Mali. Pourquoi l'annonce de l'éxécution d'un otage suscite des réserves
Selon une agence de presse mauritanienne, un otage français aurait été tué par Aqmi. Mais de nombreux éléments restent incertains.
Tard dans la nuit de mardi à mercredi 20 mars, des dépêches affluent dans les rédactions. Il est question de l'un des quinze otages en Afrique. Une agence mauritanienne vient de relayer les propos d'un homme qui se présente comme un porte-parole d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). D'après lui, Philippe Verdon a été exécuté dix jours plus tôt.
Dans une version en français, le média en question, l'Agence Nouakchott d'information (ANI), rapporte qu'un homme qui s'est présenté comme Al-Qayrawani, a annoncé l'exécution de l'otage qualifié d'"espion" et que "le président français demeure le seul responsable de la vie des autres otages". Francetv info vous explique pourquoi et pointe les zones d'ombre.
Parce que la France refuse de confirmer
Bien que l'annonce de la mort de Philippe Verdon ait été annoncée dans la nuit de mardi à mercredi, Paris n'a toujours pas confirmé. Le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, Philippe Lalliot, a réagi dans la nuit de mardi à mercredi en expliquant : "Nous vérifions, nous n'en savons pas plus pour le moment". Un peu plus tard, son adjoint a indiqué que les vérifications se poursuivaient.
Contactée par Francetv info, une source proche du dossier a expliqué ne pas avoir d'informations supplémentaires, mais une source au Quai d'Orsay du Monde a estimé qu'il y avait une "forte probabilité", pour que l'information soit exacte. "Très affecté, très fatigué", le père de Philippe Verdon, Jean-Pierre, a dit ne se faire "aucune illusion, mais j'attends confirmation" de la mauvaise nouvelle. Yves Trotignon, ancien de la DGSE, affirme que la mort de l'otage "tout le monde trouve ça crédible, ce qui reste à éclaircir, ce sont les circonstances".
Parce qu'il n'y a pas de photos ou de vidéos
La considération peut paraître triviale, mais Al-Qaïda n'a pas encore publié de vidéo de l'exécution de l'otage. Or, l'organisation est friande de ces supports de propagande. Pour obtenir la "franchise" d'Al-Qaïda, il faut même suivre une charte de communication très précise à laquelle Aqmi a dû se plier pour obtenir le "label".
Mais surtout, une vidéo permet d'attester ses dires. Ainsi, le doute plane sur les circonstances dans lesquelles l'otage français Michel Germaneau est mort en 2010. Aqmi a affirmé qu'il avait été exécuté après une action franco-mauritanienne visant à le libérer. Mais, selon le journaliste Jean-Dominique Merchet, l'homme âgé de 78 ans serait probablement mort de la privation de médicaments. Contrairement à l'otage britannique Edwin Dyer (exécuté), Aqmi n'a proposé aucune vidéo ou photo.
Reste qu'il arrive "de temps en temps" qu'Al-Qaïda ne diffuse pas de vidéo pour corroborer ses dires, pointe Abdel Asiem El Difraoui, chercheur spécialiste des mouvements islamistes radicaux et auteur aux éditions PUF d'Al-Qaïda par l'image. Cela peut, par exemple, s'expliquer par les conditions de l'exécution, particulièrement cruelles ou choquantes. Il est aussi possible que les preneurs d'otage n'aient pas eu les conditions ou le matériel pour faire une vidéo. "N'oublions pas qu'ils n'ont pas que ça à faire, ils font la guerre. Les images peuvent aussi venir plus tard", objecte Yves Trotignon.
Parce que la source est mal connue
L'ANI est une agence mauritanienne de presse privée disposant d'un vaste réseau d'informateurs et de correspondants dans le Nord Mali, recrutés parmi les communautés arabe et touareg. Elle est peu connue, mais considérée comme fiable. Elle a notamment fait parler d'elle lors du siège d'In Aménas, en Algérie. Ses informations n'ont jamais été démenties jusqu'à présent. Elle a toutefois été accusée d'être proche des jihadistes.
Pour le directeur d'ANI, Mohamed Mahmoud Ould Abou Al-Maali, spécialiste des questions liées à Aqmi, "l'annonce de l'exécution de l'otage français est plutôt un signal de vie de l'organisation, qui a perdu contact avec le monde extérieur depuis le déclenchement de la guerre". Selon lui, "ils ont choisi une personnalité connue, Al-Qayrawani". Seulement, comme le reconnaît le journaliste, Abou Abdelhakim Al-Qayrawani était "donné pour mort".
L'homme, si c'est bien lui qui était au bout du fil, est un islamiste touareg qui a créé en 2012 une katiba, appelée Youssef Ibn Tachfine. Il n'était pas spécialement connu comme un porte-parole d'Aqmi, contrairement à d'autres personnalités régionales. "C'est vrai que ce n'est pas le canal habituel, mais il a quand même eu le moyen de contacter l'ANI", remarque cependant Yves Trotignon.
Parce qu'on dispose de très peu d'éléments
Signe que les circonstances de l'éventuelle mort de l'otage sont mal connues, une deuxième version a été publiée par un autre site mauritanien. Sahara Médias affirme que Philippe Verdon a été tué en tentant d'échapper à son lieu de détention. Une version qui rappelle celle évoquée par un journaliste de France 24 sur Twitter, avec beaucoup de précautions.
4. source militaire (non recoupé) 2 blancs aperçu dans le désert... Seuls sans eau. Dc viabilité 1/2 jrs. Non localisé. Ms arrêt frappe aéro
— julien sauvaget (@jsauvaget) 20 mars 2013
Conclusion de ma part seulement :2 otages en fuite, mort dans le désert. Pas d'exécutions. Aqmi tente de recup´ leurs morts.
— julien sauvaget (@jsauvaget) 20 mars 2013
Si l'otage était malade, comme le rappelle Yves Trotigon, il est peut-être mort lors de sa détention et Aqmi chercherait à en tirer partie. "Tout est possible, il faut être extrêmement prudent", conclut M. El Difraoui. Al-Qaïda sait gérer "le temps journalistique et cela fait longtemps qu'ils n'ont pas fait de coup d'éclat, il est aussi possible qu'il y ait des négociations en coulisse même si elles ne sont pas directement avec la France. En réalité, il y a des milliers de variables."
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