"En Afghanistan, tous nos efforts pour les femmes ont été anéantis", regrette Masomah Ali Zada, cheffe de file de l'équipe des réfugiés aux JO 2024
"Je ne vois personne de mieux placé pour représenter cette équipe et les plus de 110 millions de personnes déplacées à travers le monde." Thomas Bach, président du Comité international olympique, a témoigné sa confiance à Masomah Ali Zada pour mener l’équipe olympique des réfugiés – composée de 36 athlètes – aux Jeux olympiques de Paris. Ce n’est pas la première aventure olympique pour la cycliste afghane de 28 ans, qui avait déjà participé au contre-la-montre des Jeux de Tokyo en 2021 (25e).
Première athlète réfugiée à intégrer la Commission des athlètes du CIO, Masomah Ali Zada fait partie de la communauté hazara, une minorité chiite persécutée par les Talibans. Elle a vécu l’exil, d’abord en Iran pendant dix ans, et y a découvert que faire du vélo n’était pas une activité réservée aux hommes. Après un retour à Kaboul, c’est désormais en France que la jeune Afghane continue de construire son destin hors du commun.
Franceinfo: sport : Masomah, vous avez été choisie pour être la cheffe de mission de l'équipe des réfugiés. Que représente ce rôle pour vous ?
Masomah Ali Zada : Je suis fière de représenter les athlètes réfugiés, mais aussi tous les réfugiés dans le monde. Plus de 100 millions de personnes. Je souhaite leur montrer une image positive, envoyer un message d'espoir, et montrer que l'équipe olympique des réfugiés représente la paix, l'espoir, et la réunification des peuples. Cette équipe est unique, exceptionnelle. Elle est composée de différentes nationalités, de différentes cultures, langues, couleurs de peau, religions, mais nous sommes une même équipe, avec un même objectif : participer aux Jeux olympiques et transmettre ce message de paix.
Comment est né, chez vous, ce désir de transmettre ce message ?
J'ai commencé à faire du sport dans un pays, l'Afghanistan, où le sport est aujourd’hui interdit pour les femmes. J’ai vécu la discrimination, les inégalités, et j'ai subi beaucoup d'insultes de la part des gens parce que je faisais du vélo. Aucune femme ne devrait vivre ça quand elle fait du sport. Mon objectif a donc été de normaliser le vélo pour les femmes en Afghanistan, de montrer que c’était tout à fait normal. Je souhaitais changer ça, et je crois au pouvoir du sport : il peut aider à la réunification d’un peuple, et à ramener la paix. Dans le sport, et aux Jeux olympiques notamment, on vit tous ensemble en acceptant les différences. Ces moments peuvent permettre, un temps, d’oublier tous les problèmes.
« Les femmes afghanes ont du talent, beaucoup d'objectifs et de rêves »
Vous avez été le témoin de cela il y a quelques années…
Dans ma jeunesse, j'ai subi énormément de discriminations en Afghanistan à cause de mon ethnie, et beaucoup d'insultes. Mais en 2012, après sa médaille de bronze, Rohullah Nikpai [en taekwondo] est retourné en Afghanistan, et j'ai vu toutes les ethnies réunies au Comité olympique en Afghanistan pour fêter cet événement. Tout le monde était fier, joyeux, réuni. On ne parlait plus de différences entre les ethnies, on ne parlait plus des problèmes. Tout le pays était très fier de cette médaille olympique.
Avec le retour des Talibans au pouvoir depuis 2021, votre combat pour la pratique sportive des femmes peut-il se poursuivre aujourd’hui ?
Malheureusement, les femmes ont perdu leurs droits basiques et n'ont pas le droit de faire du sport. On doit repartir de zéro, tous nos efforts ont été anéantis. Aujourd’hui, l’Afghanistan est l’un des pires pays pour les femmes. J'espère fortement que ça changera, parce que les femmes afghanes ont du talent, beaucoup d'objectifs et de rêves. La seule chose qu'elles n'ont pas, ce sont des droits. C'est injuste, et il ne faut pas les oublier.
Vous concernant, votre père a joué un rôle prépondérant dans votre vie en vous permettant de faire du sport…
Oui, à chaque fois que j'étais sur mon vélo en Afghanistan, je pensais à cela. Je vivais dans un quartier sensible, pauvre, et je viens d'une famille religieuse. Mais j’ai eu la chance d’avoir des parents qui avaient l'esprit ouvert, parce qu'on avait vécu en Iran. Là-bas, la vue des femmes sur un vélo ne posait aucun problème, donc ma famille s'est habituée à cette image. En Afghanistan, ce n’est pas le cas. C’est très étrange pour les Afghans de voir des femmes sur des vélos. Je pensais qu'en voyant ça régulièrement, en continuant à pratiquer, ils allaient s'habituer et finir par l'accepter…
Cela n’a pas été si simple…
Beaucoup de filles sont passionnées de différentes choses, ont envie de faire plusieurs activités. Le problème, c'est que leur père ou leurs frères sont contre ça. Malheureusement, le système en Afghanistan est comme ça : les femmes sont dépendantes d'un homme, que ce soit leur père, leur mari, leur frère. Elles ne peuvent pas vivre seules, voyager seules, prendre une décision dans leur vie. Ce sont les hommes qui font ça pour elles.
"Par exemple, aujourd'hui, les femmes n'ont même pas le droit de sortir seules de chez elles pour aller au supermarché, car on estime qu'elles n’en sont pas capables, qu’elles ne sont pas assez intelligentes pour ça."
Masomah Ali Zadaà franceinfo: sport
Moi qui vis en France, je vois que des femmes sont ministres, qu’elles sont actives dans la société, présidentes dans différentes associations, qu’elles gèrent de grandes entreprises. Elles sont capables, elles sont intelligentes.
Le problème en Afghanistan, c'est qu'on répète tellement que les femmes sont incapables, que même les femmes l'ont accepté. Le système manipule la mentalité des femmes. Quand je faisais du vélo, au début, je pensais qu’en tant que femme, je n'étais pas capable de faire une grande distance, que je n'étais pas assez forte. Ensuite, quand je suis venue en France, j'ai roulé plus de 100 kilomètres dans différentes compétitions, et j'ai vu que je pouvais parfois même faire jusqu'à 200 kilomètres. Aujourd’hui encore, je combats ma propre mentalité pour la changer, et me dire que je suis forte, intelligente, et capable de décider de ma propre vie, de prendre mes propres décisions dans ma vie personnelle et professionnelle.
En participant aux Jeux olympiques, en faisant des études d’ingénieur, j'aimerais montrer aux autres femmes, surtout en Afghanistan, qu'elles sont fortes, et qu'il ne faut pas croire tout ce que le système - le gouvernement, leurs proches - veut leur faire croire.
Vos parents se félicitent de votre parcours, mais qu’en est-il du reste de votre famille, de votre entourage ?
Quand j'étais en Afghanistan, à part mes parents, ils étaient tous contre le fait que je fasse du vélo. On était obligé de se battre contre le reste de ma famille, contre la société, contre les problèmes de sécurité.
"Maintenant, ils sont tous fiers de moi, mais j'avais besoin de leur soutien quand j'étais en Afghanistan. Du coup, ça ne me touche pas vraiment. Là, je suis en France, je suis en sécurité, c'est plus facile."
Masomah Ali Zadaà franceinfo: sport
Je suis simplement contente si leur avis a pu changer par rapport aux droits des femmes. J'espère maintenant qu'ils feront la même chose pour leurs filles, qu'ils leur laisseront la liberté de prendre leurs propres décisions dans le choix de leur vie sociale, des études, et de la pratique d'un sport.
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