"On ne force personne" : mais pourquoi des milliers de bénévoles acceptent-ils de travailler gratuitement pour les Jeux olympiques ?

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
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Une volontaire devant le compte à rebours de la cérémonie d'ouverture dans le secteur de la tour Eiffel à Paris, le 21 juillet 2024. (CARON/ZEPPELIN/SIPA / SIPA)
Pour faire fonctionner l'énorme machinerie de Paris 2024, 45 000 bénévoles non rémunérés, pas logés, mais nourris, seront sur le pont six jours sur sept, huit heures par jour minimum.

"Le meilleur moment de ma vie." Susan est catégorique. Volontaire aux Jeux de Sydney en 2000, cette amoureuse des animaux est préposée à l'obstacle n°6 du parcours du cross du concours complet d'équitation. Si l'épreuve demeure un grand souvenir, l'apothéose survient quelques minutes plus tard, quand l'enfant du pays, le cavalier Andrew Hoy, médaille d'or autour du cou, débarque dans le local des volontaires. "Il m'a fait la bise et m'a signé un petit drapeau australien comme c'était mon anniversaire !" raconte Susan, des étoiles plein les yeux, 25 ans après. "Inutile de vous dire que je l'ai encore. Et la grande carte du parcours du cross est sous verre, dans mon salon."

Ce genre d'histoire est le rêve de tout volontaire, à l'image des 45 000 hommes et femmes que Paris 2024 accueille. Leur mission : orienter les spectateurs, chouchouter les VIP, installer des haies sur la piste d'athlétisme ou comme Susan, surveiller un obstacle des épreuves équestres... Sur la ligne de départ, ils étaient 300 000 candidats, il y a encore quelques mois, selon le comité d'organisation. Un engouement qui ne se dément pas pour un job non payé, huit heures par jour, cinq jours par semaine, et parfois ingrat. "Orienter les visiteurs au métro Gare du Nord pendant les deux semaines, sérieusement ?" se désole l'un d'eux sur les nombreux groupes Facebook où ils partagent bons plans et galères. Le gîte n'est pas fourni, le couvert une fois par jour et en guise d'avantages en nature, il faudra faire avec un uniforme Décathlon et deux tickets de métro quotidiens.

Plus vite, plus haut, plus nombreux

Les plus jeunes pourraient quand même y trouver leur compte. "Les volontaires acquièrent des compétences transversales, qu'il est facile de valoriser sur un CV", assure Bénédicte Halba, présidente de l'Institut de recherche sur le volontariat. Le hic, c'est que les comités d'organisation favorisent les éléments chevronnés, plus toujours dans leur prime jeunesse. "Si on prenait des jeunes inexpérimentés, on augmenterait significativement le nombre de bénévoles pour les prochains événements, petits et grands", appuie Tracey Dickson, chercheuse spécialiste du volontariat à l'université de Canberra (Australie). "Mais il faudrait plus de monde – salarié – pour les encadrer et les former. Ce serait aussi une forme d'héritage..."

Tout ce qu'a retenu le collectif Saccage 2024, c'est que 45 000 personnes travaillent à l'œil pour le CIO ou ses sponsors, à l'instar de la marque de chrono Oméga, comme stipulé dans la charte de Paris 2024. "Du travail dissimulé", s'insurgent les militants, qui ont envoyé leurs "involontaires" s'inscrire en masse pour saboter le programme, en se faisant porter pâles au dernier moment ou en organisant des flashmobs et autres coups d'éclat. "Nos camarades ou nos sympathisants ont été sélectionnés à des postes clés", assure Arthur, un des membres du collectif. De son côté, Paris 2024 a anticipé les défections avec un bataillon de réservistes. "Ils connaissent les conditions, on ne force personne", s'est défendu Tony Estanguet, le patron du comité d'organisation, lors d'une audition à l'Assemblée nationale, fin mars. "C'est comme ça que marche l'événementiel sportif."  De plus en plus, même, comme l'atteste le nombre croissant de volontaires requis pour les Jeux d'été au fil des éditions.

Le nombre de volontaires nécessaires pour chaque édition est le fruit d'un savant calcul. Jusqu'aux JO de Salt Lake City en 2002, on envoyait sur chaque évènement des salariés et des bénévoles, ce qui engendrait doublons et confusion. "Pour les postes dont on avait juste besoin pendant les 17 jours de la compétition, on fait appel à des volontaires. Pour les postes qui s'inscrivent sur la durée, des salariés", détaille Ed Enyon, manager du programme des volontaires dans l'Utah.

"Je me souviens qu'une société nous avait proposé de fournir clé en main tous les stadiers nécessaires pour placer les gens, moyennant 4 millions de dollars. Bien trop cher. On a pu faire ça gratuitement."

Ed Enyon, chargé des volontaires à Salt Lake City

à franceinfo

Indispensables à la bonne tenue des JO, ces bonnes âmes pourraient-elles être rémunérées par une organisation générant 7,6 milliards de dollars de revenus sur la période 2017-2021, selon son dernier rapport comptable ? Le CIO avait sorti sa calculette pour les JO de Sydney en 2000 et avait chiffré autour de 4% du budget global la rémunération des petites mains au tarif horaire minimal. Des miettes dont refusent de se contenter les opposants.

"On a l'intention d'attaquer Paris 2024 aux prud'hommes pour créer une jurisprudence après les JO."

Arthur, militant du collectif Saccage 2024

à franceinfo

Et de continuer : "Même s'il y a des recours, la décision sera tombée avant 2030, quand la France va organiser les Jeux d'hiver. Ça fera réfléchir les organisateurs."

Un engagement désintéressé ou obligé

En réalité, la question de la rémunération des volontaires n'en a jamais été vraiment une pour le CIO. Avant qu'ils aient la flamme, l'armée ou les scouts étaient réquisitionnés pour faire tourner le barnum olympique. Jusqu'au jour où ils n'ont plus suffi. En 1984, les Jeux d'été de Los Angeles sont les premiers à faire appel au volontariat massif (avec 28 742 "élus"). "C'est un fait culturel propre au monde anglo-saxon", appuie Jean-Loup Chappelet, spécialiste des Jeux olympiques, qui a lui-même donné de sa personne aux JO d'hiver de Lake Placid en 1980, comme 6 700 autres volontaires. Douze ans plus tard, le statut du bénévole olympique était gravé dans le marbre par le CIO : "Un volontaire est une personne qui s'engage de façon désintéressée à collaborer, au mieux de ses capacités, à l'organisation des Jeux olympiques, en accomplissant les tâches qui lui sont confiées sans contrepartie financière ni compensation d'aucune autre nature."

"Travail harassant. Horaires à rallonge. Pas de rémunération. Dépêchez-vous", ironisait une campagne de recrutement dans les journaux de l'Utah avant l'édition de Salt Lake City. Et la main-d'œuvre a afflué. "On a dû refuser 45 000 personnes", se remémore Ed Enyon. "Ce genre d'engouement reste circonscrit aux pays riches", tempère l'universitaire Tracey Dickson.

"A Rio, les gens des favelas n'avaient aucune envie de participer à une fête à laquelle dont ils étaient exclus, de fait."

Tracey Dickson, chercheuse spécialiste du volontariat à l'université de Canberra

à franceinfo

Et quand ça ne se bouscule pas au portillon, les organisateurs rusent, comme à Sotchi (2014) qui a massivement fait appel à des étudiants. A Pékin (2008 et 2022), les volontaires ne l'étaient que sur le papier. L'universitaire Tracey Dickson explique que les chercheurs utilisent dans ce cas le mot-valise "voluntold", mélange de "volunteer" (volontaire) et "told" (obligé), puisque les appelés n'ont pas vraiment eu voix au chapitre, selon elle.

Un volontaire enlève les anneaux olympiques de la piste après l'épreuve de saut à skis des Jeux de Pékin, le 5 février 2022. (CHRISTOF STACHE / AFP)

En dépit des multiples coups de boutoir portés à l'idéal olympique, la magie opère toujours. Le CIO en est le premier étonné, à lire le préambule du symposium sur le statut des volontaires, organisé en 1999 alors que l'organisme enchaîne les scandales de corruption.

Volontaires et fiers de l'être

Cette petite flamme enamourée, on la retrouve dans les yeux de tous les volontaires interrogés par franceinfo au moment d'évoquer leurs expériences passées. "Je refuserais de le faire si c'était payé, appuie même Ernest Peterson, un des vétérans du volontariat après des expériences à Salt Lake City (2002), Turin (2006), Vancouver (2010), Sotchi (2014) et Rio (2016). "Il y a des choses qu'on n'arrive pas expliquer", plaide l'Américain.

Comme l'investissement pécunier de Whendie pour les Jeux de Rio : 2 000 euros entre l'hébergement et l'avion et un an à apprendre le portugais pour être une bénévole modèle. "Je crois qu'on est animés par la volonté de rendre ce que la vie nous a donné", avance la Britannique. Charles était chauffeur à Tokyo et bien qu'il ait passé les Jeux dans une voiture, séparé par un Plexiglas de passagers masqués jusqu'aux oreilles, il en conserve un souvenir ému : "Faire ça gratuitement change entièrement le regard que vous portez sur la tâche."

"Quand vous êtes payé, vous faites vos heures. Quand vous êtes volontaire, vous voulez que ça vous marque à vie".

Charles, volontaire aux Jeux de Tokyo

à franceinfo

Caroline, présente à Londres, appuie : "Comme on fait ça pour rien, on tâche d'avoir la meilleure expérience possible." Pour rien, ou presque. A Atlanta (1996), la timbale était une montre Swatch collector... "Mais les organisateurs ont commis l'erreur de la donner au début de la compétition, au moment où les volontaires sont allés toucher leur uniforme, s'amuse Jean-Loup Chappelet. Une part significative d'entre eux ne s'est jamais montrée après."

Les récompenses immatérielles fonctionnent aussi. "A Sydney, ils ont invité tout le monde à la cérémonie de clôture", note l'économiste suisse. A Salt Lake City, les hautes sphères ont inventé la récompense évolutive, avec des pin's : "On en distribuait frappés d'un 5 après cinq jours, d'un 8 après huit jours, énumère Ed Enyon. Le plus grand honneur pour eux, c'était de tous les afficher à la fin de la quinzaine !"

Les volontaires des Jeux de Pékin lors d'un entraînement de tir à l'arc, le 6 août 2008. (MICHAEL STEELE / GETTY IMAGES ASIAPAC)

La seule chose que réclament les volontaires, c'est une égalité matérielle stricte. A Sydney, le code couleur des uniformes laissait entrevoir les grades de chacun, ce qui avait déplu aux petites mains de l'évènement. A Salt Lake City, ce sont des chutes de neiges inattendues qui tournent à l'incident diplomatique. Trouver 1 400 types costauds pour pelleter, via les paroisses mormonnes, ne pose aucun problème. Mais quand le colosse qui déblaie se rend compte qu'il n'a pas droit à l'uniforme officiel, mais à un pauvre K-Way floqué des anneaux olympiques pour faire l'économie d'une commande express, la révolte gronde. "Leur responsable m'appelle au bout de cinq jours, il avait tous ses gars sur le dos parce qu'ils n'avaient pas l'uniforme des autres volontaires !" raconte Ed Enyon, à l'autre bout du fil. Espérons que Tony Estanguet a prévu un peu de rab au vestiaire, si besoin de volontaires de dernière minute.

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