La Cour des comptes révèle des contrats de com' obscurs de Matignon et du gouvernement
EXCLUSIF. Un rapport de la Cour des comptes accable l'Hôtel Matignon et certains ministères. Il met en évidence des dépenses de communication sans justificatifs et sans appels d'offres. La société Giacometti-Péron serait la principale bénéficiaire.
Ils contournent le Code des marchés publics et sont trop souvent incapables de justifier les prestations de conseil en communication qu'ils achètent : les ministères sont dans le collimateur de la Cour des comptes. Dans un rapport rendu le 17 octobre 2011 à la Commission des finances de l'Assemblée nationale sur les dépenses des ministères en matière de communication, et que nous nous sommes procuré en exclusivité, les magistrats de la rue Cambon accablent les cabinets ministériels.
Mais ce n'est pas tout. Parmi les bénéficiaires de ces pratiques nébuleuses, un nom revient, et pas des moindres : la société de conseil en stratégie et communication Giacometti-Péron, cofondée par un proche de Nicolas Sarkozy, Pierre Giacometti.
Sur la shortlist du Fouquet's
Ami et sorte de "super conseiller privé en opinion" selon Rue89, ce dernier a quitté la direction générale d'Ipsos France en janvier 2008 pour fonder un cabinet indépendant. Les liens étroits entre Nicolas Sarkozy et Giacometti n'ont rien de secret.
Le soir du 6 mai 2007, il est sur la shortlist des invités au Fouquet's pour fêter l'élection de Nicolas Sarkozy. Le 31 janvier 2008, il est fait chevalier de la Légion d'honneur par le président de la République.
Bout à bout, tous les contrats entre le gouvernement et le cabinet Giacometti-Péron & Associés épinglés par la Cour des comptes - sans compter, donc, ceux passés sans irrégularités - représentent un peu plus de 1,7 million d'euros entre 2008 et 2010. L'équivalent de ce que le cabinet touche, par ailleurs, grâce à ses contrats avec… l'Elysée !
Contacté par nos soins, le cabinet Giacometti-Péron & Associés n'a pas souhaité commenter ces informations. Matignon non plus, qui maintient les justifications qu'elle a fournies à la Cour des comptes au cours de la procédure, et dont certaines sont égratignées dans le rapport.
Trois contrats pour un total de 694 059 euros à Matignon
Le 21 mai 2008, un tout premier marché de 40 000 euros HT est contracté avec la société Giacometti-Péron. Passé sans aucune publicité ni mise en concurrence, il résulte d'une instruction de Jean-Paul Faugère, directeur de cabinet du premier ministre, François Fillon.
Dans une note datée du 16 mai 2008, dont nous nous sommes fait confirmer l'existence, le haut fonctionnaire demande au DSAF (Directeur des services administratifs et financiers) de contracter au plus vite avec le cabinet Giacometti-Péron. La note écarte toute mise en concurrence pour ce marché, invoquant l'urgence, et évoque "la mise en œuvre d'une procédure adaptée conforme au Code des marchés publics"... plus tard.
Une procédure conforme est en effet déclenchée quelques semaines après, et seul le cabinet Giacometti-Péron répond à l'appel d'offres. Loin de déclarer ce dernier infructueux, Matignon lui attribue le 7 août 2008 un nouveau contrat d'une durée de douze mois reconductible deux fois et d'un montant de 356 000 euros HT.
Finalement, le 7 février 2009, un avenant à ce contrat revoit à la baisse le montant de ce juteux marché : ce sera 242 330 euros HT pour la première année, et 142 000 euros HT annuels en cas de reconduction.
Eviter les appels d'offres
Mais, coïncidence plus que troublante, deux jours auparavant, un autre marché est contracté par les mêmes services de Matignon avec la même société de conseil. Il porte sur le coaching médiatique de deux membres du gouvernement rattachés à François Fillon : Nathalie Kosciusko-Morizet et Patrick Devedjian, pour un montant de 214 000 euros HT. Un simple calcul : 142 000 euros par an pour François Fillon + 214 000 euros par an pour les deux autres, cela fait 356 000 euros, soit le montant du contrat d'origine, ainsi repartagé.
Là encore, la Cour des comptes ne se satisfait pas des conditions d'attribution. Les magistrats de la rue Cambon reprochent aux services du premier ministre d'invoquer l'article 35 II 5° du Code des marchés publics pour éviter l'appel d'offres.
Or, selon le rapport, rien ne justifie le contournement de la procédure : "il n'est pas démontré que ces prestations ne pouvaient être techniquement ou économiquement séparés du marché principal sans inconvénient majeur pour le pouvoir adjudicateur ni qu'elles aient été strictement nécessaires à son parfait achèvement, comme l'exige la rédaction de l'article 35 II 5° du CMP. " Les magistrats sont formels, ces prestations auraient dû faire l'objet "d'un marché séparé, après mise en concurrence".
D'autres ministères aux pratiques "irrégulières ou contestables"
Au-delà de Matignon, d'autres ministères sont épinglés par ce rapport de la Cour des comptes pour leur interprétation personnalisée ou extensive des règles régissant les marchés publics. Notamment concernant des contrats passés avec le cabinet Giacometti-Péron.
A l'instar du ministère de l'Intérieur qui a conclu, en suivant les procédures, deux marchés pour un total de 128 000 euros avec cette société. Certes, note la Cour des comptes, mais "en 2010, la société Giacometti-Péron a bénéficié de quatre [autres] commandes du cabinet pour 93 288 euros", en dehors du marché contracté légalement.
Autre cas qui a retenu l'attention de la Cour des comptes : le ministère de l'Immigration, qui continue de commander et de payer des prestations après expiration du marché. Le 12 novembre 2009, il contracte pour cinq mois et 105 248 euros. Après le 12 avril 2010, il fonctionne avec de simples bons de commande. Quatre paiements seront effectués par ce biais pour un montant total de 76 729 euros.
Des prestations que la Cour des comptes trouve "difficiles à contrôler"
Les ministères agissent aussi avec légèreté par rapport aux traces qu'ils gardent des prestations. En langage Cour des comptes : "Il est parfois difficile de connaître le contenu précis des prestations et d'en vérifier la réalisation effective."
Le chef de cabinet du ministre des Transports (ministère regroupé aujourd'hui avec celui de l'Ecologie), signe par exemple les "certificats de service fait "sans qu'aucune pièce au dossier ne permette de constater la réalité des conseils prodigués" par la société Voguet avec qui il a contracté en 2006.
Idem pour des prestations de conseil et de coaching effectuées pour le compte des cabinets des "ministères économiques et financiers" : "le chef de cabinet ne fournit aucune pièce susceptible de prouver la délivrance du service, au motif de son caractère personnel et confidentiel", note la Cour.
Les contrats avec Giacometti-Péron ne font pas exception : au ministère de l'Immigration, le chef de cabinet atteste le "service fait", sans justificatif concret. Surtout, le contrat stipule un "document stratégique semestriel" et "des notes ponctuelles suggérant des actions de communication". "La Cour n'a pu obtenir communication de ces pièces", assène le rapport qui accable le ministère, incapable de retrouver "aucun document semblable".
La justification de "confidentialité"
La critique vaut aussi pour le ministère de la Justice : un contrat de 143 000 euros sur douze mois conclu le 25 juillet 2008 prévoyait, entre autres, "la rédaction et l'actualisation d'un calendrier prévisionnel ainsi que la remise de 24 notes mensuelles d'analyse de perception et de conseil en stratégie globale." La Cour n'a obtenu que dix "bilans d'activité" mensuels (de quatre feuillets chacun) et un document intitulé "Stratégie de communication – ministère de la Justice – Axes de communication – automne 2008" de onze pages.
"Ces documents ne correspondent pas à ceux prévus dans le contrat et ne permettent pas de vérifier que les prestations commandées et facturées ont effectivement été réalisées", conclut l'institution, qui refuse la justification de "confidentialité" invoquée par les différents cabinets.
Depuis 2009 et un rapport de la Cour des comptes sur les sondages de l'Elysée, le nom du conseiller du président, Patrick Buisson, et celui de sa société, Publifact, ont eu les honneurs de la presse. Il avait bénéficié de 1,5 million d'euros de contrats sans appel d'offres.
Avec ce nouveau rapport de la rue Cambon, c'est aujourd'hui Matignon qui se retrouve sous les feux de la rampe, ainsi que, peut-être, Pierre Giacometti, un autre conseiller de l'Elysée.
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