JO de Paris 2024 : "Ces gens nous ont fait un tort fou"... Comment l'équitation a pâti des images du pentathlon des Jeux de Tokyo

Depuis plusieurs années, le mouvement animaliste vise l'équitation, jusqu'à vouloir faire supprimer ces épreuves des Jeux olympiques.
Article rédigé par Sasha Beckermann
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 5 min
Annika Schleu, le 6 août 2021, aux Jeux olympiques de Tokyo (Japon). (DPA/AFP)

Robe baie, yeux écarquillés, tête levée, mâchoires serrées, tétanisé sous les coups d'éperons et de cravache de sa cavalière. Les images de Saint Boy avaient fait le tour du monde en 2021. Ce cheval est resté dans les mémoires car il a accéléré l'évolution de l'une des épreuves emblématiques des Jeux olympiques : le pentathlon. Impuissante et en larmes sur son dos, Annika Shleu avait vu ses rêves de médaille d'or s'envoler. Et les critiques s'étaient multipliées.

Quelques jours après les images, une association allemande de protection des animaux (Deutscher Tierschutzbund) avait annoncé porter plainte contre l'athlète et sa coach, aperçue portant un coup à Saint Boy. Les charges avaient ensuite été abandonnées par la justice allemande. "Bien sûr, une athlète concentrée sur l'or olympique subit un stress énorme à ce moment-là, mais ce n'est pas une excuse à la cruauté envers les animaux", assénait Thomas Schröder, président de l'association plaignante.

Supprimer les épreuves d'équitation pour protéger les chevaux

Ces images sont devenues, pour certaines associations animalistes, un symbole. Certaines sont allées jusqu'à réclamer la suppression des épreuves d'équitation aux Jeux olympiques, d'autant plus que d'autres images à Tokyo avaient ému : l'euthanasie de Jet Set, la monture du Suisse Robin Godel, qui avait été gravement blessée après une chute sur l'épreuve du cross. Ou encore le sang dégoulinant des naseaux de Kilkenny, le cheval de l'Irlandais Cian O'Connor, sur l'épreuve de saut d'obstacles. 

"Les amendes et les suspensions ne suffisent pas à protéger les autres chevaux des entraîneurs qui pourraient commettre des infractions similaires", écrivait dès août 2021, l'association Pour une éthique dans le traitement des animaux (Peta), dans une lettre adressée au président du CIO, Thomas Bach. "Les Jeux olympiques mettent en valeur les athlètes humains, pas la capacité à terrifier et à blesser des chevaux qui ne choisissent pas de concourir mais qui font tout le travail, parfois au prix de leur vie", ajoutait Ingrid Newkirk, la présidente de l'association animaliste.

La suppression de l'épreuve d'équitation du pentathlon a finalement été décidée. Mais l'association regrette que l'édition parisienne, sur le point de s'ouvrir, ne soit pas concernée : "On se demande quand même pourquoi est-ce que ça devait attendre jusqu'à 2028 alors que ça aurait pu être dès 2024. Ce sont des animaux qui ne connaissent pas leur cavalier, qui sont un peu utilisés comme des objets. Mais on a aussi des exemples qui montrent des maltraitances dans d'autres disciplines."

Equitation et pentathlon, deux sports différents

Pour Alexandre Ayache, cavalier en équipe de France de dressage, il existe une vraie différence entre cavaliers de pentathlon et professionnels. "Cette femme [Annika Schleu] n'est pas cavalière. Elle a pété les plombs, mais on ne peut pas dire que c'est une cavalière. Ça fait du mal à l'équitation. Elle arrive dix minutes avant l'épreuve, elle fait sa détente [préparation à l'effort] et elle ne voit plus jamais le cheval. Ce n'est pas du tout la même chose."

"Ces gens nous ont fait un tort fou. Et ça fait du mal à l’équitation de haut niveau parce que tout le monde nous met dans le même panier."

Alexandre Ayache, cavalier de dressage de l'équipe de France

à franceinfo: sport

Contrairement à l'épreuve d'équitation du pentathlon pendant laquelle les compétiteurs montent un cheval tiré au sort et le découvrent seulement quelques minutes avant, les cavaliers des épreuves d'équitation travaillent leurs chevaux pendant des années avant de toucher du doigt le niveau espéré. Une relation se noue entre l'humain et l'animal et ce dernier est traité comme un sportif de haut niveau. "Nous, on travaille sur le bien-être de nos chevaux depuis des années, se désole Jean Morel, sélectionneur de l'équipe de France de dressage. Les gens ont confondu notre sport avec le pentathlon."

A tel point que certaines scènes sont devenues courantes en concours : "On a 20 animalistes autour de la piste maintenant. Ce matin, en sortie de piste, après ma reprise, une dame avait son téléphone avec lequel elle filmait en cachette. Je suis descendu et je lui ai dit : 'Attendez je vous montre'. J'ai ouvert la bouche de la jument pour qu'elle vérifie qu'il n'y ait pas de sang", décrivait Alexandre Ayache, en mai dernier, à Fontainebleau. 

Un combat qui va trop loin ?

"Ils ont l'impression que les chevaux de haut niveau sont tous torturés alors qu'ils ont une vie de pacha par rapport aux chevaux de club, assure Alexandre Ayache. Un cheval qui est dans un poney club le samedi fait quatre, cinq, six heures avec des cavaliers différents qui ont des niveaux assez bas. Nous, ils sont mis dans du coton, soignés comme des divas. Jolene [son propre cheval] rentre du concours d'Aix-la-Chapelle, elle en est à son troisième jour de thalasso, avec ses carottes, son paddock toute la journée." Loin d'être suffisant pour Peta, qui pointe l'exploitation des chevaux et demande la suppression de toutes les épreuves d'équitation des JO. "On a des gens qui utilisent vraiment les chevaux juste en tant qu'accessoires. Dans toutes ces disciplines qui sont de très haut niveau, on a beaucoup plus d'exploitation, beaucoup plus de pression sur les animaux."

Les images de Ludger Beerbaum, le quadruple champion olympique allemand de saut d'obstacles, filmé en train de maltraiter l'un de ses chevaux en 2022, n'ont pas arrangé les choses. "On ne peut pas nous reprocher de ne pas travailler sur le bien-être de nos chevaux, s'insurge aussi Jean Morel. Ça ne se voit pas comme ça, mais par exemple, le cheval de Pauline Basquin [cavalière de l'équipe de France de dressage], on a mis deux ans pour lui créer une musculature de dos qui lui permet de se tenir. On cherche à ce que le cheval ait le physique optimum pour assumer ce qu'on va lui demander.

"Le problème c'est qu'on ne saura jamais ce qu'il se passe avant qu'ils n'arrivent à l'événement, affirme Peta. La seule façon de le savoir, c'est grâce à des lanceurs d'alerte." Trop radical, voire inefficace pour le cavalier de l'équipe de France : "Ça devient extrême et ça va à l'encontre de leur combat", assène Alexandre Ayache.

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