: Reportage "Si je n'arrose pas, je crève" : en Ille-et-Vilaine, l'été caniculaire et la sécheresse menacent les récoltes des maraîchers
Franceinfo est allé à la rencontre des maraîchers de ce département de Bretagne dont le travail est mis en danger par un été passé sous 40 degrés.
"Basilic ou basilic citron : 1 € le bouquet, betteraves rouges : 2,50 € le kg." Sur la page Facebook "Goulene Maraîchage", la clientèle consulte chaque semaine la liste des légumes proposés en vente directe par Jérémy Goulene, maraîcher en Ille-et-Vilaine. Un message posté le 5 août se distingue. Cette fois-ci, pas de présentation des récoltes, mais un coup de gueule. "Je me permets de sortir un peu de ma réserve habituelle. Un feu s'est déclenché juste derrière chez nous, encore 40° annoncés la semaine prochaine et pas une goutte de pluie depuis plus d'un mois, mais tout va bien", s'emporte l'agriculteur, en première ligne face à la sécheresse et aux conséquences du réchauffement climatique.
Sa colère est retombée lorsqu'il accueille franceinfo, le 9 août, sur son exploitation de trois hectares de champs et 400 mètres carrés de serres située à La Bouëxière, à l'est de Rennes. Marqué par ce départ de feu à quelques centaines de mètres de ses cultures et de son domicile, ce natif de Seine-Saint-Denis a laissé à la grange broyeurs et autres outils motorisés qui pourraient créer une étincelle durant cette troisième vague de chaleur. "De toute façon, tout est cramé, il n'y a plus grand-chose à broyer", assène-t-il. Pour preuve, Jérémy Goulene a pris, grâce à un drone, des photos saisissantes de son terrain à un mois d'intervalle, fin juin et fin juillet.
Pieds nus sur l'herbe jaunie et émaciée de son exploitation, Jérémy présente, dégoûté, ses cultures "sacrifiées". Les feuilles des topinambours sont grillées. Le maïs doux et les artichauts ont subi le même sort. Trop gourmandes en eau et malmenées par les fortes chaleurs, le maraîcher a décidé de laisser ces cultures dépérir, sans lutter. "Ça fait mal au cœur", admet-il du bout des lèvres. "Mais il faut que je maintienne en priorité ce qui rapporte le plus et qui demande le moins d'eau", ajoute-t-il, pragmatique.
Des cultures qui finissent au compost
Malgré des efforts d'irrigation concentrés sur quelques cultures, toutes n'ont pas résisté aux températures extrêmes pour la région – jusqu'à 40 degrés atteints, plusieurs fois ces dernières semaines. C'est le cas des haricots. Le maraîcher vient d'en envoyer 15 kilos au compost. "Une série entière fichue". Pareil pour ses salades : "Elles étaient devenues acides", 150 sont maintenant bonnes à jeter. Jérémy, qui vend sur les marchés ou en circuit direct, a à cœur de ne pas commercialiser des récoltes au goût altéré par les conditions météo.
" Je ne vends pas de mauvais légumes, même si cela veut dire de l'argent en moins."
Jérémy Goulene, maraîcherà franceinfo
"Peut-être que je suis bête, il y a des collègues qui ne se poseraient pas la question", persifle-t-il. Juste à côté des oignons, qui eux, se portent bien, les poireaux ont de drôle de petits trous sur leurs feuilles. Le maraîcher a constaté une multiplication des thrips, ces ravageurs minuscules qui s'épanouissent par temps sec et chaud. "J'en avais jamais eu autant jusqu'à présent !", raconte celui qui est installé depuis quatre ans en agriculture biologique.
Des plantes en repos végétatif
A Domagné, dans l'exploitation maraîchère bio "Aux P'tits Oignons" de Nathan Chazalon et Elina Grellier, ce sont les animaux à plumes qui symbolisent le chaos climatique ambiant. Assoiffés, les merles et mésanges à têtes noires – Pichiglaou en breton – n'hésitent plus à braver les 45 degrés enregistrés sous serre pour se nourrir des légumes en culture. "Ce n'est pas un phénomène normal, mais la faune cherche aussi à s'adapter pour survivre aux fortes chaleurs" explique Nathan, en coupant le système de goutte-à-goutte irriguant ses trois serres qui prennent des allures de sauna dès 11 heures du matin.
Chaleur oblige, le couple, qui s'est lancé en février, raconte souffrir parfois de migraines, d'étourdissement, "et d'une fatigue qui ne part jamais". Et pour cause, les maraîchers œuvrent "près de 70 heures par semaine, sept jours sur sept depuis le mois de février" pour faire vivre les cultures. Avec en tête un objectif : devenir rentable d'ici cinq ans.
"Si ça continue à ce rythme, on va se cramer très vite."
Nathan Chazalon, maraîcher chez "Aux P'tits Oignons"à franceinfo
Tous les matins, à son arrivée vers 6h30, Nathan constate avec amertume de nouvelles chutes de fleurs de tomates. "Avec les fortes chaleurs, les plantes tentent de survivre en sacrifiant le légume. Elles se mettent en repos végétatif", décrit le maraîcher, intarissable sur les cycles des plantes. Lorsqu'elles arrivent à pousser, certaines pourrissent sur le pied. Un phénomène qui touche près de 20% de sa production de tomates anciennes.
A l'entrée de l'exploitation, Elina observe avec attention le niveau de son système de rétention d'eau. Cette mare artificielle, alimentée uniquement par la pluie accumulée toute l'année, fournit en irrigation la totalité de son exploitation. Et le niveau est désespérément bas. Le bassin, creusé dans la roche, est à nu. Au fond, le tuyau de pompage émerge des quelques centimètres d'eau restants. "On peut tenir encore 15 jours sans pluie. Après, ça va être compliqué", explique Elina. L'exploitation n'a ni forage ni puits de secours. Seul point positif : puisque leur eau est stockée dans une retenue étanche, c'est-à-dire non reliée à des sources extérieures, les deux maraîchers ne sont pas soumis aux interdictions d'arrosage imposées par la préfecture, alors que le département d'Ille-et-Vilaine est divisé entre alerte renforcée ou alerte crise sécheresse.
A Vitré, Sébastien Prel a la peau brûlée par le soleil et les traits tirés par les heures passées à arroser ses chrysanthèmes chaque nuit, depuis quinze jours. Le maraîcher, qui fait aussi de l'horticulture, récupère son eau grâce à un forage qui puise directement dans les nappes phréatiques pour arroser ses sept hectares, répartis sur trois terrains. Les restrictions d'eau le concernent donc directement.
Des techniques à repenser pour survivre
Le 10 août, Vitré était placée en alerte sécheresse renforcée, ce qui entraîne une interdiction d'arrosage de 11h à 18h, sauf si l'irrigation est réalisée au goutte-à-goutte, par micro-aspersion ou si l'exploitant met en œuvre une "réduction des consommations hebdomadaires de 20%", détaille le site de la préfecture. Des règles jugées complexes à interpréter par les maraîchers d'Ille-et-Vilaine rencontrés par franceinfo. Et difficiles à mettre en œuvre."Mes plants, c'est comme des bébés, ils ont besoin d'eau régulièrement, sinon ils meurent", insiste Sébastien, tout en toisant son exploitation qui, ce jour-là, est bousculée par les vents, asséchant encore un peu plus sa terre. "Si je n'arrose pas, je crève", résume-t-il, critique contre une réglementation qui ne "prend pas en compte les besoins des agriculteurs''.
"Ce que je veux, c'est une révolution du monde agricole en septembre"
Sébastien Prel, maraîcherà franceinfo
Des pertes causées par le manque de pluie et les fortes chaleurs, Sébastien en recense aussi. Il y a les haricots, les panais, les choux, mais également les carottes "qui ont complètement séché sur place'", et même les oignons, "morts déshydratés à la racine". Il anticipe une baisse de près de 25 % de son chiffre d'affaires à la fin de l'année, les conditions climatiques à l'origine d'un mauvais rendement s'additionnant à une baisse des ventes au sortir de la crise sanitaire.
Pour lui, les choses sont claires : s'il veut continuer, Sébastien devra revoir sa méthode de production. Bientôt, il aura à choisir les semences à cultiver l'année prochaine, une décision cruciale. "Je veux des semences qui s'adaptent au climat Sud-Loire, puisque nos températures s'en rapprochent de plus en plus", souffle-t-il. Le maraîcher, qui a acheté l'année dernière un récupérateur d'eau, prévoit de l'installer "dès que possible".
L'autre grande révélation de cet été caniculaire, c'est le mode d'irrigation. "L'avenir, c'est le goutte-à-goutte", affirme-t-il, espérant pouvoir, à terme, abandonner l'aspersion. Sur ses champs, le maraîcher qui travaille en agriculture conventionnelle raisonnée veut aussi installer du paillage pour mieux conserver l'humidité des sols. Face au changement climatique, Sébastien n'a pas peur de le dire : "Il faut s'inspirer des techniques du bio pour survivre."
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