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Infographies Pauvreté, scolarisation, opium... Découvrez à quel point l'Afghanistan a changé ces vingt dernières années

Article rédigé par Brice Le Borgne
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Infographies sur l'évolution de l'Afghanistan depuis 2001. (PIERRE-ALBERT JOSSERAND / FRANCEINFO)

Un long conflit mettant des milliers d'Afghans sur les routes, une économie en croissance mais très inégalitaire, un système éducatif plus ouvert... Avec le retour au pouvoir des talibans, l'Afghanistan clôt un chapitre de deux décennies au cours desquelles le visage du pays s'est transformé. 

La page ouverte au début du siècle se tourne. Avec la victoire des talibans en Afghanistan, marquée par la prise de Kaboul dimanche 15 août, le pays laisse derrière lui deux décennies de conflit, accompagnées d'un développement hétérogène du pays.

Coût de la guerre, croissance, inégalités, progrès socio-démographiques... Pour saisir la portée de cette métamorphose, franceinfo a sélectionné plusieurs indicateurs.

Le bilan de vingt ans de guerre

Le 7 octobre 2001, moins d'un mois après les attentats du 11-Septembre, les premiers bombardements américains étaient menés contre les forces talibanes. Vingt ans plus tard, le nombre de morts liées aux affrontements est estimé à plus de 171 000, d'après le Watson Institute for International and Public Affairs, de l'université Brown (Etats-Unis).

En premier lieu se trouvent les policiers et militaires afghans, mais le conflit a aussi fait plus de 51 600 victimes parmi les civils. Début 2020, les Nations unies notaient que 46% d'entre eux étaient des femmes ou des enfants. Du côté des militaires américains et de leurs alliés, on dénombre un peu plus de 3 500 morts, mais également 3 800 décès de contractuels américains, comptés ici parmi les civils.

Vingt ans de guerre ont aussi forcé des millions d'Afghans à quitter leur territoire d'attache pour d'autres pays ou d'autres provinces afghanes. Comme le montre le graphique ci-dessous, deux années ont été particulièrement marquées en termes de déplacements internes : 2001, lors de l'intervention américaine, et 2015, du fait notamment du conflit entre l'Etat islamique et les talibans. 

Début juillet 2021, les Nations unies dénombraient déjà plus de 270 000 déplacés depuis le début de l'année. Conséquence du retrait américain, de l'avancée talibane, mais aussi de la sécheresse ou de l'épidémie de Covid-19. Le Haut Commissariat pour les réfugiés recense 2,5 millions de réfugiés afghans à travers le monde, alors que le pays compte 38 millions d'habitants.

Côté finances américaines, des estimations chiffrent ces vingt années de guerre à plus de 2 200 milliards de dollars. Un montant astronomique qui ne prend même pas en compte les futures pensions des soldats américains par exemple, qui ont été jusqu'à 100 000 sur le territoire afghan au plus fort du conflit.

Une croissance rapide, mais qui aggrave les inégalités

Ces milliards de dollars dépensés par l'armée américaine, mais également l'aide internationale pour accompagner le développement du pays, se sont reflétés dans une croissance soutenue des années 2000 à 2015. Alors que le PIB national plafonnait sous les 5 milliards de dollars au début des années 2000, il dépassait les 20 milliards en 2012. Depuis, il oscille entre 18 et 20 milliards.

"La croissance est due à l'injection d'aide financière étrangère, elle n'est pas générée de manière organique par le pays lui-même", appuie Kaweh Kerami, professeur de sciences politiques à l'université américaine d'Afghanistan. "Des milliards ont été dépensés, et une quantité énorme d'argent a été gaspillée, faisant profiter les contractuels ou d'autres parties prenantes étrangères. Un tout petit groupe de personnes a absorbé beaucoup d'argent. L'Afghanistan aurait été beaucoup plus sûr et stable si l'argent avait été distribué directement aux ménages", estime-t-il.

De fait, les milliards injectés et un PIB en explosion n'ont pas empêché une augmentation des inégalités. Les données calculées par la Banque mondiale montrent que le taux de pauvreté est passé de moins de 37% en 2007 à 54,5% en 2020. En d'autres termes, plus d'un Afghan sur deux vit en dessous du seuil de pauvreté. Et ces inégalités sont aussi géographiques. Alors que Kaboul compte 34,3% de sa population en dessous du seuil de pauvreté en 2020, ce chiffre dépasse 80% dans certaines provinces.

L'économie afghane repose en grande partie sur la culture du pavot à opium, dont le pays est le premier producteur mondial. Principalement produit dans le sud-ouest du pays, l'opium est converti en héroïne, consommé en Afghanistan, mais également vers l'Europe, principale destination commerciale. Alors que la culture du pavot à opium était maintenue à un niveau relativement bas quand les talibans étaient au pouvoir – ils prélevaient d'ailleurs une taxe sur la production de cette drogue – la surface cultivée a explosé durant ces vingt dernières années. 

Pour Gilles Dorronsoro, professeur de sciences politiques à l'université Paris 1 et spécialiste de l'Afghanistan, "les talibans retiraient moins d'argent de l'opium que les réseaux gouvernementaux, notamment le clan de l'ancien président Hamid Karzaï, l'un des acteurs du trafic d'opium dans le sud du pays." Et la question de l'éradication de l'opium est complexe. "Etant donné la crise économique profonde de l'Afghanistan, il est impossible de penser à éradiquer l'opium sans une aide économique qui compense les pertes. On a des populations fragiles sur un plan alimentaire, avec une sécheresse violente depuis plusieurs années", détaille-t-il.

Plusieurs indicateurs socio-économiques en progrès

Dans ce contexte économique très contrasté, plusieurs indicateurs laissent penser que la vie des Afghans s'est globalement améliorée. L'espérance de vie, qui était d'environ 55,8 ans en 2000, était passée à 64,8 ans en 2019, d'après les données de la Banque mondiale. Une hausse continue qu'ont néanmoins également connu les pays voisins de l'Afghanistan. Tout comme l'usage des téléphones portables, l'utilisation d'internet a augmenté, mais avec 11% de la population y ayant accès, le pays reste en retard à l'échelle internationale.

Du point de vue de l'éducation, de nombreux progrès sont à constater. Pour Mohammad Yasin Samim, conseiller technique au sein du ministère de l'Education afghan, qui était encore en poste jusqu'à ces dernières semaines, "il y a eu une croissance très rapide en termes d'accès à l'éducation, tant dans le privé que dans le public, avec une expansion des infrastructures pour l'éducation. En 2001, on avait un million d'enfants scolarisés. En 2020, environ 9,6 millions. L'éducation n'était plus réservée à l'élite", se félicite-t-il.

Le bouleversement a été d'autant plus marqué pour les femmes. Alors qu'elles représentaient une infime proportion des étudiants du secondaire au début des années 2000, elles étaient près de 40% en 2017, la dernière année avec des données chiffrées.

Là encore, de fortes inégalités territoriales se dessinent. "Il a été davantage possible de développer l'accès à l'éducation dans le nord et le nord-est du pays. Mais dans d'autres endroits, comme à Kandahar, dans le sud, les talibans contrôlaient certaines zones, rendant beaucoup plus compliqué d'y développer l'éducation", détaille Mohammad Yasin Samim.

Sans nier une évolution de la société afghane, certains experts font le constat d'un développement du pays à marche forcée, ayant contribué au renversement récent du pouvoir par les talibans. "Dans quelle mesure était-ce vraiment soutenable ? s'interroge Kaweh Kerami. Tout cela s'est développé très rapidement, mais sans prendre en compte le contexte du pays. On voit bien que dès que les Américains se sont retirés, tout s'est effondré. Ils avaient de l'argent et des soldats, mais n'ont pas aligné leur action, visant à installer un système présidentiel très centralisé, sur la structure historiquement décentralisée de la société, notamment à cause de la géographie du pays ou de la présence de différentes ethnies."

De nombreuses incertitudes planent sur la suite du développement de l'Afghanistan. Avec la crainte que les progrès réalisés ces vingt dernières années soient réduits à néant. "J'ai peur que tout ce qu'on a accompli soit perdu, confie Mohammad Yasin Samim, du ministère de l'Education, et que l'Afghanistan ne puisse plus être compétitif dans la région ou à l'international. Peut-être que les talibans vont maintenir un ministère de l'Education composé de technocrates, et non de politiciens ou de religieux, ce qui pourrait permettre de maintenir l'accès à l'éducation pour le plus grand nombre. Mais je suis assez pessimiste."

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