La censure sur Facebook, mode d'emploi
Le réseau social a supprimé la photo d'une jeune Egyptienne posant sans voile, avant de faire marche arrière. La politique de Facebook en matière de censure n'est pas des plus limpides. Explications.
INTERNET - Dana, une jeune Egyptienne, a eu la mauvaise surprise de voir sa photo censurée sur Facebook le 3 novembre. Son tort ? Avoir posé sans voile pour soutenir la page "Le soulèvement des femmes dans le monde arabe". Une mesure qui a provoqué la colère de nombreux internautes, d'autant que ce n'est pas la première fois que Facebook retire un cliché de sa plateforme.
Mais pourquoi avoir supprimé cette photo ? "C'est une erreur de jugement", reconnaît Facebook. "Après tous les signalements de la photo, nous avons voulu protéger la personne qui l'a postée, car elle tenait son passeport et nous avions peur qu'elle soit localisable et donc inquiétée dans son pays", explique le réseau. "Ensuite, nous avons constaté que le passeport était trop petit pour lire son adresse. Nous avons alors republié la photo."
La censure sur Facebook n'obéit pas toujours à des règles logiques. Et pourtant, elle fait l'objet de directives très détailées. Le site américain Gawker s'est entretenu avec Amine Derkaoui, chargé, l'année dernière, de modérer les contenus publiés sur le réseau de Mark Zuckerberg. Il a fourni au site un document de 17 pages (en anglais) détaillant les différentes thématiques dans le collimateur de Facebook. Parmi les sujets sensibles, on trouve la nudité, la haine raciale ou encore les drogues. Francetv info revient sur la politique de censure du plus grand réseau social.
La nudité, c'est non
L'origine du monde. Le tableau, peint par Gustave Courbet en 1886, a été utilisé en octobre par le journal suisse La Tribune de Genève. Il illustrait un article sur la nymphoplastie, une opération qui vise à réduire les petites lèvres vaginales. Mais après publication de ce contenu sur le réseau social, la page Facebook du quotidien a été bloquée pendant plusieurs heures. Facebook avait déjà supprimé la même œuvre en 2011, car l'artiste danois Frode Steinicke l'avait utilisée en photo de profil.
Ai Wei Wei. Facebook a retiré, en novembre 2011, un cliché publié sur la page de l'hebdomadaire L'Express. En cause : une photo de l'artiste chinois dissident Ai Wei Wei posant nu avec quatre femmes, également nues. Ai Wei Wei a voulu représenter le pouvoir entouré des quatre classes sociales chinoises. Avec ce cliché, l'artiste a été accusé de pornographie par les autorités de son pays.
Les femmes qui allaitent. "Des photos montrant un sein pleinement exposé, c'est-à-dire montrant le téton ou l'aréole, vont à l'encontre de nos règles et peuvent être retirées", a justifié un porte-parole de Facebook, Barry Schnitt, cité par Le coin bio. En assurant néanmoins que "la grande majorité" des photos d'allaitement ne sont pas supprimées du site.
La poitrine des femmes est un sujet particulièrement sensible sur Facebook. Le magazine Marie Claire racontait en octobre dernier que le site avait retiré les photos d'une campagne contre le cancer du sein où les modèles posaient topless.
Explications. Sur le papier, Facebook interdit : "1 : toute activité sexuelle évidente, même dessinée ou sous forme d'art, même si la nudité est masquée par des mains, des habits, ou d'autres objets. 2 : les parties intimes nues, incluant les fesses ou les tétons féminins. Les tétons masculins sont autorisés", rapporte le site high-tech Tom's guide, évoquant la censure par le réseau d'un dessin paru dans le magazine américain The New Yorker.
"Il y a des conditions d'utilisation et il faut les respecter. Ça peut sembler abusif, mais il faut bien des règles", a expliqué Facebook à francetv info. "Nous sommes une plateforme, et il y a des utilisateurs – qui ne sont pas tous adultes – qui utilisent l'outil. Nous pensons simplement au bien-être de tous."
Ce qui n'empêche pas les erreurs, comme lors de la suppression, en 2011, de la pochette de l'album Nevermind de Nirvana… "Notre équipe examine tous les jours des milliers d'éléments incriminés par les internautes, et nous faisons parfois une erreur. Quand on nous la signale et que l'on confirme qu'il s'agit en effet d'une erreur, nous agissons rapidement pour la corriger (…) nous pensons que notre taux d'erreur est équivalent à celui de n'importe quelle société de n'importe quel secteur", avait alors argumenté Facebook, cité par 20minutes.fr.
Les images violentes, avec modération
Les contenus incitant à la violence contre des êtres humains ou des animaux sont proscrits. Toutefois, Facebook autorise les images de plaies profondes, de sang et même de têtes écrasées, à condition de ne pas montrer "les entrailles", dit le document révélé par Gawker. Facebook a néanmoins précisé à francetv info prendre ses distances avec ce texte, "un outil de travail chez un prestataire" qui n'avait peut-être pas la vision globale du groupe.
Malgré tout, francetv info a publié sans encombre sur le réseau, au mois d'octobre, un impressionnant diaporama de Chinois qui se transpercent le visage à Phuket, en Thaïlande, à l'occasion d'un festival végétarien.
Le cannabis, ça passe
Facebook garde un œil sur les drogues. Impossible de trouver des pages parlant de cocaïne, d'héroïne ou de crack. En revanche, le réseau semble tolérer la fumette. Ainsi, la page marijuana compte plus de 950 000 fans, la page cannabis 100 000 et la plateforme propose même des jeux à l'intitulé plutôt éloquent, commme Pays du cannabis.
Interrogé à ce sujet par francetv info, le site indique que la substance est tolérée car autorisée dans certains pays, ce qui n'est pas le cas des drogues dites "dures".
La liberté d'expression avant tout
Les largesses. En juin, en pleine affaire du dépeceur canadien Luka Magnotta, le réseau faisait savoir qu'il n'entendait pas supprimer les pages qui le soutenaient, rapportait alors Le Figaro. "Il est vrai que ces pages sont moralement choquantes, mais, légalement, elles sont difficiles à attaquer", précisait au quotidien Nicolas Poirier, directeur juridique pour la plateforme d'hébergement OverBlog. "Alors que si l'une d'entre elles publiait le lien vers la vidéo, l'illégalité ne ferait aucun doute, ou si elle appelait clairement à reproduire son crime, cela tomberait alors sous le coup de l'incitation à la haine", ajoutait le juriste.
Attaché à la législation américaine, Facebook protège la liberté d'expression, inscrite dans le premier amendement de la Constitution des Etats-Unis. Mais ne tolère pas l'incitation à la haine ou à la violence. Etonnant, donc, de trouver des pages comme Fuck Israel. D'après le site, ces pages ne sont pas supprimées car elles visent un ensemble de personnes, et rentrent ainsi dans le cadre de la liberté d'expression.
Les limites. En revanche, si des propos violents visent un individu en particulier, comme dans les cas de harcèlement, Facebook sévit. "C'est très important pour nous", insiste le réseau. La liberté d'expression connaît une autre limite : les lois spécifiques à certains pays. En Thaïlande, par exemple, il est interdit d'insulter le roi, comme l'indiquait Le Monde. "Nous supprimons donc tous les commentaires qui offensent la monarchie", explique la plateforme. De moins en moins évident de mettre des frontières sur internet.
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