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JO 2021 - Athlétisme : doit-on s'attendre à une pluie de records à Tokyo ?

Article rédigé par Andréa La Perna, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
L'Américain Grant Holloway s'est approché à un centième du record du monde du 110m haies à un mois des Jeux olympiques de Tokyo. (SERHAT CAGDAS / ANADOLU AGENCY)

Les épreuves d'athlétisme, qui commencent vendredi aux Jeux, sont très attendues après les nombreuses performances historiques des derniers mois.

Secoués par les remous de la pandémie de Covid-19, dont celui du report des Jeux olympiques, les athlètes attendaient la reprise des compétitions à l'été 2020 comme des lions en cage. Dès que les contraintes du quotidien ont été levées pour les laisser s'exprimer sur piste ou sur route, ils n'y sont pas allés avec le dos de la cuillère. Depuis le 24 juillet 2020, date à laquelle auraient dû commencer les JO de Tokyo, douze records du monde ont changé de propriétaire, dont quatre depuis juin 2021.

Antéchronologiquement, Karsten Warholm est le dernier à avoir dépoussiéré la meilleure marque de sa discipline. Chez lui à Oslo, le Norvégien est devenu le nouveau roi du 400 m haies grâce à un chrono en 46''70. Il a ainsi effacé Kevin Young des tablettes, dont le record tenait depuis 29 ans (46''78 aux JO de 1992).

Le record du 10 000 m dames pulvérisé deux fois en 48 heures

Quelques jours plus tôt, le 27 juin, le record est tombé dans la même épreuve, mais chez les femmes. L'Américaine Sydney McLaughlin est devenue la première à passer sous la barre des 52 secondes (51''90), à Eugene. Dans la même ville, son compatriote Ryan Crouser s'est lui offert le record du monde du lancer de poids, le 18 juin, améliorant la marque d'un autre Américain, Randy Barnes, qui trônait en tête des bilans depuis 1990 (23,37 m pour Crouser contre 23,12 m).

Mais sans contestation possible, l'événement le plus fracassant de cet été naissant s'est déroulé en deux épisodes. En 48 heures, le record du 10 000 m dames a été pulvérisé deux fois, d'abord par la Néerlandaise Sifan Hassan le 6 juin, puis par l'Éthiopienne Letesenbet Gidey le 8. Au total, la précédente marque, établie aux JO de Rio, a maigri de 16 secondes et 42 centièmes (29'01''03 contre 29'17''45 précédemment).

Quatre records du monde d'athlétisme ont été battus depuis le mois de juin 2021. Qu'en sera-t-il lors des JO de Tokyo ? (FLORIAN PARISOT / FRANCEINFO SPORT / AFP)

Ce prélude explosif a donné l'impression d'un bond soudain des performances à quelques mois du début des Jeux de Tokyo. D'après Jérome Simian, le préparateur physique qui travaille aux côtés de Kevin Mayer ou encore Mélina Robert-Michon, ce bond ne fait aucun doute. "Il y a toujours une augmentation des performances lors d'une année olympique, mais là c'est du jamais vu". Avec une année supplémentaire pour réviser, les athlètes ont-ils profité d'un terrain favorable à leur perfectionnement ?

"Si tu crois en Mozart ou Einstein, tu dois pouvoir croire en Bolt"

"Peut-être", "ça dépend". Ni Jérôme Simian, ni notre consultant Stéphane Diagana n'estiment que cet octroi de temps supplémentaire constitue un facteur majeur. Et pour l'ancien champion du monde du 400 m haies, tout attribuer à un supposé dopage est une erreur. Celui qui siège au comité des sportifs de l'Agence mondiale antidopage (AMA) ne nie pas la présence gênante des produits dopants dans l'athlétisme, évidente car matérialisée par les absences des Christian Coleman, Obi Igbokwe, Asbel Kiprop et autres Salwa Eid Naser. Mais il préfère croire en l'éclosion simultanée de "talents exceptionnels"

"J'ai pour habitude de dire aux gens qui ne croient plus en rien dans le sport : si tu crois en Mozart ou en Einstein, tu dois pouvoir croire en Usain Bolt. Quand on voit le jeune prodige [Erriyon Knighton, 17 ans] balayer ce dernier des tablettes des records du monde cadets sur 200 m en trois fois (20''11, puis 20''04 et 19''84), je n'imagine pas un seul instant que ce soit le fruit du dopage", insiste Stéphane Diagana. Il prend l'exemple de sa discipline de prédilection, le 400 m haies, dont le record masculin a donc été battu cet été.

"Karsten Warholm l'a bien dit. Quand il a vu Rai Benjamin courir en 46''83 à cinq centièmes du record du monde, alors qu'il cherchait depuis un moment à passer devant lui à la 2e place de tous les temps, il a eu un supplément de motivation qui a joué quand il a battu le record du monde de Kevin Young à Oslo peu de temps après." Et derrière l'éclosion des nombreux talents d'aujourd'hui, Diagana rappelle les progrès des conditions de vie, dont ceux de la chirurgie, ou encore un meilleur accès aux protéines, essentielles à la "construction" et à la "récupération musculaire".

Le fond et le demi-fond premiers concernés

D'après lui, le bond des performances constaté récemment suit l'ordre des choses. "Tout ça fait aussi que les gens sont plus grands de manière générale à chaque nouvelle génération. Ils sont aussi plus nombreux à pratiquer l'athlétisme. Quand on y regarde de plus près, il n'y a finalement que très peu de gens qui tentent de courir vite au 100 m", développe-t-il pour justifier l'émergence simultanée de nombreux diamants dont les frères Ingebrigtsen, Armand Duplantis ou le Français Sasha Zhoya.

Mais là encore, cet argument ne saurait justifier à lui seul l'explosion soudaine des performances, réelle mais à nuancer car le miroir est en partie déformé. Certes les derniers records ont concerné le 400 m haies et le lancer de poids, et Shelly-Ann Fraser-Pryce est devenue la deuxième femme la plus rapide de tous les temps sur le 100 mètres le 5 juin dernier (en 10''63, à 14 centièmes du record mythique et controversé de l'Américaine Florence Griffith-Joyner). Mais à y regarder de plus près, les records concernent surtout les efforts longue distance.

Neuf des treize derniers records battus en athlétisme concernaient une discipline de plus d'un kilomètre. Chez les femmes, ce sont le 5 000 m, le 5 km sur route, le 10 000 m, le 20 km marche et le record de l'heure qui sont tombés. Chez les hommes, il s'agit du 5 000 m, du 10 000 m, du semi-marathon et également du record de l'heure. Et quand il s'agit d'identifier les raisons d'une telle progression dans ce secteur et un changement majeur depuis les Jeux de Rio en 2016, la réponse est toute trouvée : "Les chaussures !" 

Des chaussures révolutionnaires

Le coupable a été désigné avant même que la question ne soit posée, que ce soit du côté de Stéphane Diagana et de Jérôme Simian. Entre l'introduction fracassante en 2019 du modèle Vaporfly par Nike, porté par Eliud Kipchoge et ses lièvres lors de son record du monde du marathon, et celle des nouvelles pointes à l'alliage de carbone et de mousse, le consultant de France Télévisions note un "changement d'univers" où la chaussure "n'est plus là pour assurer l'appui et l'adhérence du pied".

"On entre dans le sport mécanique maintenant", regrette quant à lui le préparateur physique de Kevin Mayer, qui ne portera pas ces chaussures révolutionnaires à Tokyo d'ailleurs. "Evidemment, tout dépend de la manière de courir et de la distance de l'épreuve, mais certaines études évoquent 2, 3, voire 4% de gain sur un temps. C'est absolument phénoménal quand on sait que la performance ou la contre-performance représentent une variation de 0,5 à 1%, mais pas plus", explique ce dernier au regard d'une enquête du New York Times publiée en 2019.

De là à voir les chronos s'affoler à Tokyo ? "Pas sûr", s'accordent Simian et Diagana. Car là où les records sont les plus susceptibles de tomber, sur le fond et le demi-fond, le contexte des Jeux olympiques n'est pas favorable aux performances extrêmes. "Ce sont des courses tactiques où le seul but est de gagner. C'était d'ailleurs étonnant que le record du 10 000 m femmes ait été battu à Rio", explique Diagana. En effet, le rythme peut être ralenti en fonction de la physionomie de la course.

Jérôme Simian n'est pas certain de voir plus de records à Tokyo qu'à Rio, où trois avaient été battus (le 400 m hommes et le lancer de marteau femmes, en plus du 10 000 m femmes), même s'il estime que "le niveau général est plus élevé". Beaucoup de disciplines ont une chance de voir le record tomber mais d'après Stéphane Diagana, le triple saut dames est celle qui a le plus de chances de couronner une nouvelle meilleure performance de l'histoire. La Vénézuélienne Yulimar Rojas s'est déjà approchée à plusieurs reprises des 15,50 m d'Inessa Kravets établis en 1995 à Göteborg. Ensuite, notre consultant cible le concours de la perche avec Armand Duplantis, déjà recordman du monde en 6,18 m, et le 110 m haies hommes, où Grant Holloway n'est plus qu'à un centième d'Aries Merritt.

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