Paris 2024 : à la fois amoureux du sport, sexiste et "colonialiste fanatique", Pierre de Coubertin, le père décrié des Jeux modernes
C'est une figure dont l'ombre et l'aura planent sur les Jeux de Paris, un nom inévitablement rattaché à l'histoire de l'olympisme. Les photos d'époque le représentent moustache foisonnante et sourcils touffus, regard perçant, costume sombre, qui ont d'ailleurs inspiré sa statue de cire, entrée au musée Grévin le 18 juin. Mais sous l'habit se cache une personnalité qui n'a jamais fait l'unanimité, de son vivant jusqu'à aujourd'hui.
Pierre de Coubertin est le symbole de la renaissance des Jeux olympiques. À la fin du 19e siècle, c'est lui qui a œuvré pour relancer cette grand-messe du sport, dont la première édition de l'ère moderne a eu lieu à Athènes, en 1896. Cet accomplissement est l'œuvre d'une vie pour le baron Pierre de Coubertin, issu de la noblesse, passionné d'histoire et fasciné par la pratique du sport en Angleterre, devenu président du Comité olympique international (CIO) qu'il a fondé.
"Quelqu'un qui voulait entrer dans l'histoire"
"C'était quelqu'un qui voulait entrer dans l'histoire, c'est assez limpide quand on lit ses lettres. [...] On sentait qu'il avait envie [...] de faire quelque chose de grand, et ce quelque chose a été les Jeux olympiques", affirme Sylvain Bouchet, historien spécialiste de l'olympisme. "Il a été un pédagogue extraordinaire, a énormément développé le sport en France et dans le monde, a recréé une réunion internationale où les gens se retrouvent en paix, pour se découvrir les uns les autres, échanger, s'éduquer à travers les efforts du sport", abonde Thibaut de Navacelle de Coubertin, secrétaire de l'Association familiale Pierre de Coubertin, qui rassemble ses descendants.
Mais aujourd'hui, ce n'est plus forcément son rôle de rénovateur des Jeux olympiques qui passe au premier plan. Cent cinquante ans après sa naissance, l'image de Pierre de Coubertin s'est écornée à la découverte et la réévaluation d'écrits, de mots et de visions aux connotations sexistes, racistes, colonialistes. Dans ses Mémoires, il se qualifie notamment de "colonialiste fanatique" : "Les races sont de valeur différente, et à la race blanche, d'essence supérieure, toutes les autres doivent faire allégeance." Toujours opposé à la participation des femmes aux Jeux olympiques, il écrit également qu'ils "doivent être réservés aux hommes" et qu'une "olympiade femelle serait inintéressante, inesthétique".
Une vision des choses qui peut s'expliquer par le prisme de l'époque et l'évolution des mentalités depuis. "En 1920, rappelle Diane de Navacelle de Coubertin, autrice d'un livre sur son ancêtre, à l'AFP, les femmes n'ont pas le droit de vote, sont soumises à leurs maris, n'ont aucune autonomie financière, sont engoncées dans des robes et des corsets, et les médecins assurent que le sport risque de les empêcher d'avoir des enfants. Les admettre aux Jeux n'avait rien d'évident", explique-t-elle. "Pour lui, les femmes ne doivent pas faire de compétition, elles doivent éventuellement remettre les récompenses, il y a cette idée de décoration. Mais en même temps, c'était aussi la pensée de beaucoup de personnes de son époque", abonde Sylvain Bouchet. Pour l'historien, les débats concernaient surtout la place des femmes dans l'athlétisme, alors au cœur des Jeux, à laquelle Pierre de Coubertin a été opposé toute sa vie.
Déjà controversé à son époque
On lui reproche aussi son soutien aux Jeux olympiques de Berlin en 1936, organisés par le régime nazi en Allemagne. "Peut-être qu'il y avait aussi une fascination dans la mise en scène, le sens du spectacle, peut-être que ça correspondait parfaitement à ce qu'il souhaitait", note Sylvain Bouchet, qui rappelle l'intérêt du baron pour les codes de la chevalerie.
Alors que Pierre de Coubertin a quitté la présidence du CIO en 1925 et s'est retrouvé écarté de son projet, "les organisateurs [des Jeux de Berlin] vont essayer de le séduire, lui faire la promesse d'aller soutenir sa candidature pour le Prix de Nobel de la Paix 1937, qu'il n'aura jamais, vont lui donner de l'argent, lui demander ses souhaits de musique pour les cérémonies d'ouverture et de clôture, donc il est un peu flatté", retrace l'historien."Ce qui l'a enthousiasmé, c'est de voir pour la première fois un pays mettre des moyens exceptionnels pour recevoir les JO, construire le plus grand stade d'athlétisme de l'époque", estime, de son côté, Diane de Navacelle de Coubertin à l'AFP.
"Il faut aussi se remettre dans le contexte de ce personnage, complètement isolé, sans le sou sur la fin de sa vie. Les Allemands ont très bien su mettre à profit cet isolement de Pierre de Coubertin."
Sylvian Bouchet, historien du sportà franceinfo: sport
Personnalité de premier plan, le baron Pierre de Coubertin a aussi été controversé de son vivant. Malmené par des opposants à son projet de Jeux modernes, par les Grecs qui auraient souhaité les accueillir tous les quatre ans à Athènes, on lui reproche aussi une nostalgie trop poussée. "Il sera toujours jugé comme quelqu'un qui avait un regard trop tourné vers le passé, et ça va lui être reproché de son vivant", assure Sylvain Bouchet, qui explique que dans une France de la IIIe République, "on s'est toujours méfié de sa particule". "Il faut certes le replacer dans un contexte historique, mais même à son époque, il n'a jamais été à l'avant-garde, il n'a jamais été un progressiste, et sur certains sujets il est plutôt réactionnaire, en tout cas conservateur", décrypte l'historien du sport Patrick Clastres à l'AFP.
De quoi nourrir une relation compliquée entre Pierre de Coubertin et son pays, qui perdure encore, malgré les plus de 600 lieux qui portent son nom sur le territoire. "La France n'a jamais été à l'aise avec l'héritage de Coubertin, d'ailleurs il n'a jamais eu la légion d'honneur. Ça signifie que de son vivant, il a toujours été plus ou moins écarté, ambigu, comme personnage", note Sylvain Bouchet. Bien plus reconnu à l'international, selon l'historien, il est d'ailleurs parti s'installer en 1925 à Lausanne après avoir perdu la présidence du CIO, où il est enterré.
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