: Portrait Boxe aux JO 2024 : "Maintenant, le monde entier sait qu'elle est spéciale"... Cindy Ngamba, première médaillée de l'histoire de l'équipe des réfugiés
A jamais la première. Avant le bronze décroché jeudi 8 août par la boxeuse Cindy Ngamba chez les moins de 75 kg, l'équipe olympique des réfugiés n'avait jamais remporté la moindre médaille aux Jeux, depuis sa première apparition en 2016. Même si ce métal a un goût amer pour cette athlète de 25 ans, née au Cameroun et stoppée en demi-finales par la Panaméenne Atheyna Bylon (1-4) malgré les vives acclamations du public de Roland-Garros, il s'agit là d'un immense fait d'armes.
"On représente 120 millions de personnes à travers le monde, principalement des gens qui n'ont plus d'espoir, qui traversent des guerres ou se sentent délaissés, rappelle Dorian Keletela, sprinteur de l'équipe des réfugiés venu encourager celle qui était sa porte-drapeau à la cérémonie d'ouverture. Notre équipe est là pour essayer de faire passer ce message d'espoir. On doit montrer que tout est possible dans la vie, qu'on peut s'en sortir quelles que soient les difficultés qu'on traverse… Que Cindy rapporte une médaille, c'est un symbole d'autant plus fort. C'est un sentiment de fierté".
Arrivée au Royaume-Uni à 11 ans
Car, avant de grimper sur un podium olympique, Cindy Ngamba a surmonté des épreuves bien plus dures qu'un combat de boxe. Lorsqu'elle n'a que 11 ans, elle quitte le Cameroun pour Bolton, dans le nord-ouest de l'Angleterre. Sa famille souhaitant "trouver une meilleure vie", raconte Alex Matvienko, le patron de son club - l'Elite Boxing Gym - à qui la boxeuse s'est souvent confiée depuis leur rencontre il y a six ans. "J'étais une enfant plutôt extravertie jusque-là, mais en arrivant au Royaume-Uni, je suis devenue plus renfermée, car je ne parlais que français", racontait-elle en zone mixte dimanche après s'être assurée d'une breloque grâce à sa victoire contre la Française Davina Michel en quarts de finale.
"Elle se faisait harceler à l'école parce qu'elle était en surpoids. Elle n'avait jamais mangé de sucreries et, du jour au lendemain, elle s'est retrouvée avec toutes les tentations du monde. Bonbons, chocolat, chips…"
Alex Matvienko, patron du club de Cindy Ngambaà franceinfo: sport
Celle qui rêvait de devenir enquêtrice de police – ce qui la poussera plus tard à suivre des cours de criminologie à l'Université de Bolton – décide alors de se réfugier dans le sport. Un moyen aussi pour elle de chasser une stressante routine, alors qu'elle et ses proches sont toujours en situation irrégulière. Après s'être essayée au football, l'adolescente de 14 ans pousse la porte d'un premier club de boxe, attirée par l'odeur de la sueur, comme elle l'expliquait à InfoMigrants en mai. "Les entraîneurs m’ont mise à l’épreuve durant de longs mois pour travailler ma condition physique et me préparer au mieux pour ce sport. Je n’ai pas touché un gant, ni tapé dans un sac durant quasiment un an", détaillait-elle.
Mais elle s'est accrochée, faisant toujours preuve de détermination, y compris lorsque ses coachs mettaient des garçons beaucoup plus lourds qu'elle comme sparring-partners. "Sa plus grande force, c'est clairement son cardio ! Cindy a déjà enchaîné neuf rounds sans prendre aucune pause contre un autre gars et moi. J'étais choqué, je me disais qu'elle ne pouvait pas être humaine, se remémore Sam Akinsete, 19 ans, qui s'entraîne régulièrement avec elle. Elle a un style de boxe assez unique, avec des mouvements gracieux, très fluides".
La crainte de l'expulsion
"Avec tout ce qu'elle a traversé, elle aurait pu nourrir une colère contre le monde entier, reconnaît le jeune homme, qui ne peut cacher son admiration. Mais elle ne s'est jamais laissée affecter par la situation. Même avec ce qu'elle est en train d'accomplir, elle est restée humble et donne toujours autant d'astuces aux plus jeunes." Dans ce club de la banlieue de Manchester où les valeurs d'ouverture et de mixité ont soudé une communauté issue des quatre coins du globe, Cindy Ngamba est devenue "un modèle" de résilience, "à la personnalité très solaire, électrique" malgré les remous de la vie.
En 2019, elle est arrêtée et placée dans un centre de détention pour migrants à Londres après s'être présentée avec son frère à ce qu'elle pensait être un simple rendez-vous avec les services de l'immigration dans le cadre de démarches pour légaliser son statut. Libérée après quarante-huit heures grâce à l'aide de proches, elle n'en reste pas moins marquée. En cas d'expulsion vers le Cameroun, elle sait qu'elle risquait d'être emprisonnée, ou pire, en raison de son homosexualité. Un crime dans son pays d'origine.
"Elle m'a déjà parlé du malaise qu'elle ressentait, de son incapacité à être complètement détendue au quotidien parce qu'elle ne savait jamais ce qui pouvait arriver du fait de sa situation."
Sam Akinsete, sparring-partner de Cindy Ngamba à Boltonà franceinfo: sport
En plus de son frère, très présent pour elle, Cindy Ngamba peut compter sur le soutien inconditionnel de ses différents encadrants du club de Bolton. Ils ont notamment été là pour l'aider à rédiger une lettre expliquant aux autorités les raisons de ne pas la renvoyer du Royaume-Uni, ce qui lui a d'ailleurs permis d'obtenir ce statut de réfugiée en 2020. "En fait, c'est comme une relation père-fille", résume Sam Akinsete, presque "envieux" d'un tel lien.
Intégrée à l'équipe britannique
Avec trois titres nationaux chez les amateurs, Cindy Ngamba a logiquement été invitée par GB Boxing, l'équipe britannique de boxe, à se joindre aux entraînements du côté de Sheffield. Depuis la saison 2021-2022, elle partage donc sa semaine entre Bolton et la sélection du Royaume, où elle a le statut de "partenaire d'entraînement" du lundi au jeudi. En guise de sparrings, elle combat notamment Lauren Price, la championne olympique de Tokyo dans sa catégorie des poids moyens. "Elle rigole toujours avec les coachs, mais quand la cloche sonne, elle devient très sérieuse. C'est le bon état d'esprit", souligne Rob McCracken, le directeur de la performance de GB Boxing.
Au sein de la délégation britannique, tout le monde aurait aimé compter la native de Douala dans les rangs pour Paris 2024. Hélas, cela n'a pas pu se faire, faute d'obtenir le passeport tant attendu. Mais l'équipe de boxe a tout de même délégué auprès de Cindy Ngamba l'un de ses coachs, Darren Maher, dans son coin à chaque montée sur le ring. Un geste "naturel" pour Rob McCracken et légitime au vu de ses performances dans le tournoi olympique.
"Quand elle s'est qualifiée pour les JO, je lui ai dit : 'Tout le monde va apprendre à te connaître, ta vie va devenir folle quand tu reviendras'. On savait à quel point Cindy était spéciale. Maintenant, le monde le sait aussi."
Alex Matvienko, patron du club de Cindy Ngambaà franceinfo: sport
Peut-être d'ailleurs que tout cela était écrit d'avance. A sa naissance, sa mère lui avait ajouté Winner comme deuxième prénom à l'état civil. Cindy ne l'a jamais aussi bien porté.
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