JO de Paris 2024 : comment les Phryges, mascottes moquées de la compétition, sont finalement devenues cool

Comparés à des clitoris géants, ces petits personnages triangulaires se sont transformés, en moins de deux ans, en symboles ultra-tendance de Jeux réussis.
Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Une mascotte Phryge des Jeux de Paris 2024 salue un spectateur du match de handball Croatie-Japon, à l'Arena Paris-Sud de la Porte de Versailles, le 27 juillet 2024. (CHRISTIAN PETERSEN / GETTY IMAGES EUROPE)

Même Emmanuel Macron s'est prêté au jeu. Le président de la République a posé avec une Phryge, la mascotte des Jeux de Paris 2024 en forme de bonnet phrygien. Avant lui, Snoop Dogg, le rappeur consultant de NBC pendant la quinzaine, avait découvert, étonné, le couvre-chef à leur effigie. "C'est quoi ce truc ?", s'est amusé celui qui n'a pourtant pas lésiné sur les déguisements durant la compétition. L'Américain a été l'un des derniers à découvrir ces mascottes, stars inattendues des JO, après avoir été moquées et critiquées depuis deux ans. Un retour de flamme (olympique) pas si étonnant. 

"On s'attendait à être critiqués. Finalement, on ne l'a pas été tant que ça", triomphe Julie Matikhine, directrice de la marque Paris 2024. "La comparaison avec les clitoris, ça nous a fait rire", balaye-t-elle. En interne, les mascottes sont même surnommées "les clitos", glisse un rouage de la grosse machine Paris 2024. Entre leur sortie, en novembre 2022, et l'été 2024, ces personnages n'ont pourtant pu compter que sur un carré de fidèles. Comme Fred, un Normand fan de la première heure. Quand il découvre les premières peluches en rayonnage dans un supermarché de Caen, en avril 2023, c'est le coup de foudre. "Vingt euros, c'était vraiment cher. Mais je n'ai pas hésité une seconde car je savais que ça ferait hausser quelques sourcils." A commencer par son colocataire, d'abord hostile aux petits triangles rouges, avant de succomber à la Phryge-mania à l'approche des Jeux. "Je lui ai offert pour son anniversaire des chaussettes avec les mascottes, il les arbore fièrement maintenant !" 

Une prise de risques payante

Le colocataire de Fred n'est pas Florian, mais ce Parisien incarne bien le retournement de tendance : "Avec le recul, comme beaucoup de Français, j'ai sous-estimé cette mascotte, reconnaît celui qui se définit lui-même comme un repenti. Personnellement, le déclic s'est produit quand j'ai vu une affiche à mon travail avec les mascottes des précédents JO. Je me suis dit qu'en fait, elle était vraiment bien !" Depuis, Florian a méchamment entamé ses économies en goodies Phryges de tous ordres. 

Autour des sites olympiques, on croise pléthore de goodies aux couleurs des mascottes rouge vif des Jeux. Nombre d'enfants sont rhabillés de pied en cap. Rien de surprenant : ce sont eux les cibles des cerveaux du marketing – et, d'entrée de jeu, 83% du jeune public trouvait les Phryges sympathiques, selon Paris 2024. "Une mascotte n'est jamais créée en fonction du public adulte. Il est primordial que les enfants se l'approprient, même s'ils ne savent pas ce qu'est un bonnet phrygien", insiste le dessinateur Jules Dubost, qui a réalisé 400 dessins du personnage, de la Phryge qui explique comment trier ses déchets à celle qui s'essaie au saut d'obstacles.

L'un des atouts des Phryges, c'est d'avoir tourné le dos à tout ce qui s'était fait auparavant.

"Ce qui fait leur succès, c’est leur côté atypique, par rapport aux personnages humanoïdes de Rio ou de Tokyo.”

Jules Dubost, illustrateur des Phryges

à franceinfo

"Lors de l'appel à candidatures, d'autres designs plus traditionnels ont été proposés, mais Paris 2024 a fait le choix de l'audace, poursuit l'illustrateur, qui a mis en musique le design de l'agence WConran. Une mascotte conventionnelle aurait été tout autant critiquée." Et que n'auraient dit les plus "phrygides" des contempteurs si les Jeux de Paris avaient choisi une baguette ou un coq ?

Au diable le conformisme, on vous dit. Une Phryge, c'est d'abord une gageure à illustrer : "J'ai eu du mal, avec leurs petits bras, pour le volley, et leurs petites jambes, pour le cyclisme", confie Jules Dubost. Ensuite, une gageure à prononcer. "On s'est posé la question en cours de conception, reconnaît Julie Matikhine, de Paris 2024. On s'est interrogés sur le côté imprononçable du P-H-R pour les non-francophones. Avant de tenter le coup. La langue française est réputée compliquée, jouons-le jusqu'au bout, la Terre entière va apprendre à le prononcer, et ça va générer un intérêt supplémentaire." Opération réussie au-delà de toutes les espérances, comme l'attestent les tutos de prononciation réalisés par les médias américains NBC ou USA Today et leurs confrères britanniques ou mexicains

Victimes de leur succès

La peluche demeure le best-seller, avec "plusieurs milliers d'exemplaires" écoulés chaque jour, confie un responsable du mégastore des Champs-Elysées, la plus grosse boutique officielle. Chez les fabricants Doudou et Compagnie et Gipsy Toys, on pense qu'entre 2 et 2,3 millions de modèles de peluches seront écoulés au total, avec des pointes à l'étranger (120 000 modèles vendus en Chine). Avec des surprises. "On était partis sur une production de 85% pour la mascotte olympique, 15% pour la paralympique [munie d'une lame sur une jambe], en prévoyant une petite marge sur la répartition classique 90-10, détaille Sandra Callahan, directrice générale de Gipsy Toys. Et on s'est rendu compte que la mascotte paralympique concentrait 30% des ventes, du jamais-vu." Plusieurs références sont déjà en rupture de stock. 

Le bonnet est le prochain sur la liste. "C'est devenu un signe d'appartenance, d'adhésion à ces Jeux de Paris, assure Alain Joly, président du groupe Doudou et Compagnie. On a beaucoup hésité à revenir du personnage au bonnet, de peur que ça brouille le message. Mais ça cartonne." Les 300 000 exemplaires produits s'arrachent depuis quinze jours, auprès d'une clientèle "kidulte" (les adultes qui aiment les objets destinés aux enfants) très urbaine. "Mes clients ont mis du temps à croire au potentiel de ce produit que je leur propose depuis six mois. Un peu à l'image de l'engouement en France, qui a mis longtemps à monter avant de décoller en flèche, d'un seul coup."

L'amour des Phryges demeure tout de même une passion honteuse chez ceux qui ont quitté les bancs de l'école. Mélanie, 28 ans, croisée à la sortie du Grand Palais, où se tenaient les épreuves d'escrime, arbore un tee-shirt sur lequel la mascotte escalade la tour Eiffel. "Je l'ai acheté il y a une demi-heure, je me demande déjà pourquoi. Et encore, c'était soldé à 15 euros, hein ! Franchement, on m'aurait offert ça il y a six mois, je n'en aurais pas voulu." Aucune chance qu'elle le porte à nouveau en société, donc ? "Dès ce soir, ça devient un pyjama." 

Les étrangers aussi s'approprient la mascotte. Josh, maillot britannique sur le dos, se fraye un passage dans la foule dense qui entoure le stade de beach-volley, au pied de la tour Eiffel. Lui porte le bonnet Phryge à l'envers. "Ce n'est pas comme ça qu'il faut le mettre", lui lance en anglais un volontaire. "Oui, mais c'est comme ça que je le mets moi. Sinon j'assume pas", rétorque-t-il. On ne jurerait pas que Dorian et Guillaume, en bleu-blanc-rouge des pieds à la tête, sont Belges. Et pourtant ! "J'ai eu un bonnet Phryge à Noël, commence Guillaume. Il était jaloux, donc il s'en est acheté un sur place." "Je me demande bien pourquoi, s'interroge Dorian. C'est vraiment pas le genre de trucs que je peux remettre, même l'hiver !"

Footix aux oubliettes

Aurait-on tiré les leçons de l'expérience de Footix, indésirable sur les terrains du Mondial 1998 et conspué par le public (avant de redevenir culte deux décennies plus tard) ? Régis Fassier, un des deux comédiens dans le costume en mousse du gallinacé, gardait encore une pointe d'amertume de son expérience : "On n'a vraiment pas la culture de la mascotte en France, contrairement aux pays anglo-saxons", regrettait-il. Epoque révolue. "Les Phryges ne sont pas spécialement belles, mais ce qui fait que ça marche, c'est que les organisateurs y ont cru jusqu'au bout", estime Fred, notre Caennais qui aurait pu fonder le fan club des Phryges. Julie Matikhine, madame Phryge de Paris 2024, tient le même discours.

"On a toujours cru à fond aux Phryges."

Julie Matikhine, responsable de la marque Paris 2024

à franceinfo

Avec une stratégie mûrement rodée pour attirer le chaland et inonder les réseaux sociaux du monde entier. "Il y a globalement toujours une Phryge quelque part", appuie-t-elle, sans entrer dans le détail du planning des 33 mascottes animées par 200 comédiens (à raison d'une demi-heure dans le costume gonflable maximum, droit du travail oblige).

A croire que le cahier des charges du CIO, qui leur impose d'incarner "l'atmosphère festive" des Jeux, a été rempli au-delà de toute espérance, via quelques images incroyables, comme la balade en jet-ski sur la vague de Teahupoo. 

 

Ou ce journaliste japonais qui réalise son duplex, bonnet sur le crâne. 

Victime collatérale de la "Phryge-mania" : le Coq, la mascotte officielle de l'équipe de France – un peu comme feu Jules avait vivoté dans l'ombre de Footix en 1998. A Londres, si les produits officiels siglés des clivants Wenlock et Mandeville n'avaient pas fonctionné comme espéré – le fabricant des produits dérivés avait fini l'année dans le rouge, rappelle The Independent –, c'est la peluche de la Team GB, baptisée Pride, un lion à la crinière abondante, qui avait été le succès surprise des goodies. On en croise encore dans les travées des Jeux de Paris, douze ans plus tard. On souhaite le même destin au Coq des Bleus, pour le moment assez discret malgré l'euphorie ambiante.

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