JO 2022 : "Les patineuses russes encaissent tellement à l'entraînement qu'elles ne tiennent pas longtemps", estime Brian Joubert
Depuis 2014, les patineuses russes connaissent en individuel des carrières aussi brillantes qu’éphémères. Champion du monde en 2007 et désormais entraîneur, Brian Joubert revient sur ce phénomène.
Comme à Sotchi et Pyeongchang, une Russe remportera-t-elle à Pékin, jeudi 17 février, l’or olympique dans l'épreuve individuelle de patinage artistique ? C'est probable, car à l'issue du programme court, mardi 15 février, les trois patineuses du Comité olympique russe ont pris la 1ère, 2e et 4e place. Aucune chance néanmoins de voir une championne monter une seconde fois sur un podium olympique. Car les très jeunes médaillées russes - Adelina Sotnikova, titrée à 17 ans en Russie en 2014, Alina Zagitova, sacrée à 15 ans en Corée du Sud en 2018 et Evgenia Medvedeva, vice-championne olympique à 18 ans en 2018 - se sont déjà toutes retirées des patinoires.
Brian Joubert, ancien patineur français, champion du monde en 2007 et désormais entraîneur à Poitiers, évoque pour Franceinfo: sport les raisons qui poussent les jeunes patineuses, notamment russes, à écourter leur carrière.
Franceinfo: sport : comment expliquer ces retraites précoces chez les filles ?
Brian Joubert : Le niveau a beaucoup évolué en peu de temps chez les filles. Et celles qui l’ont fait progresser ces dernières années, ce sont les jeunes Russes. Mentalement et physiquement, elles encaissent tellement à l'entraînement, qu'elles ne peuvent pas tenir plus longtemps. Il leur est difficile de faire carrière dix ou douze ans.
Ensuite, il faut comprendre qu’il y a une telle concurrence là-bas, que les patineuses sont vite remplacées. Celles qui ont arrêté tôt, comme Alina Zagitova ou Evgenia Medvedeva, selon moi, voulaient vivre une vie normale. Elles ont fait beaucoup de sacrifices pour atteindre leur objectif et souhaitaient passer à autre chose. C'est dommage, car elles ne marquent pas l'histoire.
Aujourd'hui, la cinquième ou septième meilleure patineuse russe pourrait être championne olympique.
Brian Joubertà Franceinfo: sport
Est-ce un constat spécifique aux patineuses russes ?
Les carrières des patineuses et de certains patineurs sont généralement assez courtes. Par le passé, l'Américaine Tara Lipinski et le Russe Ilia Kulik, champions olympiques en individuel à Nagano en 1998, ont aussi raccroché les patins assez rapidement. C’est encore plus vrai chez les petites Russes aujourd'hui. En revanche, dans les autres nations, en compétition, on revoit toujours les mêmes filles.
Et d'autres patineurs restent sur le circuit nettement plus longtemps, comme par exemple Yuzuru Hanyu (sacré à Sotchi et Pyeongchang, 4e à Pékin, NDLR), Evgeni Plushenko ou même moi. En couple et en danse, on remarque que les carrières sont également plus longues.
Qu'est-ce qui explique la domination russe aujourd'hui ?
Leurs méthodes d'entraînement sont bien plus dures, avec une rigueur et une pression énormes. Le niveau est si dense que ne serait-ce que conserver sa place là-bas demande un travail énorme. Il est bien plus dur d'être championne de Russie que de devenir championne du monde.
Aux Mondiaux, aux championnats d’Europe et aux Jeux olympiques, chaque pays ne peut présenter que trois patineurs maximum par épreuve. Mais aujourd'hui, la cinquième ou septième meilleure patineuse russe pourrait être championne olympique.
Les patineuses en individuel à Pékin sont en moyenne âgées de 19 ans. Le patinage à très haut niveau est-il réservé aux très jeunes femmes ?
Voir des patineurs de haut niveau de 16 ou 17 ans a toujours été fréquent, chez les filles comme les garçons. Chez elles, à partir du moment où le corps se modifie, les repères changent. Si la patineuse n'a pas atteint un certain niveau avant la puberté, il va lui être difficile de progresser ensuite.
En grandissant, en prenant du poids et des formes, elle va tourner moins vite. La technique mise en place ne fonctionne plus, il faut la changer. Mais après la puberté, si la technique est souvent plus faible, l'artistique, lui, devient meilleur. Et c'est donc plus agréable à regarder. Chez les hommes, le changement du corps est quant à lui moins brutal.
Il faut que la patineuse comprenne et intègre cette modification, qu’elle ne panique pas : c'est quelque chose de naturel et de normal. En parallèle, elle peut gagner en puissance, travailler sur la souplesse. Il y a des choses à faire mais elles prennent du temps. Par exemple, l'Américaine Alysa Liu exécutait à 13 ans des triples axel et des quadruples sauts. A l'adolescence, elle a pris beaucoup de poids mais elle a su s'adapter, changer sa technique. Elle a un patinage plus mature et elle repasse ses triples axels, mais pas ses quadruples.
Aujourd’hui, la seule Russe qui se maintient au plus haut niveau à 25 ans est Elizaveta Tuktamysheva. Même si elle n’a pas été sélectionnée pour Pékin, elle est un exemple car elle est restée au top : elle a été championne du monde en 2015 puis vice-championne du monde en 2021.
Faudrait-il relever l'âge d’accès aux compétitions seniors ?
Aujourd’hui, l'âge minimal est fixé à 15 ans pour participer à une compétition senior (pour les JO de Pékin, les patineuses devaient être nées avant le 1er juillet 2006). Mais des discussions sont en cours et la fédération internationale de patinage pourrait, en juin, relever l'âge minimum pour la saison prochaine à 17 ans.
On s'est aperçu que les Russes performent entre 14 et 18 ans. Passé cet âge, c’est plus difficile pour elles. Quand Evgenia Medvedeva et Alina Zagitova stagnaient à 18 ans, on retrouvait de l’enjeu avec les patineuses des autres nations. Aujourd’hui, les trois jeunes Russes – Kamila Valieva, Anna Shcherbakova et Aleksandra Trusova – tuent la concurrence. Il y a elles et le reste du monde. C'est pour cette raison que l'âge pourrait être relevé.
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