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Les pays étrangers veulent-ils la peau du foie gras ?

Ce mets très français est la cible d'activistes partout dans le monde. Après l'interdiction en Californie le 1er juillet 2012, c'est le site britannique d'Amazon qui retire le produit de la vente, lundi 7 octobre. Les éleveurs s'inquiètent.

Article rédigé par Ariane Nicolas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
En 2010, la France a produit 19 500 tonnes de foie gras, soit les trois quarts de la production mondiale. (MATHIEU BELANGER / REUTERS)

Il était déjà dégusté durant l'Antiquité, mais aujourd'hui, il paraît de plus en plus menacé. Le foie gras, fleuron de la gastronomie française, n'est plus vendu sur le site britannique d'Amazon depuis lundi 7 octobre. Le groupe de commerce en ligne ne précise pas ses motivations, mais la pétition d'une association de défense des animaux serait à l'origine de cette interdiction, au même titre que les "produits à base de baleine, dauphin, requin, éléphant", détaille Amazon.co.uk.

A l'étranger, plusieurs pays s'en sont déjà pris au foie gras ces dernières années, avec plus ou moins de succès : les Etats-Unis, l'Allemagne, le Royaume-Uni… En France, pays qui fournit les trois quarts des foies gras vendus dans le monde, la filière est régulièrement montrée du doigt par les défenseurs de la cause animale. Mais pourquoi les étrangers veulent-ils la peau du foie gras ? Eclairages.

Que reproche-t-on au foie gras ?

Au cœur de la bataille, le bien-être animal. La technique du gavage intensif, pratiquée sur l'animal pendant deux semaines avant son abattage, soulève les passions. "L’idée de payer plus de 100 dollars pour manger les morceaux d’un organe malade ­semblerait risible si cela n’impliquait pas d'infliger aux volailles un gavage douloureux", s'indigne, dans Courrier international, une représentante de l’association de défense Peta, qui a milité pour l'interdiction du foie gras en Californie.

Face à ces critiques, les producteurs français affirment que le gavage n'est pas synonyme de maltraitance. "Le foie des canards n'est pas malade, il peut reprendre sa taille normale si l'on cesse de gaver l'oiseau", assure-t-on à l'association Foie gras du Périgord. Marie-Pierre Pé, responsable du Comité interprofessionnel du foie gras (Cifog), renchérit : "Les opposants au gavage font de l'anthropomorphisme : ils oublient que l'œsophage des oies et des canards est élastique, à la différence de celui des humains."

Pour Martin Malvy, président du conseil régional de Midi-Pyrénées, la décision de la Californie est par conséquent incompréhensible. "Quand on élève des veaux aux hormones, quand on cultive des OGM sans savoir les conséquences que cela aura, on ne vient pas donner des leçons sur le gavage", assène-t-il.

Depuis 2000, les interdictions se multiplient

Le 1er juillet 2012, la sentence est tombée : la Californie (Etats-Unis) a interdit la vente et la production de foie gras. Tout contrevenant s'expose à 800 euros d'amende. Même si les restaurateurs et les producteurs locaux promettent de contourner la loi, comme au temps de la Prohibition avec l'alcool, cette interdiction inquiète les professionnels de la filière, qui craignent un effet domino.

En 2011, l'interdiction du foie gras au gigantesque Salon agroalimentaire de Cologne avait déjà été à l'origine d'un mini-séisme diplomatique entre la France et l'Allemagne. "Certes, le marché du foie gras en Allemagne – 300 tonnes – est minoritaireindiquaient les producteurs à La Dépêche du MidiMais c'est surtout un produit d'excellence de la gastronomie française largement répertorié par le secteur de l'agroalimentaire." 

La ville de Chicago (Etats-Unis) avait elle aussi tenté d'interdire le foie gras, dès 2006. "C'était gênant, comme si la municipalité faisait le menu des restaurants", se souvient Mark Caro, auteur du livre The Foie Gras Wars, cité par Courrier international. Les habitants ayant trouvé des moyens détournés pour en vendre, ou s'en procurer, la mairie était revenue sur l'interdiction, deux ans plus tard.

Gavés, déplumés, ces canards bulgares seront bientôt découpés pour livrer leur foie gras. (DIMITAR DILKOFF / AFP)

La Norvège, la Suisse, l'Argentine et Israël interdisent le gavage. C'est aussi le cas d'une douzaine de pays membres de l'Union européenne, rapporte L214, l'association française anti-foie gras, contre cinq qui l'autorisent (la France, la Hongrie, la Bulgarie, l'Espagne et la Belgique). Certains ont même lancé des initiatives privées allant contre la commercialisation de cette spécialité française. Ainsi, en février 2011, le magasin Selfridges (les Galeries Lafayette britanniques) a renvoyé un boucher-charcutier de renom car il vendait du foie gras contre l'avis de l'établissement (article en anglais).

Bataille juridique en Europe

Sous la pression des associations de défense des animaux, l'Union européenne a fait adopter, début 2011, une recommandation concernant les canards : leur système d'hébergement doit notamment permettre aux oiseaux de "se retourner sans difficulté", "de battre des ailes" et "d'interagir normalement avec d'autres individus". Mais rien sur l'interdiction explicite du gavage ; rien, également, sur l'interdiction de ce produit, liberté de circulation des marchandises en Europe oblige.

Fin 2011, l'association L214 assurait par ailleurs que la plupart des producteurs français étaient hors-la-loi. Ces derniers ont en effet obtenu un délai supplémentaire (jusqu'au 31 décembre 2015) pour se mettre aux normes sur les hébergements des volatiles. "Mais rien d'illégal à cela, nous sommes en totale conformité avec la réglementation européenne", garantit Foie gras du Périgord. 

Un secteur crucial pour la France

Si l'interdiction du foie gras en Californie fait autant jaser en France, c'est aussi parce que cette filière économique comprend 35 000 professionnels, pour un chiffre d'affaires proche de 2 milliards d'euros, selon l'Institut technique de l'aviculture. Une aubaine, d'autant qu'il véhicule aussi l'image d'un "Made in France" plutôt luxueux.

Preuve en est, la Chine a annoncé durant l'été 2012 la construction d'un vaste projet de parc commercial et culturel près de Suzhou, à deux pas de Shanghai, entièrement consacré aux produits français du terroir. "L'art de vivre, parc français" imaginé il y a six ans, doit ouvrir dès mai 2014. Le foie gras devrait y tenir une place d'honneur, aux côtés du vin rouge et du fromage.

Pour l'instant, aucune voix ne s'élève parmi les deux plus gros importateurs de foie gras français, l'Espagne et le Japon. Mais comme pour les autres spécialités françaises, telles les vins et spiritueux, les yeux se tournent de plus en plus vers les pays émergents. Des régions où les défenseurs des animaux sont moins redoutables que sur la côte ouest des Etats-Unis.

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