Cyclone Chido à Mayotte : pourquoi l'accès à l'eau reste difficile pour de nombreux habitants
Les habitants de Mayotte ont-ils accès à l'eau ? La réponse est oui, a affirmé à franceinfo le préfet du département, mardi 24 décembre. "Nous avons aujourd'hui rétabli l'eau dans les principaux points du territoire, explique François-Xavier Bieuville, même si cette eau reste encore parfois un peu difficile à délivrer, nos concitoyens ont de l'eau", plus de dix jours après le passage dévastateur du cyclone Chido.
"Dès la fin de ce week-end, 90% de la population sera reliée à l'eau courante, deux jours sur trois pendant huit heures, via ce que l'on appelle des tours d'eau", avait promis le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, dans une interview pour Le Journal du dimanche publiée samedi. Emmanuel Macron s'était déjà engagé vendredi à ce que "tous les foyers" soient "à nouveau raccordés" à l'eau à partir de samedi.
Les "tours d'eau" évoqués par Bruno Retailleau correspondent au système de rationnement mis en place avant l'été dans le 101e département français pour faire face au manque de pluie et d'infrastructures. Ils concernaient aussi bien les 70% de la population raccordés à domicile que les 30% approvisionnés via des fontaines extérieures, gratuites ou payantes, notamment dans les bidonvilles. Avant le cyclone, le robinet était coupé jusqu'à deux jours et demi par semaine dans certaines zones. Depuis le passage de Chido, les tours d'eau ont été réinstaurés samedi, avec, comme l'avait souligné le ministre de l'Intérieur, huit heures d'eau par jour, le matin ou l'après-midi, deux jours sur trois.
Un planning de distribution a été communiqué, mais il n'est qu'"informatif", selon la Société mahoraise des eaux (SMAE), citée vendredi par Mayotte la 1ère. "En raison de l'instabilité du réseau", les périodes d'ouverture dépendent "des niveaux dans les réservoirs" et la population est invitée "à économiser l'eau au maximum tant que le réseau n'est pas rétabli", a prévenu le SMAE.
"Des villages entiers sans eau"
Sur le terrain, les acteurs de la société civile mobilisés observent que la situation est loin d'être uniforme sur tout le territoire. "On a des villages entiers sans eau et non, les rampes [fontaines extérieures] ne fonctionnent pas", constate Racha Mousdikoudine, présidente de l'association Mayotte a soif. Une carte en source ouverte a été créée pour renseigner en temps réel l'accès aux points d'eau, à partir des remontées de la population et des communiqués officiels. Mais elle n'est "pas fiable", met en garde Racha Mousdikoudine. "Les habitants, dont des femmes enceintes, risquent de marcher des kilomètres pour rien, ce qui met leur vie en danger", fustige la représentante associative mahoraise.
"On a beaucoup de mal à avoir une visibilité sur ce qui arrive dans les villages chaque jour", confirme à franceinfo une source au sein des services de santé. L'exécutif parle-t-il de 90% de la population raccordée ou de 90% du territoire, avec une rampe par village ? "Il s'agit de 90% du territoire", reconnaît-on à la préfecture, pointant "des difficultés sur les terminaisons et les hauteurs des fins de canalisation". Celles-ci "ont connu de nombreux dommages mais sont en cours de réparation, et le personnel nécessaire aux travaux est disponible", assure-t-on.
Par ailleurs, les six usines de potabilisation d'eau de l'archipel "sont désormais opérationnelles". De quoi produire autour de 20 000 mètres cubes d'eau par jour, soit moins de la moitié de la production habituelle, déjà inférieure aux besoins de la population.
Des risques sanitaires importants
Reste que l'eau qui coule des robinets, quand elle arrive jusque-là, n'est pas buvable en l'état. Avant le cyclone, l'agence régionale de santé recommandait déjà de la faire bouillir trois minutes avant de la consommer, car les coupures récurrentes rendent l'eau impropre à la consommation. Avec les problèmes d'approvisionnement en électricité et en gaz liés au cyclone, cette doctrine est en train d'être revue, selon les informations de franceinfo. Selon le ministère de l'Intérieur, 2,8 millions de pastilles de chlore ont commencé à être distribuées, notamment dans les centres d'hébergement, avec une notice d'explication. Elles sont aussi acheminées dans les villages.
Mais les associations rencontrent des difficultés à couvrir tout le territoire, comme l'explique à franceinfo Kelly Chevalier-Nkouka, responsable du service eau, hygiène, assainissement de la Croix-Rouge. Ces pastilles sont d'autant plus nécessaires quand les habitants puisent l'eau là où ils le peuvent.
"Aujourd'hui, la lisibilité de l'approvisionnement en eau potable est très difficile. Les personnes se tournent vers des eaux non conventionnelles, les rivières, les puits et l'eau de pluie."
Kelly Chevalier-Nkouka, membre de la Croix-Rougeà franceinfo
C'est le cas, par exemple, à Acoua, dans le nord de Mayotte, où les habitants ont dégagé un puits et tenté de nettoyer leurs rivières pour y puiser une eau qui reste insalubre malgré tout. "Quelle population aujourd'hui, en tant que département français, peut se permettre d'utiliser de l'eau dans cet état-là ?", s'interroge un habitant auprès de France Télévisions.
Afin d'éviter la propagation de maladies et de diversifier les ressources en eau potable, la Croix-Rouge s'emploie à remettre en service les fontaines payantes, au nombre d'une centaine. Mais la remise en état du parc a été pour l'heure compliquée, du fait notamment du manque de carburant. En outre, les personnes munies d'une carte de paiement, sur lesquelles s'appuyait l'association pour assurer la distribution aux plus démunis, sont introuvables. "Leurs maisons ont été détruites et ces personnes sont soit dispatchées dans les centres d'hébergement ou dans leur famille. On mène tout un travail pour les rechercher", précise Kelly Chevalier-Nkouka.
Des difficultés pour se procurer des bouteilles d'eau
Quant aux distributions de bouteilles d'eau, moyen à ce jour le plus sûr de boire une eau potable, beaucoup ne parviennent pas à savoir où et quand ces distributions se déroulent. Lundi, des distributions avaient été annoncées par la préfecture à Tsoundzou 1 et 2, Koungou, Acoua, Chiconi, Ouangani, Bandrélé, Chirongui et Bouéni, sans plus de précisions sur les horaires ni les lieux. Seule la mairie de Mamoudzou est parvenue à établir un planning de distribution, relaie Mayotte la 1ère. Depuis le début de la crise, 390 000 litres d'eau ont été livrés, également par le biais de citernes, a tenu à rappeler la préfecture lors de son point de situation lundi.
Le ministre de l'Intérieur a assuré de son côté dans Le Journal du dimanche que la situation s'améliorerait dans le courant de la semaine avec "la distribution de bouteilles d'eau qui arrivent en masse, à proportion de plus de 30 000 litres d'eau par jour", ainsi que l'arrivée, lundi, d'"un porte-conteneurs pour livrer 1 600 000 litres d'eau". Bruno Retailleau a par ailleurs annoncé la mise en place de "deux stations de production d'eau de la sécurité civile et d'une station projetée par Veolia" à partir du milieu de la semaine "pour alimenter l'ensemble des Mahorais". Le préfet de Mayotte, lui, se veut confiant : "Le rétablissement de l'eau potable est prévu à 100% dans les prochains jours."
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