"Un coach m’a dit : 'Vous les Noirs, vous flottez moins bien'"... Les sportifs ultramarins encore victimes de clichés racistes
Allison Pineau, Wendie Renard, Analia Pigrée, Teddy Riner, Rudy Gobert, Yannick Borel, Dimitri Bascou, Bassa et Mickaël Mawem… Le contingent français d'athlètes de haut niveau est composé de nombreux sportifs et sportives natifs ou originaires des départements et collectivités d'outre-mer. Avant eux, Christine Arron, Marie-José Pérec, ou encore Malia Metella, ont posé leurs valises dans l'Hexagone pour réaliser leurs rêves de médailles, avec succès.
L'accueil n'a pas toujours été à la hauteur de leurs espérances : clichés sur les ultramarins, racisme… Ces athlètes, pourtant Français à part entière, n'ont pas été considérés comme tels : "Ici, il y a des gens qui m'ont dit des choses comme 'sale Noire, rentre chez toi", confiait Marie-José Pérec, triple championne olympique sur 200 et 400 m en 1992 et 1996, dans un entretien avec le musicien Manu Katché en 2021 sur Yahoo. "Quand je suis arrivée en métropole, j'ai vécu plein de choses par rapport aux Antillais. Les gens disaient qu'on n'avait pas de projet, qu'on était nonchalants, etc. Et moi, je voulais leur montrer que non, qu'on savait faire des choses", ajoutait-elle dans une interview à l'AFP début janvier 2024. Près de quarante ans plus tard, la situation a-t-elle changé ?
Clichés et biais racistes
Globalement, ce que les sportifs interrogés soulèvent désormais, ce sont les clichés, qui relèvent parfois du racisme : "Le fait qu'on vienne des Antilles et que donc, forcément, on est grand, on est fort, on est musclé, et que ça nous donnerait 'un avantage'", avance Yannick Borel, escrimeur guadeloupéen, médaillé d'or par équipes à l'épée aux Jeux olympiques en 2016, quintuple champion du monde. "Le discours qui revenait est : 'C'est facile pour toi, t'es né comme ça.' Alors que l'escrime est une discipline assez exigeante, qui ne demande pas que du physique", insiste-t-il.
Olivier Pulvar, maître de conférences à l'université des Antilles, en Martinique, n'est pas étonné par la persistance de ces clichés, ces biais racistes, envers les sportifs ultramarins : "Le sport n'est qu'un révélateur de quelque chose de plus profond. D'une lecture que la société française a des outre-mer et qui se décline dans le sport. Les stéréotypes circulent dans la société, à la télévision, dans l'imaginaire. Parce qu'on n'a jamais appris ce que sont les sociétés des territoires d'outre-mer."
Roland Monjo, ancien conseiller technique et sportif de la Ligue régionale de natation en Guadeloupe apporte une autre explication, liée à la méconnaissance des entraîneurs : "Selon des études qui ont été faites, les sportifs ont des fibres musculaires lentes pour le fond et des fibres musculaires rapides pour le sprint. Ces études montrent que les 'blancs' ont plus de fibres lentes, excepté les sportifs du plateau de l’Atlas, et que les populations anglo-saxonnes, noires-américaines, etc. ont des fibres rapides. Beaucoup d’entraîneurs en athlétisme et en natation se basaient là-dessus." Selon lui, ces études sont aujourd'hui "largement remises en cause mais ces a priori sont encore omniprésents dans beaucoup d’états d’esprit."
"On est vu comme un tas de muscles, pas comme un individu qui peut aussi réfléchir, comprendre sa discipline."
Yannick Borel, escrimeur françaisà franceinfo: sport
Même son de cloche pour Joris Bouchaut, nageur de demi-fond plusieurs fois champion de France. Confronté aux clichés sur les Noirs et la natation, le Guadeloupéen admet qu'il avait fini par les intégrer, sans vraiment les remettre en question : "Ce sont des choses qui restent et qui sont ancrées : il y a ce truc de dire que les Noirs nagent moins bien. Je l'avais accepté. Et j'ai fini par me renseigner auprès d'un scientifique qui travaille avec la Fédération française de natation, qui m'a dit qu'aucune étude n'avait jamais montré ça. Qu'il fallait plutôt y chercher des causes culturelles."
Racisme, néocolonialisme et ignorance
"La semaine dernière, un coach m'a dit : 'Vous les Noirs, vous flottez moins bien', raconte le nageur. Je le vois comme de la méconnaissance, je pense que ce sont des gens qui répètent ce qu'on leur a toujours dit."
Ce cliché n'a aucune raison d'exister. Roland Monjo, qui a connu Joris Bouchaut détaille : "C’est simple, on a un test de flottabilité : on gonfle les poumons, on garde les bras le long du corps et on ne bouge plus. Des sportifs vont avoir le cou et le menton hors de l’eau. Et d’autres vont couler comme des pierres. Quelle que soit la couleur de peau, il y en a qui flottent mieux que d’autres."
Selon Olivier Pulvar, la vision de la France hexagonale de ses territoires d'outre-mer s'inscrit encore dans un schéma de puissance coloniale sur ses terres, sans en appréhender les complexités, ni les différences. "De l'idéologie coloniale découle tout un imaginaire colonial, précise le chercheur. Il n'est pas forcément raciste, mais par exemple, on s'imagine que les femmes aux Antilles sont très dénudées pendant le Carnaval. C'est une vision que l'on a. Et, plus généralement, en décrivant les sportifs comme ça, on leur enlève leur humanité, leur capacité à penser."
"La situation du sport en France s’inscrit dans quelque chose de plus global : le déni de l’histoire coloniale française."
Olivier Pulvar, maître de conférences en sciences de la communication à l’université des Antillesà franceinfo: sport
Yannick Borel n'a pas été confronté au cliché du nageur noir, mais dénonce plutôt celui de l'ultramarin qui devait forcément gagner : "Tu es de facto vu comme un potentiel champion. En gros, si tu ne réussis pas, c'est de ta faute. Maintenant, on est reconnu comme 'gage de réussite', ayant un fort potentiel pour être un sportif de haut niveau. C'est totalement dans la case des clichés."
Selon lui, cette situation entraîne une différence de traitement, à palmarès équivalent, entre un sportif blanc et un sportif noir : "J'ai l'impression que, comme on n'est pas né ici, qu'on est non-Blanc, on a moins le droit à l'erreur. Il faut être indiscutable aux yeux des sélectionneurs. Si je ne le suis pas, je peux potentiellement passer derrière quelqu'un d'autre pour des raisons qui vont m'échapper. Peut-être que c'est une croyance, mais je sais que c'est partagé."
"Il y a, de la part des ultramarins, cette demande de reconnaissance citoyenne, il faut toujours prouver qu'on est Français. Il y a une incompréhension", abonde Olivier Pulvar.
La crédibilité par les résultats
Les médailles récoltées par des sportifs originaires des outre-mer représentaient aux Jeux de Rio et Tokyo autour de 30% des totaux français : 17 médailles sur 42 au Brésil, 15 sur 33 au Japon. Sports individuels et collectifs inclus.
Joris Bouchaut préfère le prendre comme une motivation supplémentaire : "Le résultat clôt le débat sur le fait qu'on est capables et qu'on est une force pour la France. Cela dit, ça fait longtemps qu'on a des résultats, Marie-Jo Pérec, Christine Arron… La médaille de Malia Metella [argent en 50 m nage libre aux JO 2004], pour moi, c'est un moment fort de la natation guyanaise. Ça nous a permis d'ouvrir des portes, de nous montrer que c'était possible, de donner envie aux entraîneurs des générations suivantes d'y aller. C'est une sorte de cercle vertueux."
En espérant que, désormais, les performances seront jugées de façon totalement objective. Yannick Borel avance un argument qui pourrait plaider pour cette impartialité : "Au niveau du sport, il y a quand même une forme de méritocratie, les gens sont attachés à ça."
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