JO 2022 : derrière la médaille d'or de Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron, le déclin du patinage artistique français
Le titre olympique obtenu par les deux danseurs, lundi, est beau, mérité... mais trompeur quant à l'état du patinage tricolore. Comme le montre la compétition féminine, où aucune Bleue ne prendra part au programme libre jeudi, les années fastes semblent bien loin.
L'arbre qui cache la forêt. Grâce à la médaille d'or de Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron, le patinage artistique français paraît briller de mille feux aux Jeux olympiques de Pékin. Pourtant, à y regarder de plus près, une autre réalité s'impose : le patinage artistique tricolore suffoque.
Il suffit déjà de jeter un œil au bilan comptable des patineurs français lors des principales compétitions internationales (JO, Mondiaux, et championnats d'Europe) de ces 25 dernières années. Entre 1998 et 2010, 40 médailles ont été remportées. Entre 2011 et 2022, le bilan chute ainsi à 24 breloques, dont 13 pour le seul couple star de danse sur glace.
A Pékin, la France était donc représentée par Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron en danse, ainsi que par Kevin Aymoz et Adam Siao Him Fa chez les hommes. Il n'y avait personne dans les catégories couples et femmes. Quatre représentants seulement aux Jeux olympiques ? Ce n'était plus arrivé depuis la seule participation de Jean-Christophe Simond aux JO de Lake Placid en 1980. Franceinfo: sport s'est intéressé aux maux qui ont poussé le patinage artistique français dans une impasse.
Covid-19 et qualifications ratées
Si la pandémie de Covid-19 a empoisonné le bon fonctionnement des sports de glace depuis deux ans, le contexte en interne n'a pas aidé. Après la vague de révélations des violences sexuelles subies par des patineuses et la démission de Didier Gailhaguet, la Fédération française des sports de glace (FFSG) a dû désigner en urgence une nouvelle direction. Pas de quoi préparer au mieux l'échéance olympique.
Nouvelle présidente de la FFSG, Nathalie Péchalat, rappelle que "les quotas de la France pour les Jeux sont validés lors des championnats du monde de l’année précédente." Or, Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron n'avaient pas pu participer aux Mondiaux de Stockholm, en mars 2021, à cause du protocole sanitaire, ce qui a enlevé un quota à la France dans cette discipline. Chez les couples, Cléo Hamon et Denys Strekalin y avaient terminé à une triste 20e place, tandis que Maé-Bérénice Meité, blessée, avait dû déclarer forfait chez les femmes.
"Nos patineurs ont aussi fait face à des difficultés pour s'entraîner, ainsi que pour se rendre à des compétitions internationales", souligne Nathalie Péchalat, double championne d'Europe en danse sur glace (2011 et 2012) avec Fabian Bourzat. Pas forcément bien dans leurs patins pendant près de deux ans, les Français ont ainsi fait du surplace.
"Certains ont eu du mal à se relancer. Les athlètes ont réagi à cette pandémie à leur manière, et ça a perturbé forcément le fait d’aller chercher des quotas."
Nathalie Péchalat, présidente de la FFSGà franceinfo: sport
Après la blessure de Maé-Bérénice Meité, il fallait passer par les qualifications pour récupérer un quota chez les femmes, lors d'une compétition en Allemagne. Mais la double championne de France en titre, Léa Serna a raté le coche, terminant 14e, loin du top 6 exigé. Même si les Françaises ont rarement pu s'illustrer aux JO (une seule médaille, de bronze en 1952), leur absence illustre le marasme.
Chez les couples, la chance n'a pas souri aux Français et ceux-ci bénéficient de circonstances atténuantes. Les jeunes Cléo Hamon (20 ans) et Denys Strekalin (22 ans), alors n°1 tricolores et prometteurs (neuvièmes aux Europe 2020), ont déclaré forfait juste avant le trophée allemand. Alors que la patineuse souffre d'un burn-out, le tandem s'est finalement séparé.
A cela s'ajoutent les accusations d'une mineure contre Morgan Ciprès qui ont conduit à la fin de l'association du patineur avec Vanessa James. Champions d'Europe en 2019, ils avaient les JO 2022 dans le viseur. Depuis, Vanessa James patine sous le drapeau canadien. Derrière ces deux cas bien particuliers, il était difficile de compter sur les vice-champions de France, Coline Keriven et Noël-Antoine Pierre, trop justes pour espérer une qualification en Allemagne (13es).
Un manque criant d'infrastructures
Didier Lucine, emblématique coach du club d'Annecy depuis plus de 40 ans, estime que "pour qu’il y ait aussi peu de qualifiables, il y a plein de raisons". L'ancien champion du monde (devenu entraîneur) Brian Joubert pointe du doigt les infrastructures. En Russie, pays où le patinage artistique est roi, la ville de Moscou compte un peu plus d'une centaine de patinoires. "Chez nous, à Paris, il y en a quatre ou cinq", observe celui qui possède le plus gros palmarès du patinage français dans les catégories individuelles.
"C’est incomparable. Si je prends l'exemple du Canada, à Vancouver, on s'est entraînés dans un bâtiment dans lequel il y avait dix patinoires ! Dans un seul bâtiment, il y avait plus de patinoires que dans tout le Sud-Ouest de la France."
Brian Joubert, entraîneur et ancien champion du monde de patinage artistiqueà franceinfo: sport
Selon les chiffres transmis par la Fédération, la France compte actuellement "environ 100 patinoires réglementaires sur le territoire, et une cinquantaine qui ne le sont pas". Un parc insuffisant pour un sport qui compte plus de 22 000 licenciés.
"On se rend compte qu’on a un manque d’infrastructures criant, et cela a un impact sur l’utilisation des patinoires, confirme Nathalie Péchalat. Par exemple, nos patinoires fonctionnent de 6 heures à 23 heures, avec toutes les disciplines de sports de glace. Et il y en a douze. Tout cela se passe dans des patinoires avec les scolaires et les séances publiques. On a donc un vrai manque de créneaux de glace."
En réalité, cette pénurie d'équipements empêche depuis toujours les Bleus de se placer durablement au sommet de la hiérarchie mondiale, selon Didier Lucine. La France a pris l'habitude de rester une nation "outsider qui vient titiller un peu les grandes comme la Russie, le Canada ou les Etats-Unis". Mais, dorénavant, des pays comme l'Italie, la Belgique, ou même la Géorgie parviennent à positionner des athlètes compétitifs dans presque toutes les catégories.
"La Russie, c'est vraiment une culture et un monde à part. En revanche, par rapport à d’autres nations, ce n’est pas possible d’être aussi loin du compte", concède la présidente de la FFSG.
De "vrais entraîneurs" ? "Il n'y en a plus"
Pour Didier Lucine, le fossé s'est également creusé dans la formation : "Les entraîneurs ont disparu. Des moniteurs, il y en a, mais de vrais entraîneurs, il n'y en a plus, ou juste une poignée. Et derrière ceux actuels, c'est morne plaine." Selon les chiffres officiels, on dénombre environ 300 coachs sur le territoire français, moniteurs compris.
Pour le directeur technique du SG Annecy, "certains qui ont voulu faire ce métier étaient compétents, mais sont partis à l’étranger. Les conditions financières en France ne sont pas au niveau de celles des autres pays." Brian Joubert partage ce constat, tout comme Malika Tahir, coach du club de patinage artistique de Reims depuis près de 25 ans. "A l’étranger, et sans aller bien loin, comme en Belgique ou en Suisse, ce sont des cours privés. Les gars prennent 100 balles pour une séance d’une demi-heure. Leur métier est tout simplement plus valorisant et valorisé sur le plan financier."
L'entraîneur, payé entre 300 € (en emploi jeune) et un peu plus du Smic (pour les plus expérimentés), cumule trop souvent différentes fonctions, faute de staff. "Dans ces pays, qui étaient plus faibles que nous avant, leurs conditions ont bien évolué, observe Malika Tahir. Il y aura toujours toute une équipe autour du patineur", poursuit la technicienne rémoise.
"Il y aura des structures où on trouvera un spécialiste de la technique, un spécialiste des pirouettes, un spécialiste de la chorégraphie, un prof de danse, un chorégraphe, un préparateur physique, un médecin, un kiné… Mais nous, les coachs français, on doit savoir tout faire ! Les clubs n’ont pas les moyens d’employer toutes ces personnes."
Malika Tahir, coach de patinage artistique au club de Reimsà franceinfo: sport
Comme un symbole, l'un des meilleurs coachs français actuels, Romain Haguenauer, évolue à l'étranger, du côté de Montréal depuis l'été 2014. Après son départ de Lyon, où il avait fait ses gammes en compagnie de sa coach de toujours Muriel Boucher-Zazoui, l'ancien patineur rhodanien avait rejoint l'école de l'ancien couple de danse sur glace Marie-France Dubreuil et Patrice Lauzon. Avec eux, le succès est total puisqu'ils s'occupent d'une majorité des meilleurs danseurs du moment. Le Français pèse désormais deux titres olympiques avec les tandems Virtue-Moir (2018) et... Papadakis-Cizeron (2022) qui ont suivi Haguenauer au Québec.
Selon Brian Joubert, l'équation semble d'autant plus compliquée pour les coachs travaillant en France que les méthodes et la mentalité générale ont évolué. "Quand mes entraîneurs me disaient : 'Brian, il faut que tu perdes du poids', je me mettais au régime et je faisais attention. Actuellement, on ne peut plus le dire à un élève. C’est considéré comme de la maltraitance. On va plus vers du cocooning que dans le sens de la performance." Le triple champion d'Europe assure n'avoir jamais été "martyrisé", même s'il fallait "faire des sacrifices, se lever très tôt et avoir mal".
Malika Tahir va dans le même sens, tout en rappelant qu'il est hors de question de virer vers des méthodes drastiques comme cela peut se voir ailleurs. "En Russie, les gamines, on va leur bouffer leur puberté, leur croissance, les obliger à faire des régimes draconiens. Tout ça, en France, on ne peut pas le faire, et heureusement !"
Renouer le dialogue entre la fédération et les clubs
Les entraîneurs se disent par ailleurs inquiets du manque d'échanges avec la fédération. "Il faut réinstaurer le dialogue, résume Brian Joubert. Il y a la direction technique nationale, il y a Nathalie Péchalat qui est présidente, il y a aussi les juges, puis nous les entraîneurs. Il faut que l’on se retrouve autour d’une table, que l’on puisse discuter, faire le bilan, pour voir ce qui ne va pas et ce que l’on peut améliorer."
De son côté, la fédération affirme mettre tout en œuvre pour lancer une nouvelle dynamique. Après avoir "fait le ménage et remis de l'ordre dans une fédération où il n'y avait plus rien", Nathalie Péchalat se dit désormais en mesure de répondre aux attentes des entraîneurs. Elle mise en particulier sur une nouvelle instance : la commission fédérale des entraîneurs, créée en début d'année.
"Parler en tête à tête, ça se fait, mais on ne sait jamais si c’est représentatif et c’est complètement désorganisé. Cela peut être à chaud, et ça peut concerner des cas qui sont personnels."
Nathalie Péchalat, présidente de la FFSGà franceinfo: sport
La commission fédérale des entraîneurs visera à remettre en place le suivi régulier des patineurs dans tout l'Hexagone, et à lancer, à terme, des formations. Ces dernières auront deux objectifs majeurs : motiver et recruter des nouveaux coachs, puis améliorer leurs conditions de travail. "On attend que les entraîneurs [qui composent cette commission] soient actifs, prévient par ailleurs la présidente qui briguera un seconde mandat en juin. C’est à eux de faire vivre la commission. Quand on décide qu’elle peut vivre, il se passe quelque chose. Quand on décide qu’on n’en a rien à faire, ou qu’on n’a pas le temps, il ne se passe rien. Donc l’idée est de faire remonter des initiatives, des idées, et des problématiques pour qu’on puisse justement avoir davantage de liens et de communication."
Le patinage artistique français pourra-t-il sortir la tête de l'eau ? Pour savoir s'il ne s'agit que d'un passage à vide, rendez-vous est pris dans quatre ans à Milan, lors des prochains Jeux olympiques d'hiver. La tendance n'est guère à l'optimisme : alors que Papadakis-Cizeron ne savent pas encore s'ils vont rempiler, la relève ne semble pas assurée. Lors des derniers championnats du monde juniors il y a deux ans, hormis Cléo Hamon et Denys Strekalin, aucun Tricolore n'est parvenu à se glisser dans le top 5.
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