Reportage A la prison de Bapaume, les Jeux de Paris 2024 offrent aux détenus une "évasion par le sport" et l'occasion de se surpasser

Article rédigé par Pierre-Louis Caron - avec Céline Brégand, photographe
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Un détenu du centre de Bapaume (Pas-de-Calais) participe à un atelier cécifoot, le 8 août 2024. (CELINE BREGAND / FRANCEINFO)
Après des olympiades régionales au mois de juin, ce centre de détention du Pas-de-Calais met l'accent sur les JO en organisant des rencontres sportives pour les détenus.

"Je ne vois vraiment rien, c'est normal ?" Un masque sur le visage, Naïma* tente d'avancer au milieu de ses codétenus. Jeudi 8 août, au centre de détention de Bapaume (Pas-de-Calais), les olympiades organisées en lien avec les Jeux de Paris 2024 mettent le cécifoot à l'honneur. Après la pétanque et le tennis de table notamment, les huit détenus venus cet après-midi-là sont impatients de se frotter à cette discipline phare du handisport. Pour l'occasion, les résidents masculins des bâtiments A, B et C ont été mélangés, et ils pourront même jouer aux côtés des femmes détenues dans le même centre.

"On peut se permettre plus de flexibilité avec cette activité", explique Sébastien, surveillant et moniteur sportif de la prison, très satisfait de la capacité des détenus à "jouer le jeu". Depuis l'entrée du gymnase, il garde tout de même un œil vigilant sur les athlètes du jour qui s'échauffent. Sur le terrain, les exercices s'enchaînent. Sans aucun repère visuel, les détenus doivent retrouver à l'oreille le chemin du ballon bourré de clochettes. Ensuite, en binôme masqué-non masqué, ils se guident à travers l'espace en conduisant la balle. "C'est un bon exercice pour la confiance en l'autre, et puis tout le monde est sur un pied d'égalité", analyse Sébastien, entre deux conseils lancés à pleine voix.

Couloir L’espace

Un peu serré dans sa chasuble rouge floquée "JO Bapaume 2024", Ousmane* n'en est pas moins l'un des meilleurs espoirs du jour. Les jambes bien en avant ou carrément en pas chassés, il se déplace à bonne vitesse sur le terrain et cadre la plupart de ses tirs. "J'ai déjà vu ce sport à la télévision, donc je me suis un peu préparé", avoue-t-il. Autour de lui, ses "collègues" n'ont pas tous la même aisance. "A gauche ! Non, pas cette gauche-là !", lance Anna* à Naïma*. "Tu nous as vues avec le masque ? On dirait les Daft Punk !", lui répond l'autre, avant de tirer un coup franc tendu qui vient s'écraser sur un poteau du but.

"Les Jeux, je suis branché dessus H24"

Venu spécialement pour animer l'atelier cécifoot, Boualem Bensalem, du Comité régional handisport des Hauts-de-France, en profite pour parler du handicap au quotidien. "L'espace public est vécu de façon totalement différente par les personnes handicapées, qui ont tout le temps besoin de s'adapter", explique-t-il, avant de répondre aux nombreuses questions des détenus. Côte-à-côte sur le terrain, certains se rencontrent pour la première fois. A Bapaume, les prisonniers sont généralement enfermés pour de longues peines et occupent pour la plupart des cellules individuelles, où chacun a sa télévision.

"Je regarde tous les sports, j'ai vu beaucoup de médailles en direct", raconte Ousmane. "Moi, les Jeux, je suis branché dessus H24", renchérit Fabien*, qui retient notamment la médaille d'argent du boxeur Soufiane Oumiha, "très fort malgré les coups d'en face", et se demande si "Léon Marchand n'est pas un robot programmé pour gagner". Dans les couloirs de la prison, les Jeux de Paris sont un sujet de conversation bienvenu. "Parler des résultats, ça change des plaintes ou des ragots sur l'un ou l'autre", sourit Fabien.

Atelier Boualem

Autre thème de discussion, les olympiades régionales, organisées au mois de juin entre les 17 établissements pénitentiaires des Hauts-de-France, semblent avoir été appréciées. "Les détenus ont pu s'entraîner six mois avant cette date, qui leur permettait aussi de ne pas rater les JO", explique Olivier Leclercq, coordinateur sport de la Division interrégionale des services pénitentiaires de Lille. Ils ont ainsi pu "regarder les épreuves d'un autre œil" et "mieux se rendre compte" des efforts fournis par les athlètes. "En héritage des Jeux, nous comptons répéter cette compétition chaque année, ou tous les deux ans, afin que chacun puisse se fixer des objectifs sportifs", détaille-t-il.

S'évader le temps d'un match

Face à l'animateur handisport reconverti en gardien de but, les détenus perfectionnent leur tir à l'aveugle. "Vas-y Anna, écris ton histoire ! Deviens la Mbappé de Bapaume !", hurle Naïma à son amie, qui manque la cage de quelques mètres. Au deuxième essai, la jeune femme atteint la lucarne sous des applaudissements nourris. "Grâce au sport, on crée de la fierté chez les détenues, raconte Lucie Ferster, en charge des activités de tout le centre. Quand on a des gens qui nous disent : 'A quoi bon jouer ? Je n'ai jamais rien gagné de ma vie', le fait d'aller jusqu'au bout de l'activité est déjà une énorme récompense."

Lucie Lucie

A Bapaume, les conditions de détention sont plus favorables qu'ailleurs. Avec 540 détenus (hommes et femmes) début août, pour 600 places maximum, la prison est loin de souffrir de la surpopulation carcérale qui atteint des records en France. Parmi les détenus du centre, seule une minorité pratique une activité physique quotidienne. Pointant du doigt son legging et son tee-shirt ajusté, Lydie* est fière de dire qu'elle en fait partie. "Je viens à la salle deux fois par semaine, je fais du rameur, du vélo elliptique, je cours...", énumère-t-elle. Le soir, dans sa cellule, elle se livre aussi à des séances de gainage et des squats, façon de garder une certaine forme et de se "nettoyer la tête".

"Sans sport, la vie en prison serait très, très compliquée."

Lydie, détenue au centre de Bapaume

à franceinfo

De l'aveu des surveillants, la cigarette, autorisée, et la consommation de drogues introduites malgré de stricts contrôles dégradent beaucoup la santé des personnes enfermées. "C'est très tentant et facile de rester dans sa cellule en prenant des cachetons", confie Fabien, qui ne manquerait pour rien au monde ses sessions de badminton, sa "passion de toujours". Après deux décennies passées à fumer, c'est en prison qu'il a réussi à arrêter. "Que ce soit maintenant ou à la sortie, c'est important de se bouger, exhorte-t-il. Réinsertion, travail, santé : si tu as la volonté de faire du sport, tu peux tout réussir derrière."

"Le gymnase, c'est le seul endroit où je n'ai aucun barreau dans mon champ de vision. C'est presque une évasion, mais par le sport."

Fabien*, détenu au centre de Bapaume

à franceinfo

Au sein du centre de détention, "avoir un cap, des objectifs sportifs, c'est bien vu de la part de tout le monde, y compris des surveillants", révèle Fabien, avant d'être appelé pour disputer le match tant attendu. En équipes mixtes, les joueurs se percutent, tentent des actions de jeu, font tomber une barrière dans un grand éclat de rire. "Avec les problèmes qu'ils ont ici et à l'extérieur, les détenus ont énormément de pression, raconte Lucie Ferster, postée au bord du terrain. On préfère qu'ils se défoulent au sport plutôt que sur quelqu'un d'autre, détenu ou surveillant."

"Le gymnase, c'est la cocotte-minute de la prison"

Alors que la partie suit bruyamment son cours, Sébastien, le surveillant aux deux casquettes, revient sur l'importance de l'activité physique dans le milieu carcéral. "C'est une bonne manière de voir le vrai visage des détenus, en les poussant dans leurs retranchements lors des séances", détaille-t-il. Gestion de la colère, du regard des autres, respect des règles, confiance en soi... Le comportement et la psychologie "sont aussi au centre" de la pratique sportive, souligne-t-il. Cet espace à part, où "la parole est plus libre", permet aussi de mieux saisir l'atmosphère du centre de détention.

Gymnase centre

"Le gymnase, c'est un peu la cocotte-minute de la prison, schématise-t-il. Si ça siffle ici, c'est que ça a de fortes chances de péter." Un détenu agité, en proie à des troubles, aura donc tout intérêt à être "canalisé" au sport plutôt que de risquer une explosion de violence. "Il y en a qui casseraient une bouche par semaine si on ne les poussait pas à tout donner au CrossFit par exemple", confie Sébastien.

Pour Lionel*, qui se décrit comme un "multirécidiviste confirmé", les activités sportives sont une planche de salut. A Bapaume, il est "auxi", comprendre auxiliaire des sports, chargé d'épauler les moniteurs. Ce statut particulier lui permet d'accéder plus librement aux équipements sportifs, une aubaine pour celui qui a représenté son établissement aux dernières olympiades. Très engagé dans sa mission, Lionel aimerait qu'il y ait davantage de créneaux proposés. Mais le gymnase tourne déjà à pleine capacité, répond la direction du centre, qui fait valoir certaines consignes de sécurité et l'importance d'autres activités comme l'éducation et le travail, en vue d'une meilleure réinsertion.

Sébastien, Médaille

Au terme d'une rencontre endiablée, les sans-chasuble remportent le match de cécifoot 1 à 0. A peine l'intervenant arbitre remercié qu'il est déjà l'heure de quitter la zone du gymnase. Non sans récupérer sa médaille, d'or ou d'argent. Certains objectent gentiment : "Il y a eu de la triche quand même !" Il est vrai que le port du masque occultant n'a pas toujours été respecté... Qu'importe, l'activité a plu et le groupe repart avec le sourire. Alors que dans les Hauts-de-France, les JO pourraient faire bondir les inscriptions sportives à la rentrée, la semaine olympique "a remis certains détenus sur le chemin de la salle", se félicite Sébastien, avec le sentiment d'avoir "marqué un point de plus".

*Les prénoms signalés par un astérisque ont été changés.

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