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Mesures contre "l'apologie du terrorisme" : les juristes sont sceptiques

Nicolas Sarkozy a annoncé des dispositions pour réprimer "l'endoctrinement à des idéologies conduisant au terrorisme". Impossible à voter dans l'immédiat, elles pourraient même être retoquées par le Conseil constitutionnel. 

Article rédigé par Salomé Legrand
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Nicolas Sarkozy lors de son allocution depuis l'Elysée, le 22 mars 2012. (CAPTURE D'ECRAN / FRANCE 2)

"Désormais, toute personne qui consultera de manière habituelle des sites internet qui font l'apologie du terrorisme (...), ou se rendant à l'étranger pour y suivre des travaux d'endoctrinement à des idéologies conduisant au terrorisme, sera punie pénalement." Dans une allocution télévisée, Nicolas Sarkozy a annoncé de nouvelles mesures pour réprimer "l'apologie du terrorisme" ou "l'appel à la haine et à la violence"

Dans la foulée, le Premier ministre, François Fillon, a assuré que le gouvernement allait "s'attacher sans délai à la mise en œuvre" de ces annonces. Et pourtant, les spécialistes du droit constitutionnel sont sceptiques, sur la forme mais surtout sur le fond. 

Un calendrier qui coince

"On n'a évidemment plus le temps de changer quoi que ce soit en matière législative", explique d'emblée Didier Maus, professeur de droit constitutionnel à l'université Aix-Marseille, qui s'est dit "étonné de ces annonces""C'est impossible", confirme, catégorique, son collègue Dominique Rousseau, auteur d'un bilan politique et institutionnel du quinquennat intitulé Le Consulat Sarkozy. 

Pour Didier Maus, c'est une question de formulation : "Je pense qu'elle vient du fait que Nicolas Sarkozy ne pouvait adopter une posture de candidat et dire 'si je suis réélu', dans un moment pareil." Mais il n'y a pas que cet élément qui interpelle les juristes : 

• Des difficultés de définition

Le Conseil constitutionnel permet la création de nouveaux délits, mais sous conditions. Ils doivent notamment être précisément identifiés, comme l'explique Didier Maus : "Concrètement, il faut définir ce qu'est un site internet incitant au terrorisme, définir ce qu'est une 'consultation régulière', et aussi garantir que les sanctions soient proportionnelles."

Idem en ce qui concerne les voyages d'endoctrinement : "Comment définir et qualifier en droit français un délit qui ne se passe pas en France ?" s'interroge le constitutionnaliste.

Un risque d'inconstitutionnalité 

La Constitution comporte deux principes. Celui des libertés, qu'elle garantit, comme la liberté d'aller et venir, la liberté d'opinion ou encore d'expression ; et celui de la sauvegarde de l'ordre public. "Pour porter atteinte aux libertés constitutionnelles au nom de l'ordre public, il faut que ces atteintes soit nécessaires, adéquates et proportionnelles", énumère Dominique Rousseau, qui trouve ces annonces semblables à celles sur les récidivistes faites après la mort de Laëtitia Perrais, en 2011, et auxquelles Nicolas Sarkozy avait dû renoncer. 

"Elles sont annonciatrices d'un déséquilibre entre ces libertés et la sauvegarde de l'ordre public, elles se heurtent très clairement à la jurisprudence appliquée jusqu'à présent par le Conseil constitutionnel", estime le juriste, qui ne voit pas ce que de telles lois pourraient apporter au dispositif actuel. Et d'aller plus loin : "Pour un peu, on va finir dans le film Minority Report, où les gens sont arrêtés avant même d'avoir fait quoi que ce soit, parce qu'on craint le crime."

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