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Pingouins, pancartes et fumigènes : à Paris, les militants pour le climat amers face aux CRS

Avec l'interdiction de manifester, prononcée à la suite des attentats du 13 novembre, la société civile peine à se réapproprier la COP21.

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz - avec Estelle Walton
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Un manifestant brandit une pancarte "droit de manifester", place de la RĂ©publique, dimanche 29 novembre 2015, Ă  Paris. (JOEL SAGET / AFP)

Une chaîne humaine face à une chaîne de camions de CRS. Après une mobilisation dans le calme des militants pour le climat aux abords de la place de la République, des heurts ont éclaté dans l'après-midi, dimanche 29 novembre, entre militants d'extrême gauche et la police. Les forces de l'ordre étaient venues en nombre pour tenter de faire respecter l'interdiction de se rassembler, prononcée dans la foulée des attentats de Paris et de Saint-Denis, vendredi 13 novembre.

Privée de sa voix en ce début de COP21, la société civile a improvisé, non sans amertume, une mobilisation hybride. Une alternative qui ne satisfait personne, reconnaissent les manifestants. Mais une mobilisation essentielle, martèlent-ils.

Une mobilisation sous haute surveillance

Les heurts, voilà justement ce que les militants, interrogés dimanche midi aux abords de la place de la République, voulaient éviter. "Nous sommes tolérés", prévient Pierre Gineste, militant d'Alternatiba. "Donc il faut veiller à ce que tout se passe bien."

Il est midi à l'entrée de la chaîne humaine, à une centaine de mètres de la place de la République. En chasuble, badges sur la casquette et sourire affable, il oriente quelques curieux. "Les antinucléaires, c'est plus loin ?" demande une dame en vélo.

En gilets fluo, des militants composent un service d'ordre jovial, qui tente de "combler les trous" dans la chaîne. Appuyés contre les façades des immeubles, les manifestants brandissent pancartes et drapeaux, quand ils n'ont pas carrément sorti le grand jeu : tenues de pingouins ou d'ours polaires. "Evidemment, on aurait préféré marcher avec 300 000 personnes, plutôt que de se retrouver à 10 000", poursuit Pierre Gineste dans un haussement d'épaule. Derrière lui, la foule applaudit, chante, danse parfois. Les cyclistes sont acclamés, et les CRS parodiés par un collectif de clown : "Rentrez chez vous maintenant ! Le réchauffement climatique est terminé !" lancent-ils en chœur.

Le rassemblement se veut discipliné. "On dissout la chaîne humaine", lance au bout d'une bonne heure un jeune homme, qui remonte la chaîne au pas de course. "On ne veut pas d'ennui avec les forces de l'ordre, on se disperse." En quelques minutes, la chaîne humaine est rompue. Nuage en carton géant sous le bras, certains s'en vont, tandis que d'autres convergent vers la place de la République.

"Pourquoi interdire de se rassembler ici tout en acceptant d'ouvrir les marchés de Noël ?"

Privés de manifestations pour cause d'état d'urgence, de nombreux militants dénoncent une dérive sécuritaire. "Un de mes fils était venu de Bruxelles avec 300 personnes, en vélo, pour la COP21. Hier matin, ils ont tous été renvoyés en Belgique", raconte Patrick, 57 ans, les yeux rieurs sous son bonnet de laine. "C'est incompréhensible", poursuit-il. "Pourquoi interdire de se rassembler ici tout en acceptant d'ouvrir les marchés de Noël ?" s'interroge ce Belge installé en France. D'autres évoquent l'assignation à résidence de militants écologistes. 

Dès l'annonce de cette mobilisation alternative à la marche, le collectif Les Désobéissants a invité à braver l'interdiction de la préfecture, dénonçant l'état d'urgence. Avec une consigne : "Dans le calme, sans haine et sans violence."

Lancers de chaussures et fumigènes

Mais vers 15 heures, alors que la chaîne humaine s’est dispersée, un groupe de manifestants radicaux fait voler en éclat la consigne. Placés devant un cordon de CRS, ils lancent des chaussures sur les forces de l’ordre, qui répliquent avec des fumigènes. Immédiatement, la situation se tend, alors que certains attrapent et jettent bougies et autres objets déposés au pied du monument de la place de la République après les attentats.

Toutes les voies d’accès à la place sont désormais fermées, surveillées par des dizaines de cars de CRS. Les manifestants sont bloqués à l’intérieur de la place enfumée, où une nouvelle chaîne humaine se forme : cette fois, pour protéger le monument et les hommages aux victimes. Plusieurs centaines de personnes sont alors contrôlées, avant la réouverture de passages, vers 17 heures. Une centaine de manifestants sont interpellés.

Dans un nouveau communiqué, le collectif Les Désobéissants revient sur les échauffourées et accuse les forces de l'ordre d'avoir envenimé la situation sur la place, pendant que se "tenait une assemblée populaire pour discuter de la constitution d'un collectif contre l'état d'urgence". "Les policiers qui cernaient la place ont commencé à faire pleuvoir sur la foule les grenades lacrymogènes, de manière indiscriminée et sans sommation", explique le collectif dans un message publié sur Facebook, refusant de distinguer "bons et mauvais manifestants".

"Rester devant les CRS, c'est notre façon de manifester"

Peu avant, dans la chaîne humaine, les militants écologistes déploraient les mesures sécuritaires qui ont empêché le grand rassemblement populaire. Pour Guillaume, présent avec sa compagne, Lara, "le gouvernement va au-delà d'une certaine limite", dans le cadre de cet état d'urgence très décrié ici. 

"Ils ont réussi leur coup en tout cas. C'est clairsemé, les gens ont eu peur", se désole aussi Fabrice Flipo, maître de conférences en philosophie et spécialiste de l'écologie politique, déçu de voir des citoyens ainsi "dépossédés" de leur conférence sur le climat. "Que fait concrètement le gouvernement pour le réchauffement climatique ? Pas étonnant qu'ils ne veulent pas d'une contestation." Et de déplorer que les dirigeants "ne se servent du prétexte des Black Blocs pour interdire aux gens de s'exprimer."

Les violences de l'après-midi pourraient encore compromettre la mobilisation. Sur les tracts distribués par la Coalition climat 21, les écologistes invitent à manifester à la fin de la COP, le 12 décembre.

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