: Reportage "Tu imagines s'il avait fait beau ?" : à la cérémonie d'ouverture des JO de Paris, les spectateurs entre émerveillement et déception
Et à la fin, ce sont donc eux, Marie-Jo Pérec et Teddy Riner, qui allument la vasque. Il était 23h22, vendredi 26 juillet, lorsque les deux triples champions olympiques français se sont approchés tout doucement, torches à la main, d'un ballon dirigeable installé spécialement dans le jardin des Tuileries. Alors qu'il s'envolait dans le ciel de Paris, Céline Dion s'est d'un coup mise à chanter L'Hymne à l'amour, d'Edith Piaf, depuis le premier étage de la tour Eiffel. En organisant pour la première fois une cérémonie d'ouverture hors d'un stade, Tony Estanguet et ses équipes promettaient de "casser les codes". Ce fut le cas.
Dès 14 heures, la foule se masse le long de la Seine, sur les six kilomètres entre le pont d'Austerlitz et le Trocadéro, pour espérer apercevoir un petit instant de ce show en mondovision de quatre heures.
Près du "quai Conti", Sara monte sur les épaules de son père, lui-même en équilibre sur un plot en béton, sur la pointe des pieds, pour tenter d'apercevoir quelque chose entre les arbres, les grilles et le muret. Toutes les deux minutes, dès qu'un bateau passe, la fillette demande : "C'est la France ?" Tout le monde veut profiter du spectacle. Sans le moindre ticket, sans le moindre QR code, une famille se retrouve à 100 mètres de la scène, où doivent se produire des artistes. Un policier leur demande : "Mais comment vous êtes arrivés là ?" Eux répondent : "Si on vous le dit, vous allez nous demander de partir ?"
Tout près du pont des Arts, deux militaires en treillis, mitraillettes en bandoulière, surveillent minutieusement les quais. Un coup d'œil à gauche, un autre à droite, un nouveau à gauche, du côté de la Seine, celui du spectacle. En contrebas, un groupe de policiers a déjà sorti les smartphones. Les bras en l'air, ils filment et prennent des photos. "Vous aimez les gars ?" "Franchement, canon !" A cinquante mètres de là, sous le pont des Arts, Brigitte est bizarrement d'accord pour faire du rab'. Chasuble jaune sur le dos, l'agente de sécurité termine normalement à 20 heures. "C'est bientôt Aya Nakamura ?", interroge-t-elle, l'air de rien. Elle n'entend même plus les ordres que crache son talkie-walkie.
"C'était franchement cool"
L'artiste française la plus écoutée dans le monde est attendue d'une minute à l'autre. Un couple, la vingtaine, hèle les passagers d'une péniche : "On est sympas, on est drôles et on a de l'alcool. Vous nous invitez à bord avec vous ?" "Désolé, les autorités nous ont dit 'douze personnes maximum'", répond Babeth, la propriétaire des lieux. A bord de son bateau, amarré sur l'île Saint-Louis, "il n'y a que des bons amis".
"Chacun a ramené quelque chose : une quiche, un gâteau, du vin, du champagne..."
Babeth, propriétaire d'une pénicheà franceinfo
Sa fille, Kenya, a sorti son téléobjectif. Sa sœur, une paire de jumelles. Une copine est montée debout sur le toit de la péniche. "Les gars, il y a la Colombie qui arrive !"
Sur la terrasse de l'Hôtel de ville de Paris, quelques centaines de privilégiés sont aux premières loges pour assister sur le toit du bâtiment au solo de Guillaume Diop, le danseur étoile du ballet de l'Opéra de Paris. C'était "complètement dingue", raconte un membre de l'entourage d'Anne Hidalgo, la maire de Paris. Avant de monter sur scène, sur le quai de l'Hôtel-Dieu, Charlie* a cru voir les bateaux de l'Argentine et de l'Algérie. Le danseur ne regrette pas les heures de répétitions : "C'était franchement cool, la perf est passée super vite, mais on a profité au max !" De là-haut, il a entendu les applaudissements de la foule. Mais pas les quelques huées qui ont accompagné le passage de la délégation israélienne. Malgré la pluie, l'ex-animatrice de télé Christine Bravo a bien reconnu son bateau, Frou-Frou, dans le défilé, avec les athlètes syriens à son bord.
"Ils ne sont pas capables de mettre un toit"
Un peu plus loin, entre le pont des Invalides et le pont de l'Alma, l'humidité commence sérieusement à jouer sur le moral des troupes. "Il y a beaucoup trop de pluie là", souffle une spectatrice découragée, tandis que La Marseillaise retentit depuis le toit du Grand-Palais, portée par la mezzo-soprano Axelle Saint-Cirel.
"On ne voit rien, il pleut, mais c'est bien quand même !"
Un groupe d'amis réfugié sous un porcheà franceinfo
"En dehors d'un stade, tu perds à regarder des performances en direct. C'est mieux de les regarder à la télé", estime Doug, un touriste américain qui se protège de la pluie sous une tribune. A la surface de la Seine, des statues de femmes émergent lentement pour rendre hommage aux grandes figures que sont Gisèle Halimi, Simone de Beauvoir, Louise Michel ou encore Simone Veil.
"S'il avait fait beau, tu imagines ce que ça aurait été !" regrette Maxime, une main sur son parapluie, en se tournant vers son voisin. De nouvelles délégations guidées par le Japon, la Jordanie ou encore le Kazakhstan s'avancent sur l'eau, mais Charalambous ne les voit pas. Il s'est réfugié à l'abri. "On ne peut pas rester sous la pluie. C'est un désastre. Sans parler du fait qu'il n'y avait rien comme choix pour manger", se désole ce touriste chypriote, qui assiste à ses quatrièmes JO.
"On a payé 2 500 euros pour ça. Et ils ne vendent même pas des capes de pluie."
Charalambous, touriste chyprioteà franceinfo
Barry, un Britannique habitant en Suisse, quitte carrément le spectacle d'un pas décidé et laisse dans son dos des performeurs sur un skatepark revisité en jardin à la française. Après les problèmes d'organisation pour accéder aux tribunes, il se plaint des infrastructures. "Ils ne sont pas capables de mettre un toit pour nous couvrir. C'est terrible", s'agace-t-il. "Je serais bien resté, mais mon mari est complètement mouillé..." complète son épouse.
"On est fiers d'être français"
Avec la tombée de la nuit, un défilé de jeunes créateurs se met en branle, avant l'apparition de nouvelles délégations. Vers 21h30, le bateau de la France pointe enfin le bout de sa proue. "Cela a redonné de l'ambiance et les concerts ont réveillé tout le monde", témoigne Agathe en tribune. La musique électro réchauffe les corps et le public découvre le chanteur Philippe Katerine déguisé en Dionysos. "C'est une cérémonie grandiose, qui met en avant la richesse et la diversité de notre pays. On est fier d'être français", se réjouit Mathieu, un Nancéen de 34 ans. Le temps se suspend quelques instants quand Juliette Armanet et Sofiane Pamart interprètent Imagine de John Lennon et Yoko Ono. "Cette cérémonie est vraiment magnifique ! Elle a donné voix aux femmes qui ont construit notre pays et à tous les artistes qui le composent aujourd'hui", s'enthousiasme Romain.
Une cavalière aux couleurs métalliques remonte le fleuve jusqu'au Trocadéro pour le grand final. Passé les discours et le protocole, les derniers relayeurs de la flamme s'enchaînent. "J'ai trouvé cela magnifique, émouvant, moderne et rassembleur !" commente la ministre démissionnaire Olivia Grégoire, depuis le pied de la tour Eiffel, qui s'illumine de toutes parts. "C'était une très belle cérémonie, très originale. La pluie gâche un peu le plaisir visuel", ajoute son collègue Marc Fesneau. Il est bientôt minuit, les 330 000 spectateurs quittent la salle de spectacle XXL que fut la Seine le temps d'une soirée. Sur le trajet vers les stations de métro, retentit L'Hymne à l'amour interprété par Céline Dion dans la foule. Agathe s'éloigne des quais de Seine le sourire aux lèvres : "Le mot de la fin : 'Magique'. La France a cassé les codes ce soir. Du grandiose, du génie, on en a pris plein la gueule."
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