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Afghanistan : le commandant Massoud, entre mythe et réalité

Le 9 septembre 2001, deux jours avant les attentats aux Etats-Unis, le commandant Massoud, le «Lion du Panshir», était tué par deux faux reporters envoyés par al-Qaïda. L’homme avait incarné la défense acharnée des habitants de cette vallée de l’Est afghan contre Soviétiques et talibans. En 2016, que retient-on de celui qui est parfois considéré, à tort ou à raison, comme le «Che Guevara afghan»?
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 3 min
Ahmad Chah Massoud dans l'une de ses bases du nord-est de l'Afghanistan, le 28 juin 2001. (AFP - Joël Robine)

Ce 9 septembre, Ahmad Chad Massoud, chef de l’Alliance du Nord, se trouve dans sa base de repli, dans la province de Takhard (nord-est de l’Afghanistan). Il reçoit un journaliste et un caméraman d’une chaîne prétendument appelée Arabic News International-TV. «Que ferez-vous d’Oussama Ben Laden lorsque vous aurez reconquis tout l’Afghanistan?», lui demande l’intervieweur. Rire du commandant. Soudain, une explosion le cloue au sol. «Le visage criblé d’éclats, démembré, il mourra peu de temps après», raconte Le Monde. «L’objectif des partisans d’Oussama Ben Laden est alors de priver Washington d’un relais militaire avant la prévisible réplique américaine aux attentats» du 11-Septembre, explique le journal suisse Le Temps.

Fils d’un officier de l’armée afghane, Ahmad Chah Massoud est né en 1953 dans la vallée du Panshir (nord-est). D’origine tadjike (ethnie minoritaire), il a fréquenté le prestigieux lycée français de Kaboul avant de faire des études d’ingénieur. L’homme parle le français et sait lire l’anglais.

En décembre 1979, les Soviétiques envahissent son pays. Il organise alors la résistance dans sa région natale. Ses hommes repoussent plusieurs attaques de l’armée rouge. Après le retrait de l’URSS, Massoud va étendre son contrôle sur Kaboul et le nord de l’Afghanistan. Mais les vainqueurs n’arrivent pas à s’entendre entre eux. En 1992, il devient ministre de la Défense «dans un gouvernement islamique modéré présidé par Sibghatollah Mojaddedi». Il le reste jusqu’en 1996. Pendant cette période, il combat d’autres chefs de guerre, notamment le Pachtoune Gulbuddin Hekmatyar (qui appartient à l’ethnie majoritaire du pays). Apparemment, les deux hommes se sont connus quand ils étudiaient à Kaboul.

Le commandant ​Ahmad Chah Massoud marchant avec un autre responsable moudjahidine, Abdul Haq, dans le nord-est de l'Afghanistan, à une date non précisée.  (AFP)

«Hekmatyar et son allié intermittent, l’Ouzbek Abdul Rachid Dostom, étaient les combattants les plus féroces, mais Massoud a aussi eu sa part de ruines, démolissant des quartiers entiers de Kaboul», raconte Slate. Il «est responsable de la moitié des atrocités dans le pays», selon «un intellectuel afghan de premier plan qui ne souhaite pas être nommé», cité par le site. Selon cette source, il aurait fait massacrer des membres de l’ethnie minoritaire hazara. Il y aurait aussi eu des bombardements et des pillages. «C’est en partie pour cela que beaucoup d’habitants de Kaboul avaient bien accueilli l’arrivée des talibans» en 1996, poursuit Slate.

Un nouveau Che Guevara, vraiment?
Le commandant Massoud reprend alors la lutte. Différentes factions se regroupent derrière lui, formant ainsi l’Alliance du Nord. Il se rend en Europe en avril 2001 et reçoit fréquemment dans son fief des visites de nombreux journalistes, médecins et humanitaires. En 1998, le Français Christophe de Ponfilly lui a ainsi consacré un documentaire de référence, «Massoud l’Afghan». Ponfilly s’était lié d’amitié avec lui et «sa mort l’avait profondément atteint», raconte Le Monde. Tous ces visiteurs étrangers «parleront de lui par la suite comme d’un personnage hors du commun, doté d’un grand charisme et d’une grande intelligence», rapporte Pierre Centlivres, ethnologue à Neufchâtel (Suisse), cité par Le Temps.


Aujourd’hui, dans son fief, le commandant est l’objet d’une dévotion sans nuance, a constaté un journaliste de l’AFP. Il est célébré par les autorités du pays. Mais son image divise. En 2011, dix ans après sa mort, aucun hommage ne lui a été rendu dans les régions pachtounes (les zones de recrutement des talibans). Ni parmi «les populations chiites du centre, pour lesquelles Massoud n’a jamais eu beaucoup de considération», précise Le Temps. Un manque de réaction caractéristique de l’extrême division ethnique de l’Afghanistan.

En Occident, le personnage d’Ahmad Chad Massoud a séduit les médias et l’opinion. Celui d’«une sorte de noble sauvage et tragique», parfois porté à la hauteur d’un mythe. Un peu comme Che Guevara. «La révolution avec le révolutionnaire argentin semble pertinente : comme chez le Che, l’héritage immaculé et la réalité sanglante ne se chevauchent que rarement», écrit Slate.

Sa renommée est particulièrement «lumineuse» en Europe, et plus particulièrement en France, note Le Temps. «Massoud, c’est finalement l’Afghanistan que les Européens ont rêvé», conclut le quotidien helvétique.

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