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Le Baclofène, miracle sans danger contre l'alcoolisme ?

Médecin et ancien alcoolo-dépendant, Olivier Ameisen a testé en 2005 ce médicament qui l'a guéri, dit-il. Depuis, il s'évertue à le faire savoir au plus grand nombre. Ce qui en inquiète certains.

Article rédigé par Aurélie Delmas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Une boîte de Baclofène, un relaxant musculaire qui serait prétendument très efficace pour lutter contre l'alcoolo-dépendance. (CHRISTOPHE PETIT TESSON / MAXPPP)

"Baclofène : un traitement miracle contre l'alcoolisme ?""Le baclofène, un produit miracle ?", "Le traitement miracle contre l'alcoolisme existe"… Une conférence du docteur Olivier Ameisen sur le Baclofène, mardi 24 janvier à Paris, remet le médicament sur le devant de la scène. Ce relaxant musculaire, le cardiologue français le présente depuis 2008 comme le remède infaillible contre l’alcoolisme. Et il le professe partout. Si bien que l'information, connue des patients et des professionnels de santé, est également diffusée auprès du grand public, relayée par les médias. Au risque de provoquer une automédication.

Pourtant, les autorités sanitaires manquent de données sur le sujet et ne reconnaissent toujours pas les vertus de ce produit contre la dépendance alcoolique. Que sait-on exactement du Baclofène ? Peut-on se le faire prescrire sans danger ? FTVi se penche sur ces questions.

• Le "Baclophénomène"

En 2008, le docteur Olivier Ameisen publie Le Dernier Verre, un livre grand public qui suscite l’espoir de nombreux alcoolo-dépendants. Ce cardiologue devenu alcoolique y raconte son auto-expérimentation du Baclofène : en quelques semaines et utilisé à fortes doses, le médicament, qui à la base sert à soulager les torticolis par exemple, supprimerait l’envie de boire. Bon marché, le Baclofène soigne sans effets secondaires importants, et sans abstinence, selon le médecin.

Voilà de quoi éveiller la curiosité, susciter l'intérêt et booster les ventes. Selon l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), le nombre de patients sous Baclofène est passé de 80 000 en 2007 à 100 000 en 2010.

• L’impatience des malades

Par ses écrits, ses conférences... le médecin s'adresse avant tout au public, quitte à froisser les universitaires. Dès sa parution, son livre s’écoule à 40 000 exemplaires. Les adeptes du cardiologue s’organisent rapidement en associations pour accélérer l’Autorisation de mise sur le marché (AMM) du médicament concernant ses effets sur l'alcoolo-dépendance. Sur les forums, les internautes échangent leurs témoignages en masse et se recommandent des médecins prescripteurs.

Mais pour certains spécialistes, la méthode est dangereuse. "Il n'est pas choquant que les patients fassent pression, concède François Paille, président d'honneur de la Société française d'alcoologie. La recherche sur le sida a avancé grâce aux associations." "Mais cette forme de communication n’est pas habituelle, souligne-t-il. Elle est essentiellement émotionnelle et la discussion ne porte pas sur des arguments scientifiques."  

D’autant que la méthode Ameisen vise un public particulièrement fragile. "Il s’adresse à des gens qui ont pris l’habitude de résoudre un problème avec un produit magique", analyse Michel Craplet, médecin délégué de l'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie. Une inquiétude que partage Philippe Batel. Psychiatre et alcoologue à l'hôpital Beaujon, à Clichy, il met en garde contre l'espoir excessif suscité par Olivier Ameisen. "Tout est monté comme une polémique où on aurait un chercheur génial qui s’auto-expérimente. Cela, associé à des effets scientifiques indéniables, construit un effet d’attente majeur et est repris en boucle dans les médias." Pour lui, ce sont les effets anxiolytiques du médicament qui persuadent les patients de son efficacité.

Alors que l’heure est à la prudence après les scandales du Mediator ou des prothèses PIP, l'engouement pour ce médicament détonne. "On ne peut pas demander d'une part beaucoup de précautions et donner des produits sans études sérieuses d'autre part", tranche le docteur Craplet.

• Prescriptions sauvages

Pourtant, les médecins s’accordent à dire que la molécule présente un intérêt certain. Ce double discours, les malades ont du mal à le décrypter. Refusant d’attendre l’AMM, qui nécessite des études supplémentaires pour que l'Afssaps la délivre, nombreux sont ceux qui se fournissent directement sur internet. Une pratique simple que beaucoup avouent à leur soignant mais qui ne leur garantit en rien l’authenticité du produit livré.

Pour éviter ces dérives, ou parfois par conviction, de plus en plus de médecins préconisent le fameux remède. L’Afssaps a recensé environ 20 000 prescriptions à des doses bien supérieures que celles nécessaires pour soigner un torticolis. Des doses potentiellement utilisées pour des problèmes d’alcool.

Ces prescritions dites "hors AMM" sont choses courantes à en croire le professeur Jaury, médecin généraliste et addictologue en charge d'une étude sur le Baclofène. Si cette démarche n’a rien d’illégal, elle engage la responsabilité du médecin et celle du pharmacien en cas de problème ou de plainte.

• Usage à hautes doses

"En alcoologie, il fait être aidé. Or, avec ce produit, on a l’impression de pouvoir s’en sortir seul", rappelle Michel Craplet. De plus, souligne le professionnel de santé, les effets secondaires existent. Une grande majorité des utilisateurs y seraient soumis en début de traitement. Le Baclofène peut notamment provoquer des somnolences et des vertiges pouvant entraîner des chutes. "J'ai eu un patient qui prenait 200 mg par jour et s'est retrouvé incapable d'enseigner. Et la moitié de mes patients ont dû arrêter le traitement en raison des effets secondaires", témoigne le docteur Batel.

Des effets indésirables multipliés par les doses prescrites, très supérieures à l’usage préconisé et variables selon les patients. Selon l’Afssaps, la dose quotidienne se situe entre 30 et 75 mg, et jusqu’à 120 mg en milieu hospitalier. Mais pour traiter la dépendance alcoolique, "la dose moyenne se situe entre 120 et 140 mg/jour", précise Philippe Jaury. Ce dernier confie avoir un patient qui en ingère jusqu’à 400 mg par jour. Olivier Ameisen affirme quant à lui avoir déjà pris plus de 500 mg par jour.

• Pas de résultats fiables avant 2013

Le corps médical réclame donc un cadre légal pour pouvoir prescrire le relaxant musculaire aux alcoolo-dépendants. Selon des estimations, la réussite pour ces derniers approcherait les 50 %, mais aucun chiffre ne peut être considéré comme fiable tant que l'AMM n'a pas été délivrée. Problème : la molécule, lancée dans les années 1970, est tombée dans le domaine public et les laboratoires refusent de financer les recherches.

Les négociations avec l’Etat français retardent le projet. "Il aurait fallu faire des études bien plus tôt, admet François Paille. On aurait la réponse et on ne serait plus dans une discussion passionnelle." Dans les mois qui viennent, deux études françaises, financées par l’argent public, doivent finalement être lancées. Mais les résultats ne seront pas connus avant 2013, au plus tôt.

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