Paris 2024 : quels seront les foyers de contestation sur la route de la flamme olympique ?

Article rédigé par Raphaël Godet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Malgré un déploiement de sécurité important, les autorités redoutent que le relais de la flamme soit perturbé par des manifestants. (HELOISE KROB / FRANCEINFO)
Dans une note confidentielle que franceinfo a consultée, le ministère de l'Intérieur liste l'ensemble des menaces, jour par jour, lieu par lieu.

"On est contents que la flamme vienne sur nos territoires. Mais on sera aussi contents quand elle sera parti chez les voisins..." Ces mots lâchés entre deux portes par le directeur de cabinet d'une préfecture de l'ouest de la France témoignent du stress et de la pression qui accompagnent l'arrivée de la flamme olympique sur le sol français, à partir du mercredi 8 mai à Marseille. "Personne ne veut être le département où l'événement aura dérapé", répète le haut-fonctionnaire.

C'est en effet le début d'une autre épreuve pour les autorités, les collectivités locales et les organisateurs : sécuriser un relais à ciel ouvert sur une distance équivalente à trois fois le Tour de France (12 000 km), qui traverse plus de 60 départements et dont le parcours est connu à l'avance. Une note confidentielle du ministère de l'Intérieur datée de janvier donne un aperçu assez précis de l'état de la menace. Son titre : "Analyse des risques et évaluation relatives aux relais de la flamme". Dans ce document de quinze pages, que franceinfo a pu consulter, sont listés les principaux "foyers de contestations locaux" qui pourraient surgir d'ici l'allumage final de la vasque olympique le 26 juillet à Paris. 

Ainsi, le 15 mai, "la problématique de la sécheresse et des restrictions d'usage de l'eau mises en œuvre depuis l'été 2023 pourraient être à l'origine d'actions" lors de la traversée des Pyrénées-Orientales. "A ce titre, poursuit le document, la RN 116, principal axe routier du relais, est de nature à favoriser les tentatives d'actions et de blocage." Deux jours plus tard, le 17 mai, c'est le projet d'autoroute de l'A69 entre Castres et Toulouse qui pourrait perturber le passage en Haute-Garonne. "Les militants opposés à ce projet autoroutier sont susceptibles de vouloir perturber le relais", prévient la note.

Les mégabassines sont elles citées à trois reprises. D'abord, les 24 et 25 mai, avec le passage de la flamme en Charente et dans la Vienne. Puis, dix jours plus tard, le 2 juin, à l'occasion de la traversée des Deux-Sèvres : "L'opposition aux projets de mégabassines, sous l'égide du collectif BNM 79, de la Confédération paysanne et du mouvement des Soulèvements de la Terre, a démontré à plusieurs reprises son potentiel violent avéré", anticipe le document, en référence à la manifestation de mars 2023.

"Un miracle s'il n'y a pas de débordements"

A la page 2, le document rappelle que le relais de la flamme a "été quasi-systématiquement la cible de perturbations lors des différentes olympiades récentes". En juillet 2021, au Japon, une manifestante avait ainsi tenté d'éteindre la flamme olympique à l'aide d’un pistolet à eau, lors du passage du relais de la torche dans la préfecture d’Ibaraki, au Japon. Cinq ans plus tôt, en juillet 2016, au Brésil, c'est avec un extincteur qu'un individu avait perturbé le convoi près de Sao Paulo. A Londres, en 2012, un homme avec un seau d'eau avait été aperçu dans la foule. 

"S'il n'y a pas de débordements pendant ce relais, ce serait quand même un miracle", allait jusqu'à parier un commissaire de police basé à Paris, contacté par franceinfo il y a quelques semaines. "On a la conviction que ça arrivera, reconnaissait Tony Estanguet lui-même, mardi soir, à quelques heures de l'arrivée de la flamme sur le Vieux-Port. Les Jeux sont une caisse de résonnance. Le tout est de prendre les bonnes décisions dans l'instant. On a anticipé des scénarios et il y a ce qu'on n'aura pas imaginé..."

C'est aussi que la dernière expérience sur le sol français est un mauvais souvenir pour les autorités : en avril 2008, le passage de la flamme à Paris avant les Jeux de Pékin avait dû être interrompu après des incidents avec des manifestants dénonçant la politique de la Chine au Tibet. Pour éviter ce fiasco, une "bulle" de 115 policiers et gendarmes encadreront en permanence la flamme tout au long de son parcours, auxquels s'ajouteront une centaine de forces mobiles.

Un manifestant pro-Tibet est maintenu au sol par un policier, le 7 avril 2008, lors du passage de la flamme olympique à Paris. (PATRICK KOVARIK / AFP)

"Une opportunité de mettre en lumière les luttes locales"

En plus du lieu et du jour, le document du ministère de l'Intérieur dresse aussi la liste des potentiels fauteurs de troubles. Dans son viseur notamment, des associations écologistes, dont Saccage 2024, Riposte alimentaire, Les Soulèvements de la Terre ou encore Extinction Rebellion. "C'est évident que le relais de la flamme est l'occasion de possibles actions pour mettre le gouvernement face à ses contradictions sur sa soi-disant exemplarité environnementale", avance Thomas, un militant d'Extinction Rebellion de longue date. Quels types d'action ? "Vous verrez..." Des déploiements de banderoles ? "Vous verrez..." répète-t-il.

"Il faudrait ne pas bouger parce que ce sont les JO, parce que c'est la flamme ? Sûrement pas."

Thomas, militant d'Extinction Rebellion

à franceinfo

"La flamme olympique est en effet une opportunité de mettre la lumière sur toutes les luttes locales partout où elle passera, confirme Julien Le Guet, porte-parole du collectif Bassines non merci (BNM). Monsieur Darmanin a en revanche tort de se focaliser sur nous. Je veux lui rappeler que 150 comités locaux des Soulèvements de la Terre se sont constitués depuis la menace de dissolution l'été dernier. Et chacun est libre d'agir quand il veut, où il veut."

Chez Saccage 2024, on ne cache pas la tenue de réunions de préparation. Elles ont même lieu une fois par mois en Ile-de-France. En revanche, "on est très étonnés" et même "lassés d'être cités comme un danger potentiel par le ministère de l'Intérieur, s'offusque Anaëlle, membre du collectif. C'est mal connaître notre mode d'action. Jusque-là, on s'est toujours limité à un travail d'information, en distribuant des tracts par exemple. On veut juste tenir le public au courant de la réalité de ces JO."

Certains collectifs pourraient même mener leur mission au plus près de l'événement : selon nos informations, plusieurs militants ont tenté de déjouer les contrôles administratifs et postulé pour devenir porteurs de la flamme. Leur identité est gardée secrète, tout comme le jour, le lieu et leur mode d'action à venir.

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