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Guerre en Ukraine : "La bulle apolitique dans laquelle le sport était enfermé est complètement crevée", estime Jean Durry, historien de l'olympisme

Pour l'écrivain et chercheur, la prise de position du CIO à l'encontre des sportifs russes "va marquer un tournant pour les instances".

Article rédigé par Maÿlice Lavorel, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Thomas Bach, président du Comité international olympique (CIO), lors de la cérémonie de clôture des Jeux olympiques de Pékin, le 20 février 2022. (ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP)

Les sanctions et les prises de position tombent en cascade dans le monde du sport, six jours après l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Parmi les plus retentissantes, la recommandation, lundi 28 février, du Comité international olympique (CIO) aux fédérations de ne pas autoriser les athlètes russes et biélorusses à concourir dans leurs compétitions. Cette prise de position peut changer la vision des liens entre le sport et la politique, selon l'historien du sport et de l'olympisme, par ailleurs fondateur du Musée national du sport, Jean Durry.

Franceinfo: sport : Une telle prise de position est-elle une première dans l’histoire du CIO ?

Jean Durry : Un seul précédent me vient à l’esprit : c’est la suspension, l’exclusion momentanée de l’Afrique du Sud au moment de l’apartheid, en 1962. Elle est revenue à Barcelone, en 1992, avec la présence de Nelson Mandela dans les tribunes. Sinon, il n’y a pas vraiment eu d’autres prises de position politiques du CIO.

Les Jeux olympiques sont liés dès le départ au concept de paix. Quand Pierre de Coubertin lance les Jeux, il veut avant tout internationaliser le sport. Son idée, c’est que les sportifs se rencontrent et se connaissent. Cela ne va pas forcément faire la paix entre les peuples, mais ils vont au moins apprendre à se connaître.

A l’époque, Coubertin est très proche de ceux militant pour la paix dans le monde, en particulier Frédéric Passy et Henry Dunant (fondateur de la Croix-Rouge), les deux premiers prix Nobel de la paix en 1901. Cela ancre les racines du CIO et des Jeux dans l’idée de paix, qui est mentionnée dans la charte olympique.

Qu’est-ce qui explique cette prise de position du CIO aujourd’hui dans cette crise ?

Le sport est devenu un élément mondial de la société humaine. Ainsi, la bulle dans laquelle le sport était enfermé, sous prétexte d’apolitisme, est complètement crevée.

"Le sport n’est plus un monde à part, séparé de la vie"

Jean Durry, historien

à franceinfo: sport

Le sport est entraîné dans cet élan unanime, surtout du côté des pays occidentaux, face à la situation. Ça change la façon de se prononcer, de prendre parti, pour les dirigeants du sport. Pour le CIO et les instances, c’est une prise de position éminemment politique.

Le CIO s'est déjà prononcé dans l’affaire Peng Shuai récemment. En réalité, le sport est un domaine du monde politique depuis toujours, mais jusqu’il y a peu, les dirigeants se servaient de cet apolitisme de principe pour ne pas se prononcer.

Cela peut-il marquer un tournant dans la neutralité affichée du CIO ? Peut-on imaginer des manifestations et des messages politiques aux Jeux, par exemple à Paris, dans deux ans ?

Cela va marquer un tournant pour les instances, c’est évident. Pour les athlètes, le CIO a une politique claire, durant les Jeux et dans les arènes olympiques : les sportifs ne doivent pas prendre position ni manifester. C’est la position qui a été prise à Pékin. On n’est pas encore en 2024, il peut se passer des choses d’ici là, mais on peut imaginer que ce sera le même principe.

Maintenant, on voit que les sportifs eux-mêmes prennent de plus en plus l’initiative de se prononcer, avec l’exemple de Kaepernick s’agenouillant pour protester contre les agissements de Trump. Depuis, il y a souvent eu des prises de position des sportifs de façon très engagée. C’est leur liberté individuelle, et ils s’en servent de plus en plus. Mais il est bien difficile de dire où en sera le monde en 2024.

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