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Tokyo 2021 : pourquoi 44 pays ne participent-ils pas aux Jeux paralympiques alors qu'ils étaient présents aux JO ?

Calcul simple : 206 pays aux JO - 162 pays aux JP = 44 pays qui ont piscine ou poney pendant la quinzaine des Paralympiques. Les raisons sont plus complexes qu'un simple manque de moyens ou d'athlètes.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Les drapeaux des pays participants brandis lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux paralympiques de Rio, le 7 septembre 2016 à Rio de Janeiro (Brésil). (RAPHAEL DIAS / GETTY IMAGES SOUTH AMERICA)

En juillet, 206 pays ont défilé dans le stade olympique de Tokyo pour la cérémonie d'ouverture et ont participé aux épreuves. Pour la grande fête qui marque le début des Jeux paralympiques, le 24 août, ils étaient une cinquantaine de moins dans la capitale japonaise : 162 pays ont pris part à l'événement. Comment expliquer une telle différence ? 

Demandez à un historien, il vous parlera forcément temps long et antériorité des Jeux façon Coubertin, rebootés à Athènes en 1896. "Les Jeux olympiques n'ont atteint un total de 159 nations participantes qu'en 1988, 92 ans après leurs débuts, insiste Ian Brittain, mémoire vivante du mouvement paralympique. Les Jeux paralympiques ont débuté il y a 61 ans seulement*." Certes. On peut quand même noter un certain plafonnement du total d'engagés depuis les Jeux de Londres (autour de 160). Avant, le nombre de participants gagnait une dizaine tous les quatre ans. Minimum. Mais ce serait trop simple de penser que les pays qui ont rejoint la grande famille olympique se convertissent au paralympisme dans la foulée.

L'"aumône" pour le handisport

Quand on interroge les principaux intéressés, la question du budget arrive presque immédiatement. "Le comité olympique du Vanuatu reçoit des sommes extravagantes de la part du CIO. Quant à nous, le Comité international paralympique nous octroie de temps à autre une aumône", soupire Margaret MacFarlane, présidente bénévole du comité national paralympique du petit archipel de 80 îles éparpillées dans l'océan Pacifique. Pour preuve, les dotations pour 2020 du CIO se chiffrent en centaines de milliers d'euros* pour les comités olympiques nationaux (PDF, p.134), alors qu'on parle de milliers d'euros* pour leurs versants paralympiques. "Le comité olympique du Vanuatu dispose de son propre bâtiment. Les locaux du comité paralympique local, c'est ma cuisine et une table de café, de temps à autre… Pour aller aux Jeux, j'ai besoin de 50 000 dollars, alors que je reçois 1 000 ou 2 000 dollars de nos sponsors tous les ans. Tous les frais passent sur ma carte bleue personnelle… Alors oui, j'ai acquis une certaine expertise dans l'art de gratter des fonds, de taper aux bonnes portes et de flatter les consciences." Rarement "nerf de la guerre" a porté aussi bien son nom.

Le Vanuatu a fini par déclarer forfait pour les Jeux paralympiques de Tokyo. De guerre lasse. La perspective de cumuler les frais d'avion avec deux semaines de quarantaine, auprès d'une population qui a à peine reçu sa première dose de vaccin, d'emmener des athlètes qui n'ont jamais porté un masque de leur vie dans le métro tokyoïte (le Vanuatu applique une politique zéro Covid, comparable à ce que fait la Nouvelle-Calédonie)… a eu raison de leur motivation. "On n'y allait pas en touristes, soupire Margaret MacFarlane, intarrissable quand on la lance sur le sujet. Nous avions de réelles chances de médailles, de finales, notamment avec Ken Kahu, un type à qui j'ai appris les rudiments de sa discipline [le javelot] sur YouTube. Quant aux lanceurs de poids, on s'est débrouillés avec des cailloux. Je n'avais rien, je vous dis."

"On m'a donné 600 balles"

Un dénuement que retrouve Edward Maalouf, qui a représenté le Liban à Pékin en 2008 et à Londres quatre ans plus tard. L'aide d'un comité paralympique digne de ce nom en moins. "A Pékin, j'étais chef de mission, patron de ma délégation, comptable et intendant, sourit le coureur cycliste handisport, depuis exilé aux Pays-Bas. J'avais loué un appartement un mois avant le début de la compétition, je m'étais entraîné tous les jours sur le parcours, en repérant chaque virage. Tout ça à mes frais, bien évidemment. Les types du comité paralympique libanais ont fini par débarquer, tout ce qu'ils avaient apporté, c'étaient les vêtements officiels. Qui n'étaient pas à la bonne taille. On a dû tout faire refaire en catastrophe à Pékin. Enfin, quand je dis 'on'… c'est plutôt 'je'."

Le cycliste handisport Edward Maalouf franchit la ligne d'arrivée du marathon de New York, le 5 novembre 2006. (SETH WENIG / AP / SIPA)

Edward Maalouf décroche une belle médaille d'argent à Pékin et rentre à peu près dans ses frais grâce aux sponsors, alléchés par la médaille. A Londres, aucune médaille n'est au rendez-vous. "Le comité paralympique libanais m'a donné 600 balles en tout et pour tout", lâche le champion, qui déplore que les officiels, eux, n'aient pas lésiné sur les moyens pour assister aux Jeux. Contacté par franceinfo, le comité paralympique libanais n'a pas donné suite.

Depuis, le Liban est absent des Jeux paralympiques. Faute d'athlètes, et faute de volonté politique d'en amener au plus haut niveau. Un cas loin d'être isolé. A Rio, les délégations européennes comprenaient en moyenne 42 athlètes, quand celles des pays africains présents, numériquement aussi nombreux, n'en comptaient que sept. Il ne faut pas grand-chose pour que la machine déraille. Le Liberia n'a ainsi pas pu envoyer d'athlètes aux Jeux paralympiques de Rio pour une sombre histoire d'impayé datant des Jeux de Londres. "C'est l'Afrique", balaie d'abord Festus Toe-Robinson, le chef de mission paralympique libérien.

Quand la politique s'en mêle

On insiste un peu, la parole se libère. "En 2016, on approchait de la campagne présidentielle, et la priorité de la ministre, c'était de se trouver un point de chute. Comme notre organisation dépend directement du ministère, nous n'étions pas sa priorité. Il faudrait vraiment mettre en place un processus international pour qu'on ne dépende pas aussi fortement des autorités politiques." Même son de cloche aux Comores, où après avoir jeté l'éponge en 2016* pour une histoire de billets d'avion, le pays passe son tour en 2021 pour non-paiement de cotisation. "Pour participer aux Jeux paralympiques, il faut faire classifier ses athlètes [les faire examiner par des médecins et des spécialistes pour déterminer leur degré de handicap]. Pour nous, ça se fait forcément en Europe, ça revient très cher, et on n'a pas l'ombre d'une subvention", se désole Chahalane Ahamed Saïd Ali, le président du comité paralympique comorien.

Quand on ne compte qu'une poignée d'athlètes, on est forcément à la merci de petits couacs ou des choses de la vie. Prenez Trinité-et-Tobago, et ses deux sportifs qualifiés pour Tokyo. A cause du report d'un an, le premier, l'athlète Akeem Stewart, ne se sent plus d'attaque, quand la seconde, la sprinteuse Nyosha Cain, attend un heureux évènement. Résultat, tout le monde reste à la maison. Les autorités paralympiques trinidadiennes en ont pris leur parti et espèrent développer d'autres sports pour les Jeux de Paris : "On espère lancer une équipe de cécifoot, développer le para-athlétisme en catégorie non-voyant et pourquoi pas avoir un concurrent pour l'épreuve de tandem", énumère Sudhir Ramesar, président du comité paralympique de ces îles caribéennes. Le compte à rebours a déjà commencé pour Paris 2024.

Les Jeux paralympiques ne sont-ils pour autant que l'apanage d'une cinquantaine de pays présents depuis des lustres et qui envoient des délégations toujours plus conséquentes ? Ian Brittain met en garde contre cette vision qui serait bien trop simpliste. "Il y a derrière les moyens investis dans les Paralympiques beaucoup de soft power pour montrer à la face du monde qu'on s'occupe de toute sa population, ce qui n'est pas toujours la vérité. Prenez le Royaume-Uni. Les investissements dans le handisport sont colossaux, et le total de médailles aux Paralympiques est à l'avenant. Mais quand on regarde dans le détail le traitement des populations handicapées, on est loin de l'image idyllique que le pays veut donner une fois tous les quatre ans." Faute d'aides sociales conséquentes, sabrées depuis neuf ans et qualifiées de "désastre économique et social" dans un rapport de l'ONU* de 2018, l'ONG Scope estime le surcoût de la vie pour une personne handicapée britannique à 600 euros par mois*. Un grand plan d'aide dévoilé fin juillet par le Premier ministre Boris Johnson à leur adresse a encore été qualifié d'"occasion manquée"* par les associations.

* Les liens suivis d'un astérisque sont en anglais.

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