moins de 10 médailles paralympiques à son palmarès, Robert Citerne acquiesce en se joignant à la discussion. D'autant plus que "Bob le ouf" est tombé lui aussi contre Gilliver (15-6) en 8es de finale.
Le vétéran de l'équipe de France (63 ans) a vu sa discipline se transformer depuis ses premiers Jeux disputés à Séoul en 1988. "Ça n'a presque plus rien à voir, il y a eu l'arrivée des Hong-Kongais, des Chinois et puis la technologie a avancé avec les fauteuils, les poignées... Ça m'a excité de voir ça, donc j'ai voulu continuer", raconte-t-il. Aujourd'hui, le directeur sportif du club de Levallois est là pour apporter son expérience aux jeunes espoirs français, à l'image de Clémence Delavoipiere, Luca Platania ou Brianna Vidé. "On a un collectif très hétéroclite, confirme cette dernière. On se retrouve en stage une fois par mois environ, et ensuite ce sera toutes les deux semaines dans la dernière ligne droite vers les Jeux. Ça crée des liens forcément, et ça nous permet de développer notre force en équipe."
Maxime Valet ouvre le compteur des Bleus
Alors que la fin de journée approche, les yeux se fixent sur Maxime Valet. Médaillé de bronze par équipe à Tokyo au fleuret - la seule médaille tricolore en escrime fauteuil - le Toulousain débloque le compteur de la délégation française en décrochant le même métal au sabre (catégorie B). "Je suis frustré, ce n'est pas celle que j'étais venu chercher", confiera-t-il quelques minutes après sa défaite en demi-finales. S'il en faut plus pour l'atteindre, il compte se servir de cette défaite pour revenir encore plus fort cet été.
"On sent qu'il se passe quelque chose avec Paris 2024, qu'il y a un engouement pour les premiers Jeux paralympiques d'été de l'histoire chez nous, en France, assure-t-il. Quand on voit toutes les écoles qui étaient là aujourd'hui, j'aurais bien aimé les avoir pour pousser derrière moi sur les quelques touches qui m'ont manqué. Mais dans la nef du Grand Palais, on sait qu'il y aura du monde. Ce sera magique et ça va nous porter", promet-il.
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