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Afghanistan : comment le commandant de police Mohamed Bida a "sorti de l'enfer" des centaines de personnes fuyant Kaboul

Article rédigé par Pierre-Louis Caron
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le commandant de police Mohamed Bida, pendant les opérations d'évacuation, en août 2021, devant l'aéroport de Kaboul (Afghanistan). (TWITTER)

Avec quelques policiers d'élite, Mohamed Bida a assuré l'exfiltration de centaines de personnes d'Afghanistan dans des conditions extrêmes. Quatre d'entre elles racontent cette opération de l'intérieur.

Il a parfois risqué sa vie pour en sauver des centaines. Mohamed Bida, attaché de sécurité intérieure adjoint de l'ambassade de France à Kaboul, a organisé l'évacuation de plusieurs centaines de personnes depuis la prise de contrôle de l'Afghanistan par les talibans, le 15 août. Sur Twitter, l'ambassadeur de France à Kaboul, David Martinon, a salué le courage et l'engagement de ce commandant de police chevronné.

Aidé d'un petit groupe de policiers, Mohamed Bida s'est illustré en organisant l'accueil, l'hébergement et l'exfiltration de très nombreux citoyens français et afghans fuyant les talibans, "bien au-delà de sa mission", insistent plusieurs personnes qui ont bénéficié de son aide.

Des messages d'alerte quotidiens

Décrit comme un passionné de l'Afghanistan, le commandant Mohamed Bida y a posé ses valises en 2016, envoyé par la direction de la coopération internationale de sécurité (DCIS) pour protéger les diplomates français. Une mission à part pour ce policier qui a fréquenté aussi bien les commissariats que les cabinets ministériels. A Kaboul, il est un policier "accessible et bienveillant", qui sortait parfois "sans ses agents, pour prendre la température du pays".

"Quand je suis revenue en Afghanistan début août, il m'a tout de suite demandé pourquoi", se rappelle Victoria Fontan, vice-présidente de l'université américaine d'Afghanistan, qui a pu fuir Kaboul le 20 août. Voyant le pays tomber progressivement aux mains des talibans, Mohamed Bida multiplie les textos pour prévenir les Français d'une évacuation imminente. Le soir du 12 août, il l'appelle même. "C'est une question de jours, je ne rigole plus, il faut partir", presse-t-il. "J'ai alors réservé un vol commercial, mais il insistait pour que je parte le plus tôt possible."

L'enseignante n'a finalement pas accès à son avion prévu pour le 15 août. Elle se met en quête, comme des milliers d'autres personnes, d'un moyen de quitter le pays. Pour Mohamed Bida, c'est le début d'une longue nuit blanche qui va durer près de deux semaines.

"Camping à l'ambassade"

Alors que les talibans progressent dans la capitale afghane, l'ambassadeur de France et ses équipes se replient au sein de l'aéroport de Kaboul, sous protection de l'armée américaine. Les locaux de l'ambassade de France ne restent pas vides pour autant. Avec une poignée de policiers d'élite, membres du Raid pour la plupart, le commandant Bida y accueille les expatriés français ainsi que les Afghans détenteurs d'un visa pour la France ou figurant sur les listes prioritaires du Quai d'Orsay. "On était censés rester quelques heures, ça a duré trois jours", raconte la journaliste Sonia Ghezali, correspondante pour RFI et France 24, qui a pu quitter l'Afghanistan. "Sur place, il n'y avait plus que Mohamed et les hommes du Raid", se souvient-elle, précisant que le commandant de police "est un ami".

Des policiers d'élite prennent en charge des ressortissants français et afghans au sein de l'ambassade de France à Kaboul, en août 2021. (POLICE NATIONALE / DCIS (VIA TWITTER))

En trois jours, le nombre de retranchés dans l'ambassade enfle de 80 à 400 personnes, explique la journaliste. "On a fini les rations de combat dès le premier soir et les gens continuaient à affluer", assure-t-elle. Malgré la tension palpable et un dos qui le fait souffrir, Mohamed Bida garde "son calme légendaire et sa grande empathie".

"Ils se sont occupés de tout : la logistique, la nourriture, où dormir, où trouver des couches pour bébé."

Sonia Ghezali, journaliste pour RFI et France 24, évacuée de Kaboul

à franceinfo

Pour mettre à l'abri plusieurs Afghans menacés, le commandant fonce récupérer des clés dans le bureau de l'ambassadeur, fait ouvrir les chambres des diplomates et finit par laisser la sienne à plusieurs personnes, dont une femme enceinte. "La veille, cette femme avait dû dormir dans le jardin, à la belle étoile, détaille Sonia Ghezali, c'était un peu camping à l'ambassade." Des matelas en mousse dégotés dans une remise apportent un semblant de confort, pendant que Mohamed Bida et les autres policiers se demandent comment quitter la zone sans encombres.

Un convoi de bus au milieu du chaos

Après avoir accueilli autant de personnes, le commandant de police doit se rendre à l'évidence : le plan d'évacuation initial est compromis. "On aurait dû être évacués par hélicoptère, mais les Américains ne prenaient que des ressortissants américains ou européens, explique Sonia Ghezali, et il y avait une majorité d'Afghans parmi nous." En lien avec l'équipe de l'ambassade, Mohamed Bida a alors l'idée d'organiser un convoi de bus et de pick-ups à destination de l'aéroport, où le pont aérien se poursuit tant bien que mal.

Problème : les talibans tiennent de nombreux check-points à travers Kaboul, dont un barrage dressé à un jet de pierre de l'ambassade de France. "Ça tirait tout autour de nous, les talibans repoussaient les gens à coup de crosse", raconte Sonia Ghezali. Après des négociations dont peu de détails ont filtré, les premiers véhicules s'engagent sur les cinq kilomètres d'incertitude qui séparent l'ambassade de l'aéroport Hamid-Karzaï. Les exfiltrations ont finalement lieu avec succès.

"A chaque check-point, les talibans nous contrôlaient, mais Mohamed Bida a toujours agi avec beaucoup de courage", raconte Jamail Baseer, une jeune fixeuse et interprète afghane, qui a pu s'envoler vers Paris. Chez les personnes évacuées, l'action du commandant de police est qualifiée "d'héroïque" à l'unanimité. "Il nous a sortis de l'enfer, abonde Victoria Fontan. Il fait partie de ces personnes qui vous redonnent confiance en l'humanité." Mohamed Bida "a traité tout le monde avec dignité et respect, malgré le stress et le manque de sommeil", salue Rada Akbar, une artiste et photographe afghane de 33 ans qui est désormais accueillie en France. A l'aéroport, "il essayait d'aider plus de monde à entrer".

Des codes secrets pour poursuivre les exfiltrations

Une fois les citoyens français évacués, Mohamed Bida et l'ambassade de France décident de faire "ce qu'aucune autre chancellerie n'a fait, par peur d'un attentat" d'après Sonia Ghezali : le commandant de police, parfois seul, n'hésite pas à sortir de l'aéroport pour trouver les Afghans éligibles à une protection de la France. "Il allait dans la foule récupérer les personnes qui avaient des visas, des militants des droits de l'homme, des gens qui étaient sur les listes françaises", détaille Sonia Ghezali, qui a participé, une fois partie d'Afghanistan, a l'évacuation de fixeurs et d'autres personnes en danger restées sur place, grâce à un réseau d'entraide.

Des Afghans attendent face à l'une des portes de l'aéroport de Kaboul, le 20 août 2021. (WAKIL KOHSAR / AFP)

Pour être sûr de prendre en charge les bons profils au milieu de la "marée humaine", un système de codes secret est mis en place. "Il disait aux personnes de se munir d'une pancarte qui indiquait 'French embassy, Moh Bida', ou encore de porter un foulard rouge", révèle Sonia Ghezali. L'opération reste très risquée : Abbey Gate, la porte où le commandant Bida rencontre les candidats à l'exil, est la cible d'un attentat sanglant le 26 août.

"Quand j'ai appris pour l'explosion, je l'ai contacté, mais il ne me répondait plus. Heureusement, c'était juste un problème de réseau", souffle Sonia Ghezali. Alertés du risque élevé d'attaque terroriste, les services français avaient décidé de n'engager aucun soldat, policier ou diplomate devant cette porte de l'aéroport ce jour-là.

Baroud d'honneur à une semaine de la retraite

Comme l'a rappelé l'ambassadeur David Martinon, cette opération délicate a eu lieu alors que l'heure de la retraite était sur le point de sonner pour le commandant Mohamed Bida, après 40 années de service. Avant ces événements, le policier confiait déjà vouloir "lever le pied, pour s'occuper de ses petits-enfants", rapporte Victoria Fontan. Ce chapitre afghan vient clore une carrière marquée par une grande diversité d'expériences.

"C'est quelqu'un de très atypique et de très baroudeur aussi", se souvient Maurice Leroy, ancien ministre de la Ville, dont Mohamed Bida était le chef de cabinet entre 2010 et 2012. "Recruter un policier pour un tel poste, cela avait fait froncer quelques sourcils à l'époque", confie avec amusement l'homme politique, qui dit avoir "énormément apprécié cette collaboration". Mohamed Bida n'en était pourtant pas à sa première expérience hors de la police. En 2009, il avait déjà été recruté comme chef de cabinet adjoint par le centriste Jean-Louis Borloo, alors ministre de l'Ecologie – dont il est resté proche.

D'après son entourage, Mohamed Bida est finalement rentré au pays le week-end du 28 août, qui marquait la fin du pont aérien français, emboîtant le pas aux 142 Français et 2 630 Afghans qu'il a aidés à fuir Kaboul vers la France. Discret, le commandant de police ne s'est exprimé sur ces dernières semaines que dans un court message relayé par son fils sur Twitter, mardi 31 août. Il s'est dit "honoré d'être le visage de ceux qui resteront dans l'ombre" et "partage avec eux toutes les marques de reconnaissance". "Je leur dis toute mon admiration et ma fierté d'avoir servi à leurs côtés", ajoute-t-il.

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