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"Que les jeunes aillent aussi manifester en Pologne" : pourquoi Emmanuel Macron a-t-il ciblé ce pays en évoquant le climat ?

Avant même son arrivée au sommet de l'ONU sur "l'urgence climatique", Emmanuel Macron a incité les jeunes qui se mobilisent pour le climat à mener des actions concrètes et à aller manifester en Pologne. Pourquoi la Pologne est-elle ainsi ciblée par le chef de l'Etat français ? 

Article rédigé par franceinfo - Emilie Gautreau
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Une étudiante, durant la manifestation des jeunes pour le climat, à Varsovie le 20 septembre 2019 (MACIEJ LUCZNIEWSKI / NURPHOTO)

Alors que des centaines de milliers de jeunes se mobilisent pour le climat à travers le monde, Emmanuel Macron a eu dimanche un commentaire qui suscite de nombreuses réactions, aussi bien en France qu'en Pologne. 

Les dénonciations, on est au courant. Défiler tous les vendredis pour dire que la planète brûle, c'est sympathique, mais ce n'est pas le problème" a estimé le chef de l'Etat français dans l'avion qui l'emmenait à l'Assemblée générale de l'ONU à New York, ainsi que l'ont rapporté plusieurs journalistes, dont un journaliste de Radio France, exhortant entre autres les jeunes, à aller "manifester en Pologne " et à " [l']aider à faire bouger ceux qu'il n'arrive pas à faire évoluer ". Pourquoi le chef de l'Etat a t-il ciblé la Pologne ?

Parce que la Pologne a bloqué une proposition européenne sur l'objectif d'une neutralité carbone en 2050

Les dirigeants européens, réunis en sommet à Bruxelles en juin dernier, n'avaient pas réussi à dégager une unanimité autour de l'objectif de passer à une neutralité carbone d'ici 2050

La neutralité carbone - principe inscrit dans l'Accord de Paris - consiste pour un pays à ne pas émettre plus de gaz à effet de serre, responsables du réchauffement climatique, qu'il ne peut en absorber via par exemple les forêts et les sols.

Dans ses conclusions, le Conseil avait acté qu'une majorité d'Etats membres de l'Union Européenne soutenait cet objectif mais il aurait fallu l'unanimité des 28 Etats membres pour que la neutralité carbone à échéance 2050 soit posée comme un engagement européen. 

La Pologne s'y était opposée, aux côtés de trois autres Etats : la Hongrie, la République tchèque et l’Estonie.

Parce que la politique énergétique polonaise reste aujourd'hui axée sur le charbon

La Pologne avait, en juin dernier, justifié son refus d'adhérer à cette position commune européenne par la volonté de défendre son " intérêt national " et par un refus d'une situation "où l'économie polonaise pâtirait des efforts pour le climat dans le monde". 

La Pologne est le deuxième plus gros consommateur de charbon dans l’Union européenne, avec environ 80% de son électricité issue de cette énergie parmi les plus polluantes au monde.

Le gouvernement polonais y voit une garantie d'indépendance.

La Pologne est l'un des pays les plus pollués d'Europe. Selon l’Agence européenne pour l’environnement, près de 45.000 Polonais meurent, chaque année, prématurément à cause de la pollution.

Le gouvernement polonais ne prévoit qu'une réduction très progressive de la dépendance du pays au charbon à moyen terme, censée passer d'environ 80% de la consommation primaire d’énergie aujourd'hui à 60% en 2030. 

La Pologne et la Hongrie réclament, pour y arriver, des fonds européens supplémentaires pour financer une "transition écologique juste". 

Pour détourner l'attention du fait que la politique climatique de la France est elle-même pointée du doigt ? 

Le Haut conseil pour le climat, instance lancée en novembre 2018 pour évaluer la façon dont l’action de la France se situe par rapport à d’autres pays, a alerté, dans un rapport de juin dernier, sur le fait que la trajectoire française actuelle n'est pas satisfaisante et que notre pays n'est pas à la hauteur de ses ambitions dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Le premier budget carbone (plafonds d’émissions de gaz à effet de serre à ne pas dépasser au niveau national) 2015-2018 a été dépassé de 4 % . La baisse des émissions réelles n’a été en moyenne, détaille le Haut conseil pour le climat, que de 1,1 % par an, quasiment deux fois moins que l'objectif fixé (de 1,9 % par an).

Ce rythme annuel, concluent les onze experts, doit tripler d'ici 2025 pour respecter l’objectif de neutralité carbone en 2050.

Or la France est dans une situation particulière. Alors que certains pays -comme la Pologne- utilisent largement le charbon (fortement émetteur de gaz à effet de serre) pour produire de l'électricité et peuvent enregistrer des progrès rapides en fermant des centrales à charbon, les efforts français doivent avant tout passer par une sobriété dans la consommation d'énergie, des efforts sur le transport, le logement et l'alimentation.

Dans le secteur du transport, estime le rapport, l'électrification avance mais trop lentement (seulement 2,1 % des voitures) et la voiture personnelle reste le mode de transport prédominant avec une augmentation du nombre de voitures lourdes et qui consomment davantage. Dans le secteur du bâtiment, de nombreuses rénovations énergétiques sont faites mais leurs performances sont insuffisantes. Le chauffage au fioul domestique est encore trop répandu.

Pouvoirs publics, entreprises et citoyens n’investissent pas assez, en France conclut le rapport, dans les équipements et infrastructures nécessaires à la neutralité carbone et dépensent trop dans les équipements qui émettent beaucoup de gaz à effet de serre. Le Haut conseil pour le climat avait formulé sept recommandations et propositions pour améliorer l'action de la France en matière climatique. Le gouvernement est censé, d'ici la fin de l'année, y répondre point par point de manière concrète. 

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