Afghanistan : "C'est assez miraculeux que je sois là", raconte le journaliste Cyril Payen, qui a quitté le pays "par la terre"
Le journaliste est arrivé à Paris dimanche 5 septembre. Il a quitté l'Afghanistan au terme d'un voyage de 18 heures par la terre, via la frontière avec le Pakistan.
"C'est assez miraculeux que je sois là ce matin", a indiqué lundi 6 septembre sur franceinfo Cyril Payen, envoyé spécial de France 24 en Afghanistan. Le journaliste est rentré à Paris dimanche 5 septembre après un voyage de 18 heures, "par la terre", pour quitter Kaboul, la capitale afghane, via la frontière avec le Pakistan, une zone "très infiltrée par la faction dure des talibans mais également par l'État islamique". Cyril Payen a été contraint de laisser l'équipe afghane avec laquelle il travaillait derrière lui "avec tous les risques qu'on sait". "Ce n'est pas la partie la plus facile", a-t-il reconnu. "C'est quelque chose que je ne souhaite à personne de laisser derrière, les yeux dans les yeux, des équipiers qui attendaient beaucoup de vous."
franceinfo : Comment avez-vous fait pour rentrer en France puisqu'il n'y a plus de pont aérien depuis l'aéroport de Kaboul ?
Cyril Payen : C'est un voyage que je ne recommande pas, il faut passer par la terre, faire Kaboul-Jalalabad. C'est une ville proche de la frontière pakistanaise qui est très infiltrée par la faction dure des talibans mais également par l'État islamique qui s'est rappelé au bon souvenir des talibans en perpétrant plusieurs attentats. C'est donc un voyage compliqué, un voyage clandestin. Ensuite, je suis passé dans les zones tribales pakistanaises. Il n'y a pas grand monde qui fait ce voyage dans ce sens-là, sachant que les Pakistanais resserrent tout sur fond de guerre par procuration avec le Qatar. La route que nous avons prise est totalement sécurisée par les talibans. Je ne suis passé qu'en étant très discret, parce qu'il y a eu une coordination de sécurité talibane. J'étais déguisé, avec un protocole de sécurité important. J'avais un pass frappé du tampon de l'émirat islamique d'Afghanistan avec mon nom, ce qui m'a permis de franchir les check-points extrêmement nombreux. Le vrai risque, en réalité, c'était l'État islamique. J'ai mis 18 heures et c'est assez miraculeux que je sois là ce matin avec vous.
Votre équipe afghane, celle qui travaillait avec vous ces derniers jours, est-elle restée sur place ?
Ce n'est pas la partie la plus facile quand on s'en va. On a parlé beaucoup des milliers d'Afghans qui n'ont pas pu être évacués, mais quand c'est un visage, un prénom, Kayoum, le chauffeur, et Hamid, le fixeur... C'est quelque chose que je ne souhaite à personne de laisser derrière, les yeux dans les yeux, des équipiers qui attendaient beaucoup de vous. Depuis le début, leurs familles et eux croyaient vraiment que la France allait les emmener puisqu'ils travaillent depuis longtemps avec des Français. Je vais militer pour les faire sortir. On a essayé avec les Qataris, on a essayé avec les Pakistanais, et aujourd'hui ils sont restés derrière, avec tous les risques qu'on sait, des risques que tous les collaborateurs proches des étrangers peuvent courrir puisque les talibans vont les cibler. Quel que soit le visage, nouveau ou pas, des talibans aujourd'hui.
Le retour des talibans est-il déjà visible ?
Totalement. Il y a une sorte de chaos. Dès qu'on sort de Kaboul où la population est alphabétisée, émancipée et éduquée, c'est la burqa absolue. Je n'ai pas vu une femme sans burqa. Une femme seule, cela n'existe pas. Ces images ne donnent pas beaucoup de gage au libéralisme nouveau des talibans. L'avenir qui attend les jeunes femmes, les étudiantes, celles qui s'étaient émancipées, les homosexuels est absolument glaçant et effrayant. On parle aussi de croix mises sur les portes des maisons où des jeunes femmes n'ont pas encore été mariées. Donc cette offensive de charme des talibans 2.0 est difficile à croire.
Vous ne croyez donc pas au changement des talibans...
Le commandement taliban est composé d'anciens moudjahidines, des fondateurs du mouvement taliban. Pourquoi auraient-ils changé, surtout après avoir chassé la première armée du monde, l'armée américaine, après 20 ans de guerre ? Pourquoi feraient-ils des concessions ? Cela dit, les talibans ne sont pas tous complètement arriérés, ils savent aussi que la population a changé. L'autre point géostratégique très important est le risque de guerre civile très important puisqu'il n'y a pas d'unité dans le commandement taliban et que le groupe État islamique est présent dans le pays. Il y a un jeu d'influence extrêmement important et extrêmement dangereux. Nous avons une responsabilité vis-à-vis du peuple afghan, nous ne devons pas les laisser glisser vers un chaos absolu aujourd'hui. Donc il faut, d'une certaine manière, jouer un peu avec les talibans.
Vous ont-ils laissé travailler en tant que journaliste malgré tout ?
Ils ont pris le parti de nous laisser travailler mais ce sont des seigneurs de guerre, des gens qui ont des années de combats derrière eux et sont extrêmement nerveux. C'est de l'intuition, de la négociation, au même titre que d'avoir décidé de rester. Nous étions très peu. C'était un pari sur l'avenir parce qu'on ne savait pas du tout ce qui allait nous attendre. Nous avons commencé à sentir l'autocensure de la population afghane depuis quelques jours avec les patrouilles accélérées des militants talibans dans les rues, avec cette expectative, cette torpeur, cette stupéfaction de la population qui a vu cette chape de plomb arriver. Il n'y avait plus de miracle possible donc les Afghans se sont renfermés sur eux-mêmes.
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