La campagne vue de l'étranger : intéressante mais superficielle
Les journalistes étrangers dressent un jugement sévère sur la campagne présidentielle.
Contrairement aux apparences, la campagne présidentielle n'est pas qu'une affaire franco-française. A mesure que l'échéance approche, les journaux étrangers y consacrent de plus en plus de place. Avec parfois quelques coups d'éclat, comme cet éditorial choc du Wall Street Journal, intitulé "Nicolas Le Pen", au lendemain du discours de Nicolas Sarkozy à Villepinte. Ou cette une du magazine britannique The Economist, selon lequel "la France est dans le déni".
Quel regard les journalistes étrangers en poste à Paris portent-ils sur cette élection ? Quelques-uns d'entre eux étaient invités à livrer leurs impressions, mercredi 4 avril, lors d'un débat organisé à l'Institut suédois par le cabinet APCO Worldwide et Euractiv.fr, qui avaient commandé pour l'occasion une étude (fichier PDF) à l'institut OpinionWay, menée auprès de 182 "leaders d'opinion" étrangers : journalistes, diplomates et dirigeants d'entreprise.
Tout ce beau monde, dixit OpinionWay, juge cette campagne électorale "intéressante". Mais le directeur de l'institut, Bruno Jeanbart, souligne un paradoxe : "Lorsqu'on leur demande de choisir des mots pour la qualifier, ils citent surtout des adjectifs négatifs." Intéressante, donc, mais aussi "ennuyeuse" et "superficielle".
"Les candidats parlent trop peu des vrais sujets", regrette le Britannique Paul Taylor, journaliste à l'agence Reuters. Son confrère suédois Johan Tollgerdt, du journal Svenska Dagbladet, ne voit dans les débats actuels "rien sur les choix stratégiques pour l'économie française, comme si la question n'existait pas". Dans un contexte désenchanté par la crise, Gabriele Parussini, du Wall Street Journal, estime qu'il y a "peu d'occasion de rêver". Un constat partagé par la journaliste grecque Ira Feloukatzi : "J'ai suivi plusieurs campagnes, au cours desquelles il y avait de grandes envolées. Pas cette fois-ci. Depuis deux semaines, il ne se passe rien, on les voit se balader au marché, mais c'est creux !"
La France, nostalgique et schizophrène ?
Les solutions avancées par les différents candidats ne trouvent pas grâce à leurs yeux. "Savoir qui va sauver les emplois sidérurgiques de Florange n'est peut-être pas le meilleur départ pour parler de l'avenir de l'économie, assène Paul Taylor. La France se voit comme une victime de la mondialisation, ce qui n'est pas forcément exact, mais qui pourrait le devenir à force de le penser." Cette "campagne spectacle", selon les mots d'Alberto Toscano, fait la part belle à la surenchère. "Pour faire parler de soi, il faut sortir la plus grosse énormité possible", critique le journaliste italien. Sortie de Schengen, taxation des hauts revenus à 75%, traque des exilés fiscaux… Autant de "mesures inapplicables", déplore-t-il.
Moins durement touchée par la crise que certains de ses voisins, la France serait-elle restée au milieu du gué ? L'Américain Gabriele Parussini souligne une certaine "schizophrénie". "La France n'a pas pris de mesures radicales comme l'Espagne ou l'Italie, mais n'a pas non plus accompli des réformes en amont comme l'Allemagne. Soit on sauve les meubles, soit on va de l'avant. La France mérite un projet de société plus clair", plaide-t-il. Alberto Toscano, lui, pense que la France souffre d'une nostalgie chronique : "On parle toujours de changement. Mais pour aller où ? Pour revenir au passé !"
Hollande vu en vainqueur, mais…
Ce cruel constat posé, quel candidat a-t-il le plus de chances de l'emporter le 6 mai ? Selon l'étude d'OpinionWay, l'écrasante majorité des journalistes, diplomates et cadres interrogés s'attendent sans surprise à un duel Hollande-Sarkozy au second tour. Quelque 52% pronostiquent une victoire finale du socialiste, 46% celle du président sortant et 2% celle de François Bayrou. Mais parmi l'échantillon, les journalistes sont les seuls à parier majoritairement (52%) sur une victoire de Nicolas Sarkozy. "Rien n'est encore joué, prévient Johan Tollgerdt. Au dernier moment, les gens peuvent encore se dire : 'On sait ce qu'on a, on ne sait pas ce qu'on aura.'"
"Si Nicolas Sarkozy l'emporte, il aura vraiment réalisé un exploit, nuance Paul Taylor. Son plus gros handicap reste son impopularité. En face, François Hollande se positionne comme celui qui va gagner par défaut. Il est dans l'évitement de l'erreur, ce qui le rend extrêmement ennuyeux à couvrir. C'est un pari risqué."
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