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Paris 2024 : "Créer une cérémonie puissante en symboles, spectaculaire et, pourquoi pas, insolente", rêve Thomas Jolly, directeur artistique des cérémonies

Le metteur en scène va constituter son groupe de travail afin de proposer d'ici le début de l'année 2023, le "grand récit des quatre cérémonies".

Article rédigé par Apolline Merle, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Thomas Jolly, directeur artistique des cérémonies d'ouverture et de clôture des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. (PARIS2024)

Il veut "embraser la Seine", casser les codes des cérémonies précédentes, faire fusionner l'histoire de France avec les enjeux de demain, et inventer des cérémonies spectaculaires. Ce défi est celui de Thomas Jolly, metteur en scène de renom, et désigné, il y a tout juste un mois, comme directeur artistique des cérémonies d'ouverture et de clôture des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024.

Actuellement à la tête de la mise en scène de l’opéra-rock Starmania, le natif de Rouen aura la tâche complexe de créer un lien narratif entre les quatre cérémonies d'ouverture et de clôture des Jeux olympiques et paralympiques. Un spectacle inédit qui se déroulera pour la première fois hors d'un stade olympique, sur la Seine pour la cérémonie d'ouverture des JO, et place de la Concorde pour celle des Paralympiques. Celui "qui aime raconter des histoires" s'est confié à franceinfo: sport sur ses premières idées. 

Quelle a été votre réaction quand les organisateurs de Paris 2024 vous ont proposé de devenir le directeur artistique des cérémonies d'ouverture et de clôture des Jeux olympiques et paralympiques ?

Thomas Jolly : D'abord, beaucoup de joie, mais qui n'est pas très comparable à d'autres très bonnes nouvelles que j'ai pu avoir parce qu'après la joie, il y a une sorte de vertige. C'est un bonheur, mais aussi de l'honneur et de la fierté de se dire qu'en tant qu'artiste, on me donne cette chance inouïe, et cette responsabilité de porter la voix de Paris et de la France devant le monde entier. 

Pour un artiste comme moi, qui vient du service public, dont le mantra premier est de s'adresser au plus grand nombre depuis une quinzaine d'années, c'est absolument passionnant. Depuis que je planche sur ces cérémonies, je ne cesse de me dire que c'est une expérience de vie artistique et intellectuelle, d'une puissance inégalée. 

Pouvez-vous nous donner quelques-unes de vos idées ?

Je rêve à plein de choses. Pour l'instant, la question est : qu'est-ce que l'on raconte ? Du point de vue de l'histoire, ce qui est génial avec ces deux cérémonies d'ouverture, sur la Seine, et place de la Concorde, c'est que l'histoire est déjà présente à travers tous les monuments de Paris, qui seront une partie du décor.

Ces cérémonies sont composées en trois grands axes : le défilé des délégations, le spectacle et la partie plus protocolaire avec les discours. La réflexion est de savoir si on peut réussir à mêler ce défilé des athlètes et ce spectacle. Ou alors de faire du défilé des athlètes déjà un spectacle et de l'agrémenter ? Ou encore, est-ce qu'il faut que le spectacle soit bien après le défilé ? Un de mes premiers objectifs est de faire de la Seine ma partenaire. J'ai fait le trajet en bateau, et je vois comment les monuments se découvrent et se cachent les uns les autres. Il faut faire de ce fleuve notre allié premier.

Mais votre idée n'est pas de faire un "musée de la France" sur la Seine ou sur la place de la Concorde...

J'ai intitulé le projet que je porte pour les cérémonies, "les Jeux, un nous". En France, il y a du savoir-faire, de la créativité, une histoire forte. Mais on est surtout un pays qui, en 2024, dans un monde où le flou est pluriel [économique, politique, sanitaire, écologique], doit porter autre chose que le message qui serait : "regardez notre pays puissant et glorieux". Je pense que la France et Paris ont des identités qui sont justement faites de cette réflexion sur le "nous". Paris est une ville, je trouve, où il y a une sorte de laboratoire pluriel de vivre ensemble, où les cultures convergent.

"Ce qui est merveilleux, c'est que j'ai carte blanche. Il va falloir aller piocher dans notre histoire et notre culture, des emblèmes."

Thomas Jolly, directeur artistique des cérémonies de Paris 2024

à franceinfo: sport

Je ne sais pas encore ce que l'on fera mais par exemple, Jeanne d'Arc, on n'est pas obligé de remettre une jeune femme sur un cheval avec son oriflamme. On peut inventer peut-être une autre façon d'appréhender ce personnage, en faisant fusionner les idées de patrimoine et de création, de passé, présent et futur. Comme avec d'autres protagonistes, par exemple Edith Piaff, les Rois de France, ou même des moments de l'histoire, comme la guillotine, la Révolution française, Mai 68 etc...

Quelles sont les prochaines échéances ?

Le groupe dramaturgie et écriture, composé de plusieurs auteurs et autrices venus de mondes différents (cinéma, télévision, littérature, théâtre, bande dessinée), va travailler jusqu'à la fin de l'année pour fournir à partir de début 2023, le grand récit des quatre cérémonies.

Puis, dès début 2023 jusqu'à l'été, on va être sur le développement, autrement dit sur les études de faisabilité économiques, sécuritaires, etc... Et même du "réel", en se demandant : 'est-ce qu'on peut faire voler un personnage au-dessus de la Seine pendant une heure ou non ?'. Je souhaite que les quatre cérémonies soient écrites, storyboardées et inventées à l'automne prochain, pour qu'on puisse ensuite aller répéter sur une portion de rivière quelque part en France.

Même si vous êtes encore au début de vos réflexions, avez-vous une envie, un rêve fou, que vous aimeriez voir se réaliser sur l'une des cérémonies ?

J'adorerais que la Seine soit en feu, vraiment, et d'arriver à mêler l'eau et le feu et que la Seine s'embrase (rire). La flamme olympique est le symbole le plus puissant des Jeux.

"Le feu qui se transmet entre humains de Jeux en Jeux, jusqu'à brûler à un endroit pendant un temps donné, est un symbole dont j'ai très envie de m'accaparer en tant que metteur en scène."

Thomas Jolly, directeur artistique des cérémonies de Paris 2024

à franceinfo: sport

C'est un peu un rêve de gosse. Je pense toutefois que c'est compliqué (rire). Mais il y a plein de manières d'embraser la Seine.

Une autre chose m'importe également, par militantisme personnel, et qui fait d'ailleurs partie de la charte des Jeux de Paris 2024 : comment peut-on être à la fois spectaculaire avec ce genre d'événement et en même temps dans une forme de sobriété ? Je pense à l’œuvre de Shakespeare Henri VI, mon plus gros spectacle à ce jour qui durait 24 heures, où tous les costumes, les décors, venaient de la récupération. Il s'agit d'un autre défi, mais qui fait partie des premières choses sur lesquelles je me concentre.

Avez-vous été marqué par certaines précédentes cérémonies ?

J'avais trouvé très intéressante la proposition du chorégraphe grec Dimitris Papaioannou à Athènes. Artistiquement, cette grande fresque avec ce grand déroulé était assez malin. L'autre cérémonie qui m'a plu pour son audace et son insolence, c'est celle de Londres. J'ai adoré même si je l'ai trouvée à un moment un peu légère, avec des messages et des symboles qui n'étaient pas très puissants.

On me demande souvent si je vais faire comme à Londres avec le saut en parachute de la Reine Elizabeth II par-dessus le stade olympique. On ne va pas faire comme les autres, car déjà, on n'est pas eux. Et pour le coup, ils avaient vraiment bien travaillé sur l'histoire de la culture et même du caractère british. J'aimerais bien essayer de créer une cérémonie puissante en termes de symboles, de fond, de messages et qui reste spectaculaire, et pourquoi pas insolente. Que cette cérémonie vienne un peu gratter à des endroits, mais de manière joyeuse, parce que c'est très français d'être à la marge et d'être dans l'insolence et l'audace.

Avez-vous déjà pu échanger avec de précédents metteurs en scène de cérémonies olympiques et paralympiques ?

Je viens de récupérer le numéro de Philippe Decouflé (chorégraphe et metteur en scène de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques d’hiver d’Albertville en 1992), et je compte bien l'appeler prochainement (rire). Il faut qu'il me raconte son expérience, car c'est le seul qui l'ait fait en France, même si nous ne sommes pas du tout dans le même type de projet et de réalité artistique.

Ce que j'aime dans mon travail, c'est quand les œuvres ou les propositions viennent me challenger. Il n'y a rien que je trouve plus ennuyeux que d'avoir une bonne vieille recette artistique et la replaquer sur n'importe quelle œuvre ou format. Avec ce projet des Jeux, je suis servi (rire)

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