Reportage "La ferveur du public est un super indice" : les JO de Paris 2024 racontés de l'intérieur par Mathys, déficient visuel

Notre reporter s'est assis dans les gradins du Stade de France pour suivre une session d'athlétisme avec Mathys Foreau, malvoyant depuis l'enfance.
Article rédigé par Raphaël Godet
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
Mathys Foreau, accompagné de sa cousine Mathilde, suit une session d'athlétisme au Stade de France, le 5 août 2024, à l'occasion des Jeux olympiques. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

La ligne d'arrivée est en approche, alors Mathilde lui chuchote à l'oreille : "Encore trois haies, Mathys, trois." Quand la clameur finit par envelopper le Stade de France, lundi 5 août, le garçon se penche d'abord vers sa cousine, assise à sa droite. 

"Qui a gagné ?

– Le Jamaïcain.

– Son chrono ?

– 48'21''."

Ce 400 mètres haies, Mathys Foreau ne l'a pas vu : il l'a seulement "imaginé". Le jeune homme est déficient visuel depuis que les médecins lui ont détecté à l'âge de 3 ans un craniopharyngiome, une tumeur bénigne qui attaque le cerveau jusqu'à provoquer des troubles du champ visuel. Pas de quoi l'empêcher de "kiffer" pleinement ses premiers Jeux olympiques.

Autour de lui, dans les gradins, des spectateurs écarquillent les yeux en l'observant pivoter sa tête de gauche à droite pour accompagner le tempo des coureurs sur la piste. Lui-même se rend-il compte qu'il tapote sur sa canne au rythme des foulées ? "Ah bon ? Je fais ça ?", sourit-il, avant d'applaudir la perchiste française Ninon Chapelle qui s'élance pour son premier essai. 

Mathys Foreau, accompagné de sa cousine Mathilde, suit une session d'athlétisme au Stade de France, le 5 août 2024, à l'occasion des Jeux olympiques. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Il ne voit pas, mais il entend. "La ferveur du public est par exemple un super indice, assure-t-il. Du bruit, c'est un moment important. Beaucoup de bruit, c'est souvent une victoire. Enormément de bruit, c'est carrément une victoire française." Quand il a un doute, Mathys Foreau s'autorise à toucher les proches qui l'accompagnent. "Si je sens qu'ils sont assis, rien de spécial. Si je sens qu'ils sont debout, c'est qu'il faut que je me lève. Ça peut être un record qui est en train de tomber."

Le voilà qui mime avec ses mains les contours du stade. C'est précis. Bluffant même. Pourtant, que sait-il de cet écrin de 80 000 places qui s'étire devant lui ? "Pas grand-chose... On m'a expliqué que la piste était désormais violette, et plus marron. Mais violet, marron... Moi, ça ne me dit rien." Et des athlètes, que sait-il ? "J'ai leur nom, parfois un bout de leur palmarès. Mais je ne sais pas s'ils sont grands, petits, costauds, pas costauds. En entendant leur voix, je peux estimer une tranche d'âge, très jeune, jeune, moins jeune."

"Je n'ai pas besoin de me représenter la personne. Ce qui m'intéresse, c'est le résultat, le chrono, la stratégie. Pas de savoir à quoi ressemble l'athlète qui vient de l'accomplir."

Mathys Foreau

à franceinfo

Depuis le début des Jeux, le programme de Mathys Foreau est chargé. De l'athlétisme donc, mais aussi de la boxe et du rugby à 7. C'est d'ailleurs avec une tablette tactile posée sur ses genoux que le Parisien de 25 ans a vécu au Stade de France l'élimination inattendue des Bleues face au Canada. La "Vision Pad" permet aux personnes déficientes visuelles de vivre les épreuves de manière immersive. Du bout des doigts, Mathys a ainsi pu suivre la position du ballon en direct, et ressentir les vibrations en fonction de l'intensité du jeu. "C'est super précis, je n'étais pas en retard sur les autres spectateurs pour célébrer une action ou un essai, confie-t-il. En situant d'où partent les pénalités, je sais déjà lesquelles sont jouables ou pas jouables, faciles ou pas faciles."

Mathys Foreau, déficient visuel, teste une tablette tactile permettant de suivre la position du ballon en direct
Mathys Foreau, déficient visuel, teste une tablette tactile permettant de suivre la position du ballon en direct Mathys Foreau, déficient visuel, teste une tablette tactile permettant de suivre la position du ballon en direct (FRANCEINFO)

Ces 45 "Vision Pad", disponibles sur les différents sites olympiques, font partie de la panoplie d'outils (service d’audiodescription en direct du stade ou depuis la télé, casques basse vision...) mis en place par le comité d'organisation pour rendre les épreuves accessibles à tous. "Dès qu'ils nous rendent le matériel, on demande des retours aux spectateurs en situation de handicap. Et pour le moment, les commentaires que l'on a de leur part sont très positifs, se réjouit Ludivine Munos, responsable de l'intégration paralympique pour Paris 2024. Ils se rendent compte que l'on a travaillé pour eux, pas pour un simple effet de communication sans lendemain. La prochaine étape, ce sera de coupler la tablette avec les commentaires audio pour avoir une retransmission encore plus intégrale."

"On vit les mêmes JO, mais différemment"

Le père de Mathys, aussi, apprécie. "Avec ces technologies, mon rôle d'accompagnant a changé, résume Emmanuel Foreau. Je n'ai plus besoin de dire où est le ballon. J'ai simplement besoin de lui rappeler parfois que la balle est australienne, canadienne, française…" Rien à voir avec les matchs de basket qu'ils allaient voir tous les deux à une époque à Rouen. "Je devais commenter la moindre passe..."

Sur le chemin du retour, Mathys et son père ont l'habitude de débriefer les épreuves ensemble. "On n'est pas toujours d'accord sur l'équipe qui a gagné ou l'athlète qui a performé, mais c'est la vie", rigole Emmanuel. "En fait, on vit les mêmes JO, mais différemment, précise Mathys. Papa s'attache beaucoup à l'émotion, moi à la performance." Pour le moment, sur son podium olympique, lui place le nageur Léon Marchandle judoka Joan-Benjamin Gaba et le fondeur Jimmy Gressier sur 10 000 mètres. 

Après quelques jours de repos, Mathys Foreau remettra ça avec les Jeux paralympiques. Il a acheté des billets pour les tournois de football, de basket, de rugby, mais aussi pour l'athlétisme et la natation. Il s'arrête de parler. Au Stade de France, la perchiste française Ninon Chapelle va s'élancer pour un nouvel essai. "Elle tente 4,40 mètres, c'est ça ?"

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