JO de Paris 2024 : "Compétition d'une vie", "volcan émotionnel"... Comment les sportifs français sont accompagnés pour gérer la pression des JO à domicile
"Vivre des Jeux dans son pays, c’est quelque chose de très spécial, mais il faut se préparer à la pression populaire. Toute la journée, tu croises des supporters, les gens qui vont te servir à manger au self, ceux qui vont faire le ménage dans ta chambre ou conduire les bus... Tous sont susceptibles de nous glisser juste un petit mot, mais ce petit mot répété dix ou quinze fois dans la journée, si on n’est pas préparé ça peut inhiber". Dans les colonnes du journal Le Monde, à dix mois de Paris 2024, le nageur Florent Manaudou se projetait déjà sur l'événement, qu'il considère comme "la chance d'une vie", comme la très grande majorité des quelque 571 athlètes tricolores qualifiés (et 51 remplaçants) pour ces Jeux.
Pour certains, il s'agira de l'aboutissement d'un long processus, entamé dès l'attribution des Jeux olympiques à la France presque sept ans plus tôt, le 13 septembre 2017. Si le fait de concourir devant le public français est du genre à transcender les athlètes, comme la cycliste sur piste Mathilde Gros, "sûre d'être au max de ce qu'[elle] peut faire", l'histoire du sport est riche en déroutes à domicile. Le naufrage de l'équipe du Brésil de football en demi-finales de sa propre Coupe du monde en 2014 face à l'Allemagne (défaite 7-1) est encore imprimé dans la rétine de tous les fans de sport.
Le paradoxe émotionnel de l'athlète
Choisie pour allumer la flamme olympique à Tokyo, Naomi Osaka est également tombée de haut lors des derniers JO, dès le troisième tour du tournoi de tennis. "La pression, je devrais être habituée à force. Mais la grandeur d’un tel événement a été compliquée à gérer. Mon attitude n’a pas été bonne parce que je ne sais pas vraiment gérer ce genre de pression", avait-elle admis en zone mixte, au bord des larmes, après sa défaite contre Marketa Vondrousova. En plus d'être une course contre-la-montre sur le plan sportif, les Jeux olympiques revêtent toute une dimension mentale.
Ils sont "comme un volcan émotionnel", explique la psychologue Meriem Salmi, qui suit de nombreux sportifs français attendus à Paris cet été dont, Teddy Riner. "En même temps, on a envie d'y être, de bien faire, et on a peur de ne pas être à la hauteur de l'événement. Ce mot a été tabou très longtemps, mais la peur est un signal très précieux. Si on n'a pas peur, on fait n'importe quoi. D'ailleurs, les gens qui n'ont pas peur ont le cerveau endommagé", insiste-t-elle, à l'aube de ses sixièmes JO auprès de sportifs.
Le poids des attentes est palpable, surtout quand on annonce avec trois ans d'avance qu'on sera champion olympique. C'est le cas d'Edgar Grospiron, médaillé d'or en ski de bosses à domicile aux Jeux d'hiver d'Albertville en 1992. Le jour de la compétition, "j'étais impatient, parce que la pression commençait à devenir un peu insupportable", retrace-t-il. Ce qui ne l'a pas empêché de "se sentir prêt" parce que "le boulot était fait". "On a tous notre propre rapport à la pression et notre propre tolérance. La pression, on en a besoin, mais jusqu'à un certain point, au-delà duquel elle devient inhibante. J'avais trouvé ce point de pression optimal et c'est un travail que chacun doit faire", appuie Grospiron, devenu conférencier spécialisé dans la haute performance.
Se confronter aux "croyances limitantes"
La régulation de la pression est une compétence à acquérir au terme d'"un travail de longue haleine". L'expression est utilisée par Meriem Salmi, Edgar Grospiron, mais aussi Denis Troch, entraîneur adjoint du PSG dans les années 1990 devenu coach en optimisation de la performance. "La gestion de la peur ne se fait pas le jour de la compétition. Si vous avez peur pendant la compétition, c'est mort, c'est la gangrène pour vous, explique-t-il. L'entraînement et les championnats de France servent généralement de répétition."
Pour Meriem Salmi, les efforts ne doivent pas être uniquement consentis sur le plan de la performance sportive. Pour arriver dans un état d'esprit optimal, l'approche doit être globale et ne doit surtout pas occulter les tracas de la vie quotidienne. "Souvent, on résume ça à un paramètre ou deux, mais il y en a énormément qui vont entrer en jeu. Il faut déjà s'assurer d'un équilibre dans son environnement, au niveau sportif comme privé", développe celle que le pilote Romain Grosjean a consultée pour se débarrasser de l'image de kamikaze du premier tour qui lui collait à la peau en F1.
En cas d'échec cuisant lors d'une grande compétition internationale, "la première chose à regarder, c'est la manière dont on a été managé, géré, piloté, dont l'entourage proche a agi pour créer les conditions. L'entourage a une responsabilité énorme sur la pression. Je regarderai toujours si le coach est capable d'absorber la pression pour exporter de la confiance", insiste Edgar Grospiron.
"La performance d'un athlète ou d'une équipe repose à 97% sur la qualité du management."
Edgar Grospiron, champion olympique de ski de bosses devenu conférencier spécialisé dans la haute performanceà franceinfo: sport
"S'assurer que tout va bien" est la première étape, primordiale, et la plus difficile à mettre en place, d'après Meriem Salmi. Ce n'est que dans un deuxième temps que le travail de préparation mentale s'enclenche et agit comme "complément". Elle s'appuie sur la "mindfulness" (un état de pleine conscience atteint par la méditation) et sur des thérapies cognitivo-comportementales (TCC) pour aider les sportifs à "muscler leur cerveau". "L'exercice consiste à revenir dans le moment présent quand le cerveau va nous projeter dans le stress de la compétition. Plus les athlètes vont le faire, plus ils vont y arriver, mais ça ne vient pas tout de suite", explique Meriem Salmi.
Pas de recette miracle
"La sophrologie, l'hypnose, la relaxation, le yoga, les techniques de respiration... Tout ça n'est que du sparadrap. Cela va nous aider avant le départ ou dans les moments où on se sent submergé, mais il faut surtout se confronter à ses croyances limitantes", insiste Edgar Grospiron, qui prend l'exemple de l'éclosion du skieur français Cyprien Sarrazin à 29 ans. "Avant, je ne m'autorisais pas à être parmi les meilleurs, je ne me sentais pas à ma place et je ne sais pas vraiment pourquoi", a confié à RMC Sport celui qui a remporté les deux descentes de Kitzbühel en janvier, désormais débarrassé de son "syndrome de l'imposteur" grâce à l'aide des spécialistes qui l'ont accompagné.
En conférence, face à une audience de 150 athlètes, dont un tiers déjà sélectionné aux Jeux de Paris, Edgar Grospiron a dévoilé la recette qui lui a permis d'arriver dans les meilleures dispositions mentales aux JO 1992 : "Audace, impertinence et humilité". Des ingrédients absolument "pas universels". "C'est à chacun de trouver son juste niveau de pression et sa manière de la gérer. La seule pression qui existe, c'est celle qu'on se met. A partir du moment où c'est nous qui l'installons, on est aussi capables de la réguler", appuie l'ex-consultant de France Télévisions.
Se concentrer sur la performance
Qu'on dispute ses premiers, ses derniers Jeux, qu'on vise une médaille... D'après les spécialistes, il est impossible d'identifier un profil spécifique d'athlètes particulièrement vulnérables à la pression ou, au contraire, forcément très bons pour la réguler. "Tous les gens qui seront là ont un seuil de tolérance à la pression qui est assez élevé. On n'arrive pas par hasard aux Jeux olympiques", rappelle Edgar Grospiron.
Difficile également de comparer la pression d'un sport collectif avec celle d'un sport individuel. "D'un côté, on va vraiment travailler sur sa personne et sur l'estime de soi. De l'autre, la pression est diffuse, mais elle peut aussi être énorme si on a peur de faire perdre son équipe", décrypte Denis Troch.
"Il ne faut pas confondre la compétition et l'événement. D’une échéance à une autre, pour moi, la compétition restait un mur de bosses de 300 m avec 65 virages à faire, deux sauts et un peu toujours les mêmes adversaires. C’est l’événement qui fait l’enjeu et il ne faut pas que la pression vienne tuer le plaisir et la passion."
Edgar Grospiron, champion olympique de ski de bosses devenu conférencier spécialisé dans la haute performanceà franceinfo: sport
Même aujourd'hui, s'appuyer sur tout cet accompagnement psychologique ne va pas forcément de soi. Pourtant, cela fait dix ans que Teddy Riner a tordu le cou à l'idée selon laquelle cela revenait à avouer une faiblesse. Ladji Doucouré s'en était amusé dans les colonnes du Journal du dimanche en 2014 : "Quand vous entendez un géant plein de santé et avec une telle joie de vivre admettre qu’il a besoin d’être aidé, vous vous dites : 'Mais qui n’en aurait pas besoin ?'"
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