JO de Paris 2024 : langue fondatrice, le français a-t-il toujours sa place privilégiée aux Jeux olympiques ?
La place de la langue de Molière est-elle en danger au sein même des Jeux olympiques ? Depuis une trentaine d'années, le français, langue fondatrice et officielle des Jeux olympiques* depuis leur création en 1896, perd du terrain au profit de la langue de Shakespeare. "Il y a un recul indéniable de l'usage de la langue française lors des Jeux olympiques. Force est de constater qu'à l'instar de tous les grands rendez-vous mondiaux sportifs et autres, l'anglais prend de plus en plus de place", constate d'emblée Oria K. Vande weghe, porte-parole de la secrétaire générale au sein de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF). À l'origine, seul le français est désigné comme langue officielle des JO, avant d'être rejoint par l'anglais, une cinquantaine d'années plus tard, en 1949.
Si le français est toujours utilisé dans les annonces officielles et cérémonies d'ouverture et de clôture, il est toutefois plus effacé dans l'environnement des Jeux, que ce soit sur la signalétique, les panneaux d'affichage, les documents officiels ou encore dans les annonces en compétition. Pourtant, d'après l'article 23 de la Charte olympique, "les langues officielles du CIO [Comité international olympique] sont le français et l'anglais. À toutes les sessions, une interprétation simultanée doit être fournie en français et en anglais".
"Jamais la langue française n'avait été aussi mal représentée qu'à Rio"
Lors des dernières éditions, les grands témoins de la francophonie, observateurs choisis par l'OIF afin de veiller au bon usage de la langue française pendant les JO, ont dressé des bilans mitigés, voire décevants. Aux Jeux de Rio en 2016, le constat est même préoccupant selon l'observateur désigné, le saxophoniste et chanteur camerounais Manu Dibango. "(...) Nous avons très rapidement pu constater qu'aussi bien en ville que sur les sites de compétition, le français était presque totalement absent de la signalétique (...). De même, le slogan adopté pour les Jeux 'Um mundo novo' était omniprésent, mais n'était jamais traduit qu'en anglais. (...) Jamais la langue française n'avait été aussi mal représentée qu'à Rio", racontait cet observateur dans son rapport. Il y relève également un manque de commentaires oraux en français lors des compétitions, comme pour les animations sur les écrans géants.
Même constat deux ans plus tôt lors des Jeux d'hiver de Sotchi, réalisé cette fois par l'historienne et membre de l'Académie française, Hélène Carrère d'Encausse, à son tour grand témoin de la francophonie. Si "le français a été mieux traité à Sotchi qu'à Pékin et Londres en ce qui concerne les discours officiels", elle regrette toutefois des traductions "au compte-gouttes des conférences de presse des athlètes étrangers", l'absence du français sur la signalétique, et un intranet officiel exclusivement en anglais.
La langue de Molière donne ainsi l'impression d'être cantonnée aux cérémonies et non à l'usage plus courant. "Pour le justifier, on avance souvent l'argument du coût de traduction des pancartes, de la signalétique et des documents officiels, mais aussi le côté obsolète de vouloir l'omniprésence du français aux Jeux, en plus de l'anglais", remarque Carine Duteil-Mougel, maîtresse de conférences à l'Université de Limoges en sciences du langage et sciences de l'info-com.
Une perte de vitesse au niveau mondial,
mais un atout au sein du CIO
L'anglais est devenu la langue incontournable sur la scène mondiale, forte de son 1,5 milliard de locuteurs, contre 320 millions de francophones. Une réalité qui se traduit aussi dans la représentativité du CIO. "Environ 90% des membres du CIO ne parlent pas français", relève Carine Duteil-Mougel, aussi membre de l'Académie nationale olympique française.
"Il y a une internationalisation des recrutements dans les comités d'organisation, pour les Jeux ou d'autres événements sportifs. Tous les francophones doivent être anglophones, mais tous les anglophones ne doivent pas être francophones."
Arnaud Richard, linguiste à l'Université de Toulonà franceinfo: sport
Pour autant, le français conserve un atout de taille sur l'anglais. "En cas de divergence entre le texte français et le texte anglais de la Charte olympique et de tout autre document du CIO, le texte français fera foi sauf disposition expresse écrite contraire", est-il écrit dans l'article 23 de la Charte olympique. Au niveau légal et institutionnel, le français reste donc plus fort. "Les contentieux et les décisions les plus fines et précises sont arbitrés en français. De plus, le CIO, dont le siège est basé à Lausanne (Suisse), dans un canton francophone, reste attaché et sensible à la langue française et à l'image de Pierre de Coubertin", souligne Arnaud Richard, également président du groupe d'experts en terminologie du ministère des Sports.
Une mobilisation inédite pour défendre le français
Pas de quoi rassurer les représentants francophones, qui comptent bien saisir l'opportunité des Jeux de Paris 2024, les premiers dans un pays francophone depuis ceux de Montréal en 1976, pour faire rayonner la langue de Molière. Le gouvernement français, le Comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop) et l'OIF se sont ainsi penchés sur la question. Et l'initiative n'était pas vaine. En 2019, le slogan de Paris 2024, "Made for sharing" [Fait pour être partagés], provoque une levée de boucliers de plusieurs associations de défense de la langue française. Un comble pour le pays fondateur des JO. Il faudra attendre 2022 pour connaître le nouveau slogan officiel, en français s'il vous plaît : "Ouvrons grand les Jeux".
"Il y a eu une prise de conscience qu'il fallait mettre en place une stratégie de développement de la francophonie sportive sur le long terme", amorce Daniel Zielinski, délégué ministériel à la francophonie sportive. Pour cela, un groupe interministériel a vu le jour afin d'aider les collectivités territoriales à s'emparer du sujet, de travailler sur une meilleure influence économique sportive des entreprises françaises et enfin de proposer des ressources pédagogiques pour l'apprentissage du français, hors du pays, par le sport et les valeurs olympiques.
Un guide des bonnes pratiques linguistiques des nouveaux sports – breaking, skateboard, surf et escalade – a aussi été diffusé afin de traduire plusieurs termes techniques anglo-saxons. Ce même travail est d'ailleurs déjà en cours pour les Jeux de Los Angeles de 2028 avec l'arrivée de nouveaux sports olympiques comme le squash et le flag football, ou encore le retour du baseball/softball.
En parallèle, le Cojop et l'OIF ont signé en juin 2023 une convention sur l'usage et la promotion de la langue française et de la francophonie lors de ces Jeux de Paris. "Les affichages de résultats en compétition seront aussi dans les deux langues officielles, ce qui est une première", se félicite Daniel Zielinski. L'Assemblée nationale a quant à elle adopté le 2 mai 2024 une résolution visant à promouvoir l'usage de la langue française aux Jeux de Paris. Comme pour l'ensemble de ces initiatives, le texte n'est pas contraignant, et s'arrête au stade des recommandations.
Langue officielle, pouvoir d'influence
Bien que le constat d'une perte de vitesse de la langue française aux JO soit indéniable, conserver le français comme langue officielle olympique est un enjeu majeur pour les pays francophones, dont la France. "Être la langue officielle des Jeux permet d'imposer une sorte d'influence francophone, n'ayons pas peur de le dire", assume le délégué ministériel à la francophonie sportive, Daniel Zielinski. "Pour les observateurs de la francophonie, si le français venait à disparaître, il ne serait pas remplacé par une autre langue. Il y aurait donc un unilinguisme aux JO, et cela inquiète", fait aussi remarquer Carine Duteil-Mougel.
Derrière l'influence, il y a aussi le rappel à l'histoire pour le pays fondateur des Jeux modernes. "La langue française est ancrée dans l'histoire du mouvement olympique, décortique Carine Duteil-Mougel. Pour conserver les valeurs de l'idéal olympique, telles qu'elles ont été énoncées par Pierre de Coubertin, il est préférable de garder les termes dans leur langue d'origine. Ces mots prononcés revêtent un caractère patrimonial et une dimension solennelle, au même titre que les symboles du drapeau, des anneaux, de la flamme et de la devise."
*La langue officielle des Jeux paralympiques est l'anglais, d'après l'article 7 du règlement.
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