Manif pour tous : après le défilé pacifique, le jet de pavés
Des manifestants ont affronté les CRS pendant près de trois heures, au terme d'une manifestation restée jusque-là pacifique. Récit.
Le défilé familial des opposants au mariage homosexuel a dégénéré en affrontements, dimanche 26 mai, sur l'esplanade des Invalides, à Paris, dès la fin des discours. A l'issue des échauffourées, 293 personnes ont été interpellées et 231 placées en garde à vue, selon les chiffres de la préfecture de police.
Sexagénaire distinguée en poncho de laine claire, trentenaires en jean et mocassins, jeunes femmes et adolescents, le public qui se disperse sous la pression ferme des CRS, sur les coups de 23 heures, détonne avec la violence des évènements. Près de trois heures de bataille d'usure entre forces de l'ordre et jeunes en tous genre, des casseurs les plus chevronnés aux militants d'extrême droite, en passant par de nombreux jeunes adultes émoustillés par une tension bien palpable. Récit.
"Où sont les pipettes de sérum pour les yeux ?"
Quelque trente minutes après la fin des discours et la Marseillaise, entonnée haut et faux, le gros des troupes quitte les Invalides, encouragé par des bénévoles de la Manif pour tous en tee-shirts rouges "sécurité". Des familles et quelques grappes d'amis entament des pique-niques tandis que les Veilleurs s'apprêtent à passer la nuit aux quatre coins de la pelouse.
A l'angle avec la rue de l'Université, en direction de l'Assemblée nationale, les premiers fumigènes s'allument. Un drapeau rose avec une tête de mort est brandi. Les militants d'extrême droite, Gudards et Jeunesses nationalistes en première ligne, provoquent des CRS barricadés derrière des grilles anti-émeutes. Quelques mètres derrière, des dizaines de jeunes hommes, la trentaine, gueules de jeunes premiers de bonnes familles, s'équipent. Autocollants "Le Printemps français" collés par dizaines du jean au blouson, ils ont tout prévu : lunettes de piscine ou de ski pour les yeux, masques médicaux pour la bouche. Une mère de famille farfouille dans le sac à dos de son fils "mais où sont les pipettes de sérum physiologique ? ", tandis que son mari distribue les lunettes.
"C'est pas tous les jours qu'on voit ça"
"CRS en banlieue" mais surtout "journalistes collabos" et "bobos au cachot", les manifestants chargent d'abord les médias, dont certains sont équipés comme dans les zones de conflit, coincés entre eux et les CRS. Jets de bouteilles en verre, de pétards et de fumigènes, certains en viennent même aux mains, avant de se retourner vers un cordon de CRS qui s'est formé derrière eux.
Les affrontements durent trois heures. Les CRS chargent, lancent des grenades assourdissantes et des gaz lacrymogènes. Les manifestants répliquent en hurlant tour à tour "Dictature socialiste", "Hollande, ta loi on n'en veut pas", mais aussi "tous des fils d'hétéros" et "A bas les francs mac'".
Tout autour, familles, couples âgés et brochettes d'adolescents sont au spectacle. Cinq copains, mèches blondes sur le front et sweat-shirt à capuche officiels de la Manif pour tous reviennent même avec des pizzas : "C'est pas tous les jours qu'on voit ça !" Des parents BCBG insultent les CRS.
Deux jeunes filles en jean, ballerines et trench à capuches fourrées reviennent les yeux irrités sous leurs Ray Ban. "Venez, on est plus nombreux qu'eux !" tousse l'une à un couple d'amis un peu en retrait, qui commente avec gourmandise, accent bourgeois pour madame, chaque avancée d'un camp ou de l'autre. Elles y retournent. Ce sont ces quelques centaines de jeunes émoustillés par une ambiance aussi tendue que surréaliste qui ont empêché les forces de l'ordre d'interpeller rapidement les meneurs, bien équipés et connus des services de police pour nombre d'entre eux.
"On s'en fout de la manif, on rigole, y'a les keufs"
Il faut attendre 22 heures pour que les CRS entourent hermétiquement l'esplanade et commencent à repousser pas à pas, mais fermement, les manifestants vers deux issues, de part et d'autre de la place. Ils ratissent méthodiquement, créant des mouvements de foules et des courses folles. Où qu'ils aillent les manifestants tombent sur des cordons de forces de l'ordre, matraques à la main, qui leur indique le chemin de la sortie.
Cécile et Vincent, 17 ans, courent se mettre à l'abri. Elle, brunette, le mascara qui a coulé autour de ses grands yeux clairs, lui blondinet à la bouille d'ange, le drapeau tricolore autour du cou pour protéger sa bouche. "On s'amuse, y'a les keufs, en fait on s'en fout de la manif, fanfaronne-t-il : Tout à l'heure on s'est pris des gaz, faut bien un baptême du feu !"
Les fauteurs de trouble quittent progressivement l'esplanade, au centre de laquelle une cinquantaine d'interpellés assis en tailleurs entonnent, accompagnés à la cornemuse, Santiano d'Hugues Aufray et la célèbre chanson à boire prisée des mariages, notamment catholiques, Fanchon. "On n'entend pas chanter les CRS", s'égosillent deux jeunes filles en faisant marche arrière, sans cesser d'agiter leurs drapeaux roses et bleus, poussées jusqu'à l'une des extrémités de la place par un cordon de CRS en rang serrés. Seuls les Veilleurs restent imperturbables sur un coin de gazon. "Tu salueras tes parents de ma part", lance un manifestant à un autre lorsqu'ils se séparent, comme si de rien n'était.
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