Génocide arménien : un texte "discriminatoire et raciste" selon le Premier ministre turc
La France plaide l'apaisement au lendemain de l'adoption au Sénat de la loi pénalisant la négation du génocide arménien.
Au lendemain de l'adoption par le Sénat de la loi pénalisant la négation des génocides, la Turquie ne décolère pas. "La proposition adoptée en France est discriminatoire et raciste", s'est indigné le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, devant ses députés du Parti pour la justice et le développement (AKP) réunis au Parlement mardi 24 janvier.
Cette loi est "entièrement nulle et non avenue", a-t-il déclaré, assurant que son pays imposerait "étape par étape" les sanctions qu'il a prévues contre la France. Il a toutefois émis l'espoir que Paris "répare son erreur".
• Quelles représailles la Turquie envisage-t-elle ?
A peine la proposition de loi validée par le Sénat, l'ambassadeur de Turquie à Paris, Tahsin Burcuoglu, a prédit "une radicalisation des positions des deux côtés".
Après le vote des députés le 22 décembre, la Turquie avait déjà gelé sa coopération militaire et politique avec Paris, rappelant notamment son ambassadeur.
Aujourd'hui, Ankara menace de réduire sa présence diplomatique en France. "Quand je parle de rupture totale des relations diplomatiques, cela comprend mon départ définitif, a déclaré l'ambassadeur de Turquie en France. On peut aussi s'attendre à ce que les relations diplomatiques se passent désormais au niveau des chargés d'affaires et non plus au niveau des ambassadeurs." A l'ambassade de Turquie, on clame que "la France est en train de perdre un partenaire stratégique".
• Comment la France tente-t-elle d'appaiser les tensions ?
Le chef de la diplomatie française, Alain Juppé, a tenté de calmer le jeu mardi matin. Invité de Canal+, il a appelé la Turquie au "sang-froid" et a déclaré vouloir tendre "la main" à ce "grand pays, cette grande puissance économique, politique", rappelant par ailleurs qu'au titre de ministre des Affaires étrangères, il jugeait cette loi "inopportune".
"La loi ne stigmatise absolument pas la Turquie, a voulu tempérer Claude Guéant, le ministre de l'Intérieur, sur le plateau d'i-Télé. Simplement, elle sanctionne les attitudes négationnistes à l'égard des crimes génocidaires. C'est tout, la Turquie n'est pas visée."
• Pourquoi la Turquie s'oppose-t-elle à cette loi ?
La Turquie réfute le terme de génocide, même si elle reconnaît que des massacres ont été commis et qu'environ 500 000 Arméniens ont péri en Anatolie entre 1915 et 1917. Les Arméniens évoquent quant à eux 1,5 million de morts.
Mardi matin, la presse turque, unanime sur le sujet, dénonce une loi liberticide motivée par des intentions électoralistes. "Un sujet sur lequel les historiens doivent trancher est tombé dans l'ombre de la politique", déplore le quotidien libéral Radikal. Le journal progouvernement Yeni Safak fustige "les petits calculs électoraux de Sarkozy [qui] ont conduit la France à commettre un grand crime contre l'humanité".
• Que change ce texte ?
La loi prévoit un an de prison et 45 000 euros d'amende en cas de contestation ou de minimisation de façon outrancière d'un génocide reconnu par la loi française. Deux génocides, celui des Juifs pendant la seconde guerre mondiale et celui des Arméniens en 1915, sont reconnus par la France, mais seule la négation du premier était punie jusqu'à présent.
Le ministre des Relations avec le Parlement, Patrick Ollier, a expliqué qu'il s'agissait simplement de combler un vide juridique. Mais pour les opposants au texte, dont le rapporteur de la commission des Lois du Sénat, le socialiste Jean-Pierre Sueur, "c'est aux juges et non au législateur qu'il appartient de qualifier de génocide ou de crime contre l'humanité tel ou tel événement".
Pour sa part, l'Arménie a aussitôt exprimé sa satisfaction, parlant d'une "initiative historique qui contribuera à prévenir d'autres crimes contre l'humanité".
• Son adoption est-elle définitive ?
Aucune des motions de procédure déposées par les opposants au texte, qui auraient pu entraîner son rejet, n'a été adoptée par le Sénat. Le texte ayant été voté par les deux chambres, son adoption par le Parlement est actée, mais ses détracteurs comptent sur un recours auprès du Conseil constitutionnel. Cette démarche peut être initiée par les présidents des deux chambres, par soixante députés ou sénateurs, par le Premier ministre ou par le chef de l'Etat.
Le président de l'Assemblée nationale, Bernard Accoyer (UMP), a pour sa part indiqué mardi qu'une telle démarche "n'[était] pas à l'ordre du jour". Nicolas Sarkozy dispose en principe de quinze jours pour promulguer le texte.
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